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Interview Matthieu Chedid alias -M- : "Lamomali est un hommage aux signes intérieurs de richesse"

Son nouvel album, Matthieu Chedid alias -M- l'a construit en compagnie du virtuose de la kora Toumani Diabaté et de dizaines d'invités internationaux. "Lamomali", publié vendredi, est une splendeur qui célèbre à la fois le Mali, la féminité et le magnifique instrument à 21 cordes qu'est la kora. Une fusion afro-pop qui promet de faire des étincelles sur scène. Rencontre.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Matthieu Chedid amoureux de sa six cordes pour "Lamomali".
 (Yann Orhan)
C'était un vieux rêve de travailler avec des musiciens maliens ?
Matthieu Chedid : J'ai toujours fantasmé sur l'Afrique noire, comme beaucoup de gens. Le blues d'Ali Farka Touré a été pour moi une des portes d'entrées de la musique africaine. Mais c'est Amadou et Mariam qui m'ont emmené au Mali la première fois pour un festival, le Paris-Bamako, il y a une dizaine d'années. L'énergie là-bas m'a vraiment marqué et j'y ai rencontré plein de musiciens incroyables, dont Toumani Diabaté. Depuis, il venait souvent me retrouver sur scène à mes concerts et moi aux siens, kora et guitare mêlés, et c'était toujours des moments de communion hallucinante, les larmes aux yeux. On se disait chaque fois 'un jour on fera plus que ça'. Cette envie d'échange s'impose à nous parce qu'on adore jouer ensemble et qu'on sent qu'il y a des choses à inventer en commun.

En tant que grand guitariste, que ressentez-vous vis-à-vis des maîtres de la kora comme Toumani Diabaté. Y-a-t-il une dimension mystérieuse dans leur jeu ? (Note pour le lecteur : La kora, sorte de luth africain, comporte 21 cordes, 7 pour le passé, 7 pour le présent, 7 pour le futur).
Plus qu'un mystère, la kora c'est presque mystique parce que c'est un instrument qui se transmet de génération en génération. C'est puissant comme instrument, on n'ose pas trop le toucher. J'ai caressé la kora mais je n'en ai pas joué, il y a une dimension un peu sacrée et magique pour moi.


Quel était l'objectif en faisant cet album ?
C'était d'abord de se faire plaisir. Comme des amis qui se rencontrent et qui ont envie de passer du temps ensemble. Un jour de la fin 2015, Toumani était à Paris avec son fils Sidiki, ils sont venus à la maison. J'ai mis des micros dans mon salon, ils ont joué et on a enregistré la base de l'album comme ça, en deux après-midi. Ca a donné les bases harmoniques du disque. J'ai ensuite pris un an pour inventer une espèce de monde autour de ça.

Comment vous y êtes-vous pris ?
Je n'ai pas cherché à faire un album de world music, je voulais vraiment faire une sorte de Mali 2.0, faire un album d'aujourd'hui pour essayer de réinventer quelque chose, un nouveau monde, un nouveau son, une fusion. Mais c'est Toumani qui m'a poussé à faire un truc plus pop. Il m'a dit "non mais t'es gentil Matthieu mais fais du –M-, fais-nous de la pop, fous des guitares, je veux qu'on aille à Bercy en vêtements pailletés faire de la kora ! Non seulement il m'a donné l'autorisation, mais il m'a poussé à aller beaucoup plus loin. Parce qu'au départ je comptais laisser les koras, ajouter une petite guitare derrière et j'aurais été content comme ça. Ce qui a été intéressant c'est justement de sortir la kora de son contexte traditionnel, de l'amener dans des sons plus électroniques ou plus classiques.

Quand on voit le nombre d'invités et d'intervenants sur cet album on voudrait être une petite souris pour voir comment cela s'est passé.
Je prends la musique comme un jeu et l'improbable m'amuse toujours. Plus on va chercher des mondes les plus éloignés les uns des autres, plus on peut en fabriquer de nouveaux. C'est pour ça que j'ai demandé au contre-ténor Philippe Jarrousky de chanter sur un balafon en même temps qu'un griot de Bamako, Kerfala. J'adore l'idée de ces rencontres. Il y a sur cet album des invités que je connais très bien comme Oxmo Puccino, Seu Jorge et Ibrahim Maalouf. Quatre-vingt pour cent des invités sont passés enregistrer dans mon studio, mais certains comme Youssou N'Dour ou Santigold ont collaboré à distance, via internet. Pour d'autres encore, ça a été l'occasion de travailler ensemble. Avec Nekfeu par exemple que j'avais croisé dans les toilettes des Victoires de la Musique. Il m'avait dit "j'adorerais qu'on fasse des trucs ensemble", alors je lui ai dit de passer chez moi. On a fait un petit dîner avec ma fille Billie, aux anges, et j'ai rencontré quelqu'un de très intéressant. Ensuite on a enregistré dans mon studio. La vie est simple…


La chanteuse Fatoumata Diawara est très présente sur l'album. Comment l'avez-vous rencontrée ?
J'ai participé à plusieurs sessions d'Africa Express de Damon Albarn grâce auxquelles j'ai rencontré de grands musiciens comme Tony Allen et Tidiane Sek. J'ai rencontré Fatoumata Diawara lors d'une de ces sessions à Marseille. Sur scène, j'ai découvert une princesse malienne. Or sur cet album je voulais absolument célébrer le féminin. Et je ne pouvais pas imaginer mieux que Fatoumata Diawara pour incarner cette féminité. Sur l'album, on a aussi Mama Keita sur "Mama". En arrivant au studio, elle ne savait pas ce qu'on allait faire et je lui ai dit 'tiens, Toumani a fait une chanson pour les mamans'. Là une émotion s'est emparée d'elle parce qu'elle a perdu sa mère à l'âge de 6 ans. Elle m'a raconté son histoire et c'est un miracle qu'elle soit encore en vie. Même si on ne comprend pas forcément ce qu'elle dit dans la chanson, on ressent l'émotion. Avec son langage du coeur, l'artiste JR a aussi traduit pour la pochette le côté féminin, yin yang et universel de cet album. Je trouve rassurant que les hommes célèbrent les femmes, au même titre que les femmes célèbrent les hommes, ça fonctionne dans les deux sens. C'est l'idée que nous ne sommes rien sans l'autre et que l'amour nous sauvera.

C'est quoi Lamomali ?
Lamomali c'est l'idée de créer une utopie, mais une utopie réelle, un lieu, un nouveau monde. C’est comme un pays imaginaire qui deviendrait réel. C'est aussi une célébration de l’anomalie qui fait partie de nos vies. Car pourquoi être dans la normalité ? Lamomali c’est jouer avec les mots, avec les sons, et puis c’est l’âme au Mali, mon âme qui va là-bas et l’âme malienne qui revient en France. Dès l’instant où on se connecte à notre âme il n’y a plus ces questions de peau, de couleur. Nous les musiciens, c'est quelque chose que l'on vit vraiment. Il y a du coup sur cet album une dimension politique dans le sens le plus noble du terme.

Cet album est-il aussi un hommage au Mali ?
C’est un hommage à la culture malienne, à la beauté du Mali, à la grâce des Maliens, des sourires, de la danse, de la joie de vivre. C’est un hommage aux signes intérieurs de richesse. Chaque fois que je vais à Bamako je prends une leçon initiatique, celle de la sobriété heureuse.



Malgré la joie de cet album, la douleur court sous la surface tout du long. "Lamomali" est un disque très doux-amer…
C’est un album de vie et la vie est comme ça. Le doux et l’amer, ça fait partie de l’équilibre. Nous avons écrit tout ça au lendemain des attentats de Paris et de Bamako (celui du Radisson Blu le 20 novembre 2015). Dans la chanson "Cet air", je parle de la nostalgie d'un Paris et d'un Bamako qui n'existent plus, d'une légèreté qui a disparu, d'un avant et d'un après. Il y a de la mélancolie, de la nostalgie mais aussi de la joie avec la célébration de la vie et de sa fragilité. 'Toi, qui que tu sois, tu m'es bien plus proche qu'étranger': cette petite phrase de ma grand-mère au cœur de l'album. En même temps, pour moi, le message de tout ça c'est 'béni soit qui au Mali danse au son des balles de Bamako'. Ce n'est pas parce qu'il y a des attentats qu'on va arrêter de vivre et de célébrer la vie, il faudrait même au contraire la célébrer davantage.
 
Comment allez-vous transposer cet album sur scène ?
Sur scène ça va être génial ! Toumani Diabaté, son fils Sidiki et Fatoumata Diawara seront toujours sur scène avec moi et les invités comme Seu Jorge, Oxmo Puccino et Youssou N'Dour seront différents selon les dates, de sorte que ce soit assez vivant. J'ai appelé le groupe l'Afro-Pop Orchestra parce qu'on a des musiciens exceptionnels. Lorsqu'on a présenté l'album en janvier à Bamako c'était fabuleux déjà et les Maliens étaient touchés de voir cet échange, de voir ce partage fonctionner.

Pour la tournée ce sera juste un peu plus maîtrisé et moderne, car nous aurons davantage répété et les musiciens sont différents, nous avons un multi-instrumentiste américain et un batteur hip hop notamment, donc ce sera une version un peu plus américaine. En plus, je viens de découvrir les costumes que nous a fait Jean-Paul Gaultier, ce sont des tenues de toute beauté ! Ca va être joyeux et très coloré. Ce projet c'est vraiment, sincèrement, une réponse au monde anxiogène dans lequel on vit. C'est une réponse très concrète, vibratoire. C'est sûr qu'à travers la kora, les rythmes et la joie de vivre, ce qu'on fait là est bénéfique. Déjà, nous, de jouer cette musique, cela nous fait un bien fou. Sur disque on le ressent mais sur scène ça explose !

"Lamomali" de Matthieu Chedid et Toumani Diabaté sort vendredi 7 avril 2017 (Wagram Music)
En tournée à partir du mois de juin : du 1er au 3 juin à Lyon (Festival de Fourvière), du 9 au 11 juin à Paris (Salle Pleyel), le 18 juin à Lille, le 22 juin à Nantes, le 23 juin à Bordeaux, le 24 juin à Toulouse, le 29 juin à Rouen, le 30 juin à Bruxelles etc.

La pochette de l'album malien de Matthieu Chedid "Lamomali" est signée de l'artiste JR.
 (JR)

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