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"A whiter shade of pale" de Procol Harum a 50 ans : interview de son génial créateur Gary Brooker

50 ans après ses débuts avec le tube planétaire "A whiter shade of pale", Procol Harum continue de jouer un pop-rock aux mélodies ciselées, parfois inspirées de la musique baroque. Actuellement en tournée avec son album "Novum" sorti en avril, et avant son unique concert en France ce dimanche 12 novembre, le leader et fondateur Gary Brooker a répondu à nos questions depuis chez lui à Londres.
Article rédigé par Jean-François Convert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le groupe dans sa formation actuelle, avec le fondateur, Gary Brooker, au centre (Bobby Davidson Gazza )

Procol Harum a été fondé en 1967, en adoptant le nom d'un chat, et non pas en référence à une quelconque signification latine ("au-delà des choses") comme on l'a souvent pensé. Le groupe est surtout connu pour "A whiter shade of pale", le slow le plus célèbre de tous les temps. Mais c'est oublier ses albums aux arrangements raffinés (comme "A salty dog", "Grand hotel" ou "Exotic birds and fruits"), où la pop mélodique emprunte au classique, tout en gardant des ingrédients rock. Les musiques quasiment toutes signées Gary Brooker ont accompagné pendant ces décennies les textes ésotériques du parolier Keith Reid. 

Gary Brooker
 (Alex Asprey)
En 1967, ils ouvraient la voie vers ce qui allait devenir le rock progressif. Un demi-siècle et plusieurs séparations-reformations plus tard, ils jouent toujours un pop-rock léché, mêlant habilement des claviers aux influences baroques avec des riffs de guitare puissants. Leur dernier album "Novum", sorti en avril, offre un ce subtil cocktail qui navigue entre rock tendance américaine et ballades pop "so british". A quelques jours de leur unique concert en France, au Trianon ce dimanche 12 novembre, nous avons pu interroger Gary Brooker, qui reste le seul membre originel encore présent dans la formation actuelle. C'est toujours lui qui mène le groupe, et chante de sa voix chaude, encore et toujours le morceau qui a été numéro un dans tous les pays du monde, de Hong Kong au Venezuela !

Culturebox : C'est le premier album de Procol Harum depuis 14 ans. Pourquoi tout ce temps ?
Gary Brooker : Cela ne nous a pas paru si long (rires). Non ce n'est pas vrai, cela a été long, et c'est dû au fait que l'inspiration avait disparu depuis quelques années. Mais nous avons beaucoup joué sur scène pendant tout ce temps (plusieurs tournées en 2008, 2009, 2010, 2012 - NDLR). L'année dernière, nous avons réalisé que cette année, le groupe aurait 50 ans, et que la formation que nous avons actuellement, depuis plus de 10 ans, n'était jamais allée ensemble en studio (le dernier album date de 2003, et le batteur et l'organiste actuels sont arrivés en 2004 - NDLR). Donc c'était une bonne opportunité de voir ce qui allait en sortir et l'inspiration est arrivée, et tout s'est passé à merveille.

C'est aussi le premier album où les paroles ne sont pas signées Keith Reid.
Keith Reid n'était plus vraiment impliqué dans le gropupe depuis une vingtaine d'années, les derniers textes qu'il a écrits datent d'il y a 14 ans (l'album "The Well's on fire" en 2003 - NDLR). Il a pris une autre direction que celle du groupe qui voulait continuer de l'avant (Les textes du dernier album sont isgnés Pete Brown, célèbre parolier qui a collaboré notamment avec Jack Bruce pour des chansons de Cream - NDLR).

Cela fait 50 ans que Procol Harum existe. Est-ce que votre musique a changé depuis ?
Je pense que nous avons toujours essayé d'aller de l'avant pour progresser, et ce, avec chacun de nos albums. Je trouve avec ce nouvel album que nous avons évolué, mais si vous écoutez, vous entendrez que c'est toujours du Procol Harum.

On y entend différentes influences. Certains morceaux sonnent plus anglais et d'autres plus américains. C'était volontaire ?
Ce sont toutes des nouvelles chansons que nous avons enregistrées en octobre de l'année dernière environ. Avec Josh Phillips aux claviers et Geoff Whitehorn à la guitare, nous avons combiné différentes idées. Donc il y a eu des influences de tout le groupe. Nous n'avons pas cherché à copier qui que ce soit. Il y a certains morceaux qui ne ressemblent pas à ce qu'avait fait Procol Harum avant, mais on ne peut pas dire que la musique américaine soit vraiment une de nos influences.

Il y a quand-même pas mal de gros riffs de guitare, un côté plus rock que pop ?
En fait on a vraiment joué comme un groupe sur cet album. Pour l'enregistrement, on a tous joué live dans le studio, et je pense que ça a influé sur le style : pas d'overdubbs, tout en direct.

Pensez-vous que Procol Harum a été à l'origine du "rock progressif" ? (courant des années 70 mené par Yes, Genesis, King Crimson... - NDLR)
Quand nous avons commencé, le terme de rock progressif n'existait pas (rires). Mais, pour nos tournées nous avions un programme qui contenait une chronique de notre premier concert en 1967, et cet article disait en substance : "C'est un groupe vraiment intéressant, il est sans doute là pour longtemps, et leur musique va progresser" (rires). Je pense que dans le domaine de la musique, c'est la première fois qu'on lisait le terme ou la notion de "progressif", et qui a ensuite engendré le courant du "prog-rock". Je pense qu'on était un peu à l'avant-garde, mais ce n'était pas conscient. Et puis quand j'écoute du rock progressif, je trouve que c'est trop compliqué comme musique ! Des changements de tonalités ou de rythme très rapides. Des fois ils utilisent des mesures en 7/8 ou 5/4 alors que ça ne se justifie pas vraiment ! (rires) Parfois nous l'avons fait, dans les années 70, mais parce que ça collait avec les paroles, ou avec ce que nous étions en train de jouer.

Procol Harum en 1967
 (Bobby Davidson Gazza)

En 1967, pensiez-vous que votre musique serait encore là 50 ans après ?
Nous ne pensions pas, nous n'avions pas de vision aussi loin. Quand vous avez 20 ans, vous ne pensez pas. Maintenant que j'ai 70 ans, je réfléchis plus ! (rires) Non bien sûr, je n'aurais jamais pensé chanter "A whiter shade of pale "ou "Salty dog" 50 ans après. Ce qui nous plaisait c'était de faire de la musique. Si ça plait aux gens et qu'en plus vous êtes payés pour le faire, ce n'est que du bonus !

Avez-vous été surpris par votre succès ?
Nous pensions que nos propres chansons étaient plus sérieuses que ce qui se faisait au milieu des années 60, comme tous ces grands groupes où tout le monde souriait et semblait heureux. Nous croyions dans ce que nous faisions, et pensions que c'était bon. Donc quand vous avez du succès, vous dites "ok nous avions raison !" (rires).

Je pense qu'on a dû vous poser la question une centaine de fois, mais quand vous avez composé "A whiter shade of pale", avez-vous senti que ça deviendrait cet immense tube ? Une chanson éternelle ?
Quand j'ai écrit cette musique, je me suis inspiré de J.S. Bach. Je parle bien d'inspiration, pas de copie. Et je me suis dit "c'est une bonne idée". J'ai espéré que cela aurait du succès, que le public l'aimerait, et que ce serait suffisamment différent pour capter l'attention des gens. Mais je n'aurai jamais pensé que ça arrive en France ! Les mots en anglais ne sont pas faciles à comprendre. Et quand nous sommes venus à Paris pour une émission radio et que le morceau était numéro 1, je ne pouvais pas y croire ! Il était aussi numéro 1 au Venezuela et à Hong Kong ! Dans le monde entier !

On entend beaucoup d'inspiration classique dans votre musique, même encore sur ce dernier album. L'intro de "Sunday Morning" est inspirée du canon de Pachelbel ?
Oui effectivement, vous avez tout à fait raison, ce sont les mêmes accords. J'ai commencé à jouer ces accords en intro, et je me suis dit "on va voir où ça va nous mener". En l'écoutant, les gens se disent "hey je connais ça" et puis après ça bifurque vers un morceau différent bien sûr. Nous avons toujours été inspirés par la musique classique, parce que j'ai toujours beaucoup aimé écouter du classique. Pachelbel est populaire depuis le 17e siècle. Est-ce que je suis surpris si Procol Harum est toujours poplaire au bout de 50 ans ? Pachelbel est populaire depuis pus de 300 ans ! (rires)

Et vous, qui pensez-vous avoir influencé dans les jeunes artistes ?
J'entends beaucoup de bons groupes tout le temps. Je ne pense pas à quelqu'un en particulier. Il y a énormémment de grands talents de nos jours, et c'est une bonne chose pour la musique.

Quel souvenir gardez-vous de votre collaboration avec Eric Clapton (pour l'album "Another ticket", 1981) ?
C'était fabuleux. Je continue de penser qu'il est le meilleur guitariste de blues, qu'il l'a toujours été et qu'il le restera. J'adore son style. Il vit vraiment sa musique, on le voit quand il joue ses solos. Et c'est aussi un bon chanteur. Etre sur scène dans un groupe avec Eric Clapton en train de jouer un solo de guitare, c'est comme être au paradis !

Sur cet album "Another ticket", on peut entendre votre influence au niveau mélodique, notamment sur le morceau-titre.
Vous savez, quand on joue entre musiciens, on s'inspire tous mutuellement. C'est vraiment ça la musique : un échange d'inspirations.

 

Procol Harum en concert au Trianon le 12 novembre.
L'album "Novum" (Universal) est sorti en avril.

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