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Avec son R&B fantaisiste, Bonnie Banane donne de nouvelles saveurs à la chanson française

On aime cette chanteuse amoureuse des mots pour son anti-conformisme, ses flows casse-gueule dignes des rappeurs et son univers singulier. Après huit ans de collaborations diverses, la sortie de son premier album, "Sexy Planet", est l'occasion de la découvrir.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
La chanteuse Bonnie Banane. (PIERRE-ANGE CARLOTTI)

Est-ce du R&B ou de l’électronique ? Est-ce de la pop ou de la chanson française (un peu chantée en anglais) ? On ne le sait pas, elle non plus, et c’est très bien comme ça. Rebelle à tout formatage, Bonnie Banane est inclassable. S’il y a un fil rouge à ses chansons futuristes, c’est le mariage de la fantaisie et du groove. Cette trentenaire fait en tout cas souffler un vent de fraîcheur délicieux sur la chanson française avec son premier album Sexy Planet.

Un personnage un peu barré

Bonnie Banane a pris son temps pour peaufiner et faire éclore ce premier album de 14 titres. Son nom bruisse en effet dans le circuit depuis 2012, avec Muscles, un premier titre et son clip délirant. Mais on l’a surtout repérée en 2017 avec Le Code, le tube de Myth Syzer dans lequel elle donnait la réplique à Ichon et Muddy Monk. Depuis, elle a collaboré avec deux des jeunes musiciens français les plus audacieux de ces dernières années, Flavien Berger (sur le titre Contre-temps de l’album du même nom, 2018) et Chassol (sur Feu au Lac en 2018). Un passeport en or pour les oreilles pointues.

Il y a du Arletty chez Bonnie Banane, la classe et le tempérament d’une femme de caractère. On trouve aussi chez cette Bretonne d’origine la radicalité d’une Catherine Ringer, la folie douce d’une Brigitte Fontaine et la théâtralité de la diva de la néo-soul Erykah Badu, son idole. Comme ces trois-là, Bonnie Banane est plus qu’une chanteuse, c’est un personnage. Et un personnage un peu barré. Son sens de la mise en scène est sans doute hérité de ses années passées au Conservatoire national d’art dramatique dont elle est diplômée (en tant que comédienne, on l’a aperçue dans L’Apollonide de Bertrand Bonello).

Drague ta planète

Dans le clip réalisé par Clifto Cream de l'adorable et entêtant La Lune & Le Soleil (ci-dessus), qui raconte le magnétisme irrésistible des deux astres avec une poésie coquine, elle ose un univers kitsch et eighties aux couleurs qui claquent, un mélange de Rita Mitsouko et de cartoon vintage. "Quand la Lune domine le Soleil boude / Mais afin qu'il brille elle se couche / (…) T'aimer sans rien en retour, j'y vois pas d'inconvénient / Vraiment pas d'inconvénient, si tu montes quand je descends / Si tu descends quand je monte, pas de quoi en avoir honte."

L’album s’intitule Sexy Planet parce qu’elle a, dit-elle, "voulu avant toute chose faire un compliment à la planète, qui nous accueille si gentiment, par un système de drague musicale." Cette romantique singulière écrit donc des chansons d’amour, de séduction, un marivaudage contemporain souvent teinté d’humour. "A ta vue je m’évanouis, il prend mon pouls / C’est la cata, je louche et ça devient flou / Fais-tu exprès de me plaire ? / On peut lire sur toi comme dans un livre ouvert" (sur le formidable Béguin).

Le clip de "Flash" est signé de la réalistrice Mati Diop, Grand Prix du Festival de Cannes 2019 pour "Atlantique"

Un rappel élégant à la nécessité du consentement

Hyper sensible sous une armure de conquérante, elle est de ceux dont la mort de Michel Legrand a brisé le cœur. Elle en a pleuré toute la journée, avoue-t-elle, tant la bouleversait son histoire d’amour absolue avec Macha Méril. Pour elle, les chansons d’amour étaient en deuil et pour longtemps.

Cœur d’artichaut, Bonnie sait pourtant sortir les griffes (qu’elle a longues et soigneusement manucurées) à l’ère #MeToo, pour rappeler la nécessité du consentement. "Que n’as-tu pas compris quand je dis non ? (...) / Y a des limites à ne pas dépasser / Si j't'appelle plus c'est qu'j'en ai assez, vu / C’est pas contre toi. Mais quand c’est non, c’est non", martèle-t-elle dans Limites, une chanson écrite suite au viol d’une amie.

Comme un rappeur avec son flow

Mordue avant tout des mots et de leurs sonorités, Bonnie Banane montre comme les rappeurs un bel appétit pour le jeu de mot, la rime, les allitérations, la mise en boucle obsessionnelle. Elle déconstruit ses phrases, met en place toute une musicalité des mots avec espièglerie. Elle pratique aussi, comme un rappeur son flow, des intonations et des cadences particulières, soignant sa diction. "Qu’eu-je. Qu’ai-je ? C’était pas mon intention de t’tej. Le sus-je ? Le sais-je. C’est jamais noir ou blanc, c’est gris. Heu non, beige." (sur Mauvaise Foi)

Chanteuse décalée reconnaissable instantanément dans n'importe quel contexte musical, elle aime surprendre et s’amuse beaucoup avec sa voix, la poussant sans prévenir dans les aigus ou dans les graves, quand elle n’utilise pas l’autotune de façon créative (Les Papillons). Plus que la musique, c’est cette imprévisibilité, cette liberté d’interprétation, qui lui donne son petit côté expérimental et fait qu’on ne se lasse pas, même de ses titres les plus obsédants.

"Tout ce qui rejette les autres n'est pas sexy"

Sur ce premier album, Bonnie Banane s’est entourée de différents producteurs, dont Para One, Théo Lacroix, Loubensky et le Suisse Varnish la Piscine, mais elle sait toujours précisément ce qu’elle veut, et donne l’impulsion quand elle ne produit pas elle-même. Sans doute pourrait-elle d’ailleurs tout faire mais quelque chose nous dit qu’elle chérit l’idée de collaboration, tout en souhaitant garder une forme de naïveté dans la technique.

Son seul mot d’ordre ? Du groove, du swing, car pour elle qui appréhende la musique par le corps et la danse, la musique doit impérativement donner envie de bouger. Ce qui n’empêche ni la langueur ni la mélancolie (Mauvaise Foi, Deuil, Intuition), ni même la touche médiévale (Les Bijoux de la Reine).

Au dos de la pochette de Sexy Planet, elle remercie "les a-coups, les miracles notre habitat, nos habitants, la faune, la flore, le fond, la forme, les chocs et les alignements". Mais au fait, qu’est-ce qui est sexy pour Bonnie ? C’est d’abord "ne pas être raciste, homophobe, transphobe, fasciste ou misogyne. Tout ce qui rejette les autres et les différences, je ne trouve vraiment pas ça sexy", expliquait-elle la semaine passée au micro de Tsugi Radio. Alors voilà, la tolérance, la Terre et la chanson française ont une nouvelle amie. Elle est belle et son prénom c'est Bonnie.

"Sexy Planet" de Bonnie Banane (Péché Mignon / Grand Musique Management) est sorti le 13 novembre 2020

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