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Le musicien Chassol "harmonise le réel" de façon lumineuse avec "Ludi", sa nouvelle création

Pianiste et vidéaste, Christophe Chassol s'est fait une spécialité des "ultrascores", des oeuvres à la croisée de l'image et du son, qui s'apprécient particulièrement en concert. "Ludi", sa dernière création, est la plus accomplie à ce jour.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le musicien Chassol en 2020. (FLAVIEN PRIOREAU)

Tout est musique et tout est jeu. Vous êtes d’accord ? Alors vous êtes prêts à monter à bord du grand-huit cinématique et musical du pianiste Chassol. Ensuite, il faudra si possible aller le voir au moins une fois en concert. Car les compositions de cette tête chercheuse s’expérimentent plus qu’elles ne s’écoutent, au moins dans un premier temps. Il se trouve que ce touche-à-tout ne fait ni des albums ni des films, mais des œuvres à la croisée des deux, les sons des vidéos servant souvent de point de départ à ses compositions poétiques, ces "ultrascores" dont il est l'inventeur. 

Des voix d'écolières, point de départ d'un morceau

Prenons par exemple le réjouissant titre Savana, Céline, Aya, extrait de Ludi, son nouvel album-film-spectacle. Au départ, Chassol a filmé, dans une cour d’école de Puteaux, des écolières jouant à se taper dans les mains mutuellement et de plus en plus rapidement en disant leurs prénoms. De ce dialogue et de ce rythme mis en boucle, le compositeur a repris les notes et les a harmonisées au clavier, créant un morceau entier enrichi de choeurs, d'une basse et d'une batterie.

Cette technique d’"harmonisation du réel" permet à ce sorcier de la composition de s’approprier n’importe quel son, n’importe quelle phrase attrapée au vol et de les transformer en musique. Ludi nous balade ainsi d’une cour de récréation à une salle de jeux d’arcades japonais et d’un terrain de basket à un grand-huit tokyoïte. Jeu de mains, jeu de basket, jeux d’arcade, jeu de la phrase (chacun ajoute un mot à la phrase et la reprononce dans son entier), tous sont jubilatoires. "Jouez, jouez, jouez, il en restera toujours une composition", semble-t-il dire.

"Ludi" s'inspire d'un roman d'Hermann Hesse

Après les "ultrascores" Nola Chérie (2011) tourné avec un brass band de la Nouvelle-Orléans, suivi d'Indiamore (2013) filmé en Inde, puis de Big Sun (2015), capté en Martinique sur fond de carnaval, Ludi est cette fois inspiré du roman utopiste Le Jeu des perles de verre d’Hermann Hesse publié en 1943, dans lequel est mis au point un jeu extraordinaire réunissant toutes les sciences et tous les arts.

Une citation du roman ouvre Ludi. Elle commence ainsi : "Les règles, l’écriture figurée et la grammaire du jeu constituent une sorte de langue secrète extrêmement perfectionnée qui participe de plusieurs sciences et de plusieurs arts, particulièrement des mathématiques et de la musique." On ne pourrait mieux dire de l’art de Chassol.



Né à Paris il y a 44 ans, de parents originaires de Martinique, Christophe Chassol est aujourd’hui un musicien très demandé. Passé par le conservatoire et la composition de musique de films, puis clavier de tournée pour Phoenix il y a quinze ans, il a été repéré par Bertrand Burgalat, le fondateur de l’aventureux label Tricatel.

Capable de se réinventer à chaque projet en élaborant un vocabulaire musical singulier, il a été sollicité ces dernières années par des pointures telles que Frank Ocean et Solange, pour contribuer à leurs derniers albums respectifs. Si son nom reste encore confidentiel, quelque chose nous dit que sa notoriété va s’amplifier avec sa nouvelle création.

Une ode à la vie

Car de tous ses "ultrascores", Ludi est le plus accompli, le plus magique. On le redit, toutefois, par précaution : à moins de l’avoir expérimenté en concert accompagné des images, l’album risque d’être difficile, voire irritant, à l’écoute. En revanche, une fois partagées en live (ce fut notre cas jeudi 5 mars à la Gaîté lyrique dans le cadre du festival des Inrocks), certaines de ces boucles obsessionnelles s’avèrent absolument addictives. Comme si, dans la mémoire de nos cellules et de nos synapses se rejouait toute la dimension solaire, euphorique et ludique éprouvée en concert.

Si cela ne saute pas d’emblée aux oreilles non averties, le grand alchimiste Christophe Chassol parvient en effet à tirer d'une matière sonore éclectique des compositions presque pop. La technique et la rigueur mathématique auxquelles ses meilleures expérimentations donnent lieu savent se faire oublier. Seules demeurent alors la poésie, la fraîcheur, le swing et la spiritualité du jeu.

Avec Ludi, le travail ambitieux de cet aventurier du son parvient à maturité. Re-création (récréation?) du réel puissamment inspirante, cette oeuvre nous apparaît comme une ode à la vie lumineuse, extraordinairement contagieuse. 

"Ludi" de Christophe Chassol (Tricatel) est sorti le 6 mars 2020
En concert le 12 mars au Rocher de Palmer à Cenon, le 25 mars au festival du film subversif de Metz, le 6 avril au 6MIC à Aix-en-Provence. (toutes les dates sur sa page Facebook)

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