IAM : 5 choses que vous ignoriez (peut-être) sur l'album culte "L'école du micro d'argent"
Le groupe part enregistrer "L'Ecole du Micro d'Argent" à New York, durant quatre mois avec leur producteur attitré depuis "Ombre est lumière", Nick Sansano. Mais de retour à Marseille, Kephren, un des deux danseurs du groupe, sonne l'alarme : l'album a un son trop léché, trop poli, trop lisse. Les membres d'IAM, nourris aux dernières productions américaines, reconnaissent que le son est dépassé et manque de puissance.
Akhenaton, Shurik'n, Dj Kheops et Imhotep obtiennent, non sans mal, auprès de leur label (Delabel) de refaire entièrement l'album à Paris. Avec cette fois Prince Charles aux manettes. A ce producteur qui a travaillé avec Notorious BIG, Mary J Blige et Jodeci, ils demandent de garder le son brut des maquettes. Il ne cherchera pas à les faire entrer dans un moule pop et respectera leur évolution, qui tendait alors au dépouillement zen. Un modèle de minimalisme réussi.
Cette sobriété sonore se double d'un ton particulièrement sombre et grave dans les textes, qui contraste avec l'image de "rigolos sympathiques" que leur avait valu malgré eux le méga hit "Le Mia". Ce ton est lié à l'état d'esprit dans lequel l'album a été composé et au contexte politique d'alors. En particulier la montée du Front National, Jean-Marie Le Pen obtenant en 1997 15% à la présidentielle et son parti s'emparant dans la foulée de la mairie de Vitrolles après avoir déjà conquis celles de Marignane, Orange et Toulon dès 1995.
"Soyons clairs : voter FN, ça s'appelle du racisme ou du fascisme - et non pas un vote exprimant un simple ras-le-bol", s'indignait Shurik'n dans une interview que j'avais alors réalisée pour Les Inrocks à New York puis à Marseille. "C'est la France des adorateurs de Pétain et des nostalgiques de Vichy", fulminait-il en déplorant "la mémoire courte" des Français.
"Cet album est plus sombre parce qu'il est le reflet d'une réalité plus dure. Tous les problèmes évoqués dans le précédent album (trois ans plus tôt) se sont aggravés", soulignait Imhotep. "Forcément, ça donne des sujets d'actualité beaucoup plus dérangeants", complétait Shurik'n en précisant que ce ton était aussi dû "à une volonté de revenir sur terre par rapport au mysticisme prononcé d'"Ombre est lumière".
Le "hold-up mental" est un concept développé alors par le groupe phocéen. En quoi consiste-t-il ? Partant du principe que la révolution dans la rue n'a aucun avenir, les effectifs des forces de l'ordre grimpant d'année en année, Akhenaton estime alors dans le même entretien que "la seule réponse est le hold-up mental. Observer, s'adapter, s'intégrer, dominer : technique de combat chinois. Occuper des postes clés. Eveiller les consciences de jeunes pour qu'ils aillent voter, même s'ils votent blanc."
Dans les faits, le groupe s'active à Marseille en organisant des ateliers hip hop pour apprendre aux jeunes des cités à maîtriser l'écriture et l'usage des samples. Il monte aussi un festival annuel à Marseille, Logique Hip hop, ainsi qu'une confrérie de mc's, Côté Obscur, contribuant à faire émerger toute une scène dans la ville de l'OM et de la Bonne mère, dont leurs premiers protégés s'appelaient Soul Swing, la Fonky Family et Troisième Oeil.
"Demain c'est loin", la chanson qui referme l'album, est un titre de 9 mn, sobre, sans couplet ni refrain. Un titre minimaliste, dont la musique dépouillée privilégie l'essentiel avec quelques bruitages. Une chanson qui reste l'une des plus marquantes de ce disque et est considérée par certains comme le meilleur rap français jamais écrit.
Cette chanson est emblématique de ce que souhaitait faire IAM sur ce disque : "Nous souhaitions un album plus réaliste et nous avons travaillé les titres comme des mini-documentaires", résumait Akhenaton. "Sur cet album, nous faisons du journalisme urbain", précisait Shurik'n. "Nous avons voulu que l'auditeur puisse écouter mais aussi visualiser les personnages et les situations. Certains titres, comme "Demain c'est loin" a été davantage conçu pour les yeux que pour les oreilles." Résultat : ce morceau n'a pas pris une ride 20 ans plus tard. Une leçon.
Les clips et les clins d'oeils à la culture populaire ont aussi fait le succès de ce disque, comme "L'Empire du côté obscur" et ses références à "Star Wars", dont la seconde trilogie venait juste d'être annoncée. Dans les paroles, Shurik'n et Akhenaton endossent contre toute attente les rôles de méchants et filent la métaphore entre le monde de Dark Vador et la réalité de la planète Mars(eille), avant tout politique - nous nous situons alors deux ans après l'élection dans la Cité Phocéenne du maire de droite Jean-Claude Gaudin, seul nom réel cité dans la chanson.
La conception que nous livrait alors Akhenaton concernant le "côté obscur" est éclairante. "Mon film préféré de SF est la trilogie de la Guerre des Etoiles, avec son explication trop facile et américaine du bien et du mal. Cette définition manichéenne me débecte, et c'est pour cela que nous nous réclamons plus volontiers du côté obscur : c'est Dark Vador que j'admire, pas Luke Skywalker. Pour moi, admirer Skywalker reviendrait à admirer tous les gros hypocrites qui se font passer pour des bienfaiteurs de l'humanité, tels que les hommes politiques." Ouch !
La tournée d'IAM célébrant les 20 ans de "L'école du micro d'argent" passe par Toulouse le 17 novembre, Montpellier le 18 novembre, Bordeaux le 20 novembre, Nantes le 21 novembre, Caen le 23 novembre, Paris les 24 et 25 novembre (Bercy), Amiens le 27 novembre, Lille le 28 novembre, Bruxelles le 29 novembre, Orléans le 1er décembre, Limoges le 2 décembre, Cournon le 4 décembre et Dijon le 5 décembre.
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