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Interview "Immersion" de Youn Sun Nah, l'aventure pop et poétique d'une virtuose du jazz

La chanteuse de jazz sud-coréenne Youn Sun Nah a sorti vendredi 8 mars son dixième album, "Immersion", composé pour moitié de compositions originales et de belles relectures de classiques de Leonard Cohen, Marvin Gaye ou Michel Legrand. Dans cet album, la vocaliste virtuose, en tournée en France, tente une nouvelle aventure : l’incursion dans un univers plus pop, rock et électro. Rencontre.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La chanteuse Youn Sun Nah
 (Sung Yull Nah)

Réputée pour sa technique vocale virevoltante et ses arrangements tantôt électrisants, tantôt oniriques ou intimistes, Youn Sun Nah ne s’interdit aucune expérience. Ses dernières années, multipliant les collaborations musicales, elle a pris goût à l’inconnu. Pour réaliser Immersion, elle a confié ses chansons et ses reprises à un réalisateur et arrangeur chevronné du monde de la pop, Clément Ducol, qui a travaillé notamment avec Camille, Melody Gardot ou Christophe.

Michel Legrand, dont Youn Sun Nah a repris la chanson Sans toi, est décédé quelques semaines avant la sortie du disque. Il n'aura pas eu le temps d'entendre le bel hommage que la chanteuse lui avait réservé.

"Immersion", une affaire de femmes

Par ailleurs, Youn Sun Nah s’est aguerrie en matière de composition. Elle a écrit les musiques de six des treize morceaux du nouveau disque. Pour les paroles, elle a eu recours à des textes du poète persan Rûmî, mais aussi à trois chanteuses et parolières : Morley, BirdPaula et Rosita Kèss. Immersion est donc aussi une affaire de femmes. La date du 8 mars, Journée internationale des Femmes, pour la sortie du disque relève d’un timing pertinent, bien que non prémédité.

Youn Sun Nah vient d’entamer une tournée pour présenter ce très beau disque - son premier chez Warner - entourée de deux musiciens multi-instrumentistes ouverts sur divers horizons, pop comme jazz… Elle chantera notamment mardi 12 mars à Paris, au Trianon.

- Culturebox : D’où vous est venue l’idée de vous immerger dans de nouvelles sonorités ?
- Youn Sun Nah : Jusqu'à ce projet, j'enregistrais toujours mes albums dans les conditions du live, en deux jours, en une prise... J'avais envie d'essayer autre chose, de passer plus de temps en studio. J'ai amené des compositions et des covers [ndlr : reprises], mais je n'avais pas vraiment d’idée précise. J’avais envie de vivre cette expérience comme s'il s'agissait d'un laboratoire, de construire à partir de rien, de découvrir comment on élabore un morceau, avec la recherche des sons…

- Le répertoire était donc prêt, il ne restait qu’à ciseler l’écrin des chansons ?
- Oui. C'est pour ça que je recherchais quelqu'un qui soit capable d'arranger, de m'apporter cette expérience, de me pousser, de m'amener ailleurs tout en me respectant. J'ai fait appel à Clément Ducol. Je l'avais rencontré en 2014, alors que j'étais invitée sur le projet d'hommage à Nina Simone "Autour de Nina". Ça s'était très bien passé. Depuis, j’avais en tête de travailler avec lui un jour. Puis quatre ans ont passé. Je lui ai demandé si ça l'intéressait de collaborer avec moi. Il m'a répondu : "Tiens, justement, je pensais à toi !" Je lui ai raconté alors ce que j'avais en tête. J'avais une démo que je lui ai envoyée. On est parti de là. On s'est donné une semaine pour voir comment ça se passerait, si ça marcherait ou non. Ça s'est très bien passé. Un peu plus tard, on est entré en studio.

- Comment s'est déroulé le travail en studio ?
- Chaque jour, on faisait des recherches autour des morceaux. D'un jour à l'autre, le morceau pouvait devenir complètement différent. Il y avait des arrangements qui intégraient beaucoup d’instruments, et sur lesquels on en a enlevé au fur et à mesure... Pour d'autres, c'était l'inverse. Il y a des chansons sur lesquelles on voulait travailler sur la voix... C’est exactement ce que j’avais envie d’expérimenter. Au début, on travaillait tous les deux. Comme Clément est multi-instrumentiste, il a joué de tout : piano, basse, guitare, marimbas, percussions… Puis un autre musicien multi-instrumentiste, Pierre-François Dufour, nous a rejoints. Il joue des percussions, de la batterie et du violoncelle.
Youn Sun Nah
 (Sung Yull Nah)
- Qu'est-ce que cette expérience vous a apporté ?
- Pour moi qui viens du jazz, de la musique improvisée, ça m’a permis de voir comment un morceau pouvait être développé différemment. Et ce travail avec Clément m'a donné envie de composer plus. Au début, je ne lui avais amené qu’un morceau ou deux. J’étais partie sur un album de covers. Clément m'a dit : "Il faut que tu continues à composer." Finalement, c'est devenu un album à 50/50 entre compositions et reprises.

- Je me souviens du temps où vous souligniez à quel point il vous était difficile de composer... Est-ce ce que cette fois, ça a été plus facile ?
- Jusque-là, j'avais toujours composé en tournée, à l'hôtel, en train... C'était très long... Cette fois, j’avais vraiment envie de m'y mettre ! Je suis partie en Bretagne, à Primelin, dans le Finistère, au bout du monde ! J'adore la Bretagne. Le climat y change quatre fois par jour, c'est assez dur. J'y suis restée un peu plus de deux semaines. J'ai écrit plus d'une dizaine de morceaux. Il y en a que j’ai composés en une heure, ce qui ne m’était arrivé qu’une fois auparavant... D’habitude, je suis inspirée par des gens. Cette fois, j’étais plutôt inspirée par la nature.

- Pour les textes, vous avez utilisé des écrits du poète persan Rûmî pour le titre d'ouverture "In my heart" et avez fait appel à trois artistes contemporaines : les Américaines Morley Kamen et BirdPaula, et la chanteuse italienne Rosita Kèss...
- Pour "In my heart", j'ai d'abord écrit la musique. Puis j’ai tenté d’y mettre des paroles, sans y parvenir. Un jour, j'ai lu un livre de Rûmî. J’étais stupéfaite, c’était comme s'il avait écrit cela la veille ! C’était tellement beau. J’étais à New York et j’ai acheté un autre livre de ce poète, qui était consacré à ses poèmes d'amour. L'un des textes m'a vraiment plu. J'ai voulu voir si ça collait avec la musique... et ça collait parfaitement ! Le traducteur des poèmes en anglais, un architecte iranien, étant décédé, j’ai obtenu de sa fille la permission d'utiliser le texte.
Youn Sun Nah
 (Sung Yull Nah)
- Comment est-ce que ça s'est passé pour les autres textes ?
- Étant à la recherche d'auteurs, j’ai demandé conseil à un ami, le producteur Jean-Philippe Allard. Il m'a proposé de lui envoyer mes musiques. Puis il m'a dit qu'il avait quelques personnes en tête. L’une d’elles était Morley Shanti Kamen. Je me suis souvenue que j’avais acheté son album à mon arrivée en France, il y a des années ! J’ai pu la rencontrer à New York. Je lui ai dépeint mon état d'esprit au moment d’écrire les musiques que je lui confiais [ndlr : "The Wonder" et "Here Today"]. Elle m'a envoyé le texte, on s'est revues, étant elle-même chanteuse elle m'a donné des conseils pour phraser, elle m'a vraiment aidée.

L’autre artiste est BirdPaula, une songwriter installée en France depuis longtemps. Je ne la connaissais pas. Elle a écrit le texte d'"Invincible" qui m’a fait pleurer. C'était tellement poétique et ça parlait de la mort. Mon oncle venait de décéder. Je l'ai rencontrée à Paris. Elle m'a beaucoup soutenue. Pendant la période de l'enregistrement, on s'envoyait des textos presque chaque jour. Je la remercie énormément. Enfin, Rosita Kèss, qui a écrit les paroles de "Mystic River", est une chanteuse et une songwriter italienne qui habite à Brooklyn après avoir énormément voyagé. Je l'ai rencontrée en 2018. Quand je lui ai parlé de mon album, elle a proposé de m’écrire un texte. Ces trois artistes ont en commun une forte dimension spirituelle. Elles sont devenues des copines. Toutes ces rencontres étaient incroyables...

> Les dates de la tournée de Youn Sun Nah
Youn Sun Nah : voix, compositions
Tomek Miernowski : guitares, claviers, programmation
Rémi Vignolo : batterie, percussions, contrebasse, basse électrique

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