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: Interview Julien Doré : fragments d'un chanteur amoureux
Julien Doré est de retour avec "&", un album doux et romantique aux chansons rêveuses conçu en pleine nature dans le Mercantour. Pour aller au-delà du story-telling de ce disque, son quatrième, nous lui avons soumis huit photos pour l'inviter à se raconter. Scène, lecture, végétarisme, cinéma, football ou moto : il répond à tout avec la même attention, la même profondeur, en artiste inspiré.
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1
LA SCENE, ZONE D'INTENSITE MAXIMUM
Dans quel état es-tu à ce moment précis, dans une sorte de transe ?
Julien Doré : C'est un moment précis où la voix bascule à l'octave sur la chanson "Chou Wasabi" qui a une grande énergie en live. Cette photo m'évoque d'abord la tournée précédente et tout ce qu'on a vécu. C'est tellement là où tout se passe, c'est tellement à cet endroit où je me sens à ma place. Et c'est tellement à cet endroit-là que je veux, chaque fois que j'écris une chanson, l'amener. Je pense que c'est la zone la plus intense et la plus vivante que je connaisse.
Tu as eu un gros coup de fatigue au milieu de la tournée précédente, c’était trop ?
Cela fait partie des choses qu’on ne s’explique pas. C’est sans doute la répétition des concerts et la rapidité avec laquelle on a enchainé les dates, je pense que mon corps et ma tête m’ont dit stop. Quand on traverse quelque chose comme ça on apprend à se protéger et on apprend à faire en sorte que ça ne se reproduise pas. En aménageant certaines choses, dans ma façon de vivre et d’organiser mon esprit, plus que dans le nombre de dates.
La scène t'a-t-elle manquée ?
La scène a commencé à me manquer, je le raconte dans le documentaire, en pleine période d’écriture et d’enregistrement dans ce châlet. On est à Saint-Martin-Vésubie et il y a un concert sur la place du village, le concert d’un ami. A ce moment-là je me dis, tiens ça me manque. J’ai hâte de soigner comme il se doit les chansons que je suis en train d’écrire et de les porter sur scène.
As-tu prévu quelque chose de spécial pour accompagner cet album en tournée ?
Je suis en train d’écrire la mise en scène de mon spectacle. Ce sera une nouvelle histoire, quand je monte sur scène je raconte une histoire en plusieurs actes. C’est comme ça que je mets en scène mes spectacles. Mais je suis pour l’instant dans la phase de création, d’idées de décors et d’idées poétiques à mettre en place autour des chansons.
2.
VEGETARIEN MAIS PAS PROSELYTE
Julien Doré : Il y a assez peu de surréalisme dans la viande. Au contraire, la viande aujourd’hui est extrêmement imprégnée de la réalité. Scientifiquement, on estime qu’elle est dangereuse pour la santé et pour la planète, puisque l'élevage intensif est l'une des causes principales des émissions de CO2.
Tu es donc végétarien par éthique ?
Non, c'est un cheminement personnel qui m'y a amené. Depuis l’enfance, je n'ai jamais vraiment aimé la viande. Petit à petit je me suis renseigné sur ce qu’elle contient. Or, au-delà de la mort d’un animal et de la pollution, elle contient aussi de plus en plus d’antibiotiques. Mais ça ne me pose pas de problème que quelqu'un mange de la viande en face de moi. Chacun est libre.
Paul McCartney ou Prince ont milité pour le végétarisme. Pourrais-tu toi aussi militer en chanson?
Non. Parce que je veux que mes chansons aient une intemporalité, je veux qu’elles voyagent. Je n’écris pas des chansons militantes ou politiques. Elles le sont par essence, mais cette matière-là, cette matière temporelle, je dois la digérer pour la transformer en quelque chose de poétique. Sinon pour moi ça n’a pas vraiment de sens d’écrire une chanson. Il y a quelque chose d’impudique. Si les mots que je chante sont trop précis, au sens narratif, je n’arrive pas à les chanter. J’ai besoin d’air dans mes chansons et que le sens se transforme, évolue, au fil des cœurs qui le reçoivent. C’est hyper important pour moi.
3.
SA MINI MOTO D'ANTI-HEROS
Cette moto et ces moments sur ta monture, qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Julien Doré : (Il regarde la photo en souriant) C’est un véhicule enfantin, en fait.
Oui, tu as choisi une toute petite moto, pas du tout une moto puissante…
C’est comme si j’avais rétréci l’idée d’un super héros, d’un personnage de bande dessinée. L’idée qui m’intéresse c’est d’être un anti héros justement. Cette moto est le symbole de l’anti-héros qui met sa condition d’homme en miniature pour observer ce qui l’entoure. Là en l’occurrence, les décors que je traverse sont d’une certaine façon ce qui reste encore sur notre planète de beau, d’originel, de non travesti, d'abîmé ou rongé par l’homme. Cette mini moto c’est mon véhicule de fable avec lequel je suis suffisamment bas pour ma petite condition d’être humain. Elle me permet de voir grand les choses. De voir la beauté qui m’entoure à une vitesse réduite et assez respectueuse.
Dans le documentaire comme dans le clip du Lac tu es toujours dans la même tenue : casque et lunettes, veste kaki, slim noir et bottines Timberland. Est-ce que c’est un peu ton uniforme de travail pour cet album, comme on endosse un costume de super héros justement ?
Oui, c’est mon bleu de travail poétique en quelque sorte. Mais en même temps ça n’a pas été réfléchi pendant des heures. Par exemple ce casque il m’a plu dans un magasin, la veste je l’ai prise dans un surplus. C’est plus une couche de protection.
Et le loup qui est dans ton dos sur ta veste, a-t-il une signification ?
C’est une louve, en fait. Oui ça a un sens pour moi, d’abord parce que les loups sont présents dans le Mercantour, là où j’ai écrit et enregistré le disque. Et puis ce triangle là est un symbole assez fort qui est à la fois d'être protégé par mon instinct mais aussi d’avoir des yeux dans le dos et de voir donc aussi ce qui vient de beaucoup plus loin.
4.
DAVE GAHAN DE DEPECHE MODE
Julien Doré : C’est évidemment un groupe que j’aime beaucoup. Et qui nous donnait envie de faire de la musique lorsque j'étais dans mon premier groupe Dig Up Elvis. C'est aussi le souvenir d’un concert que j’avais beaucoup aimé aux arènes de Nîmes, quand j’étais encore aux Beaux Arts, vers 21-22 ans.
Qu’est ce qui t’avait foudroyé dans ce concert ?
Le groupe. Le son. La présence. Le moment.
Qu'est ce qui te plaît chez Dave Gahan ?
Il a un vrai charisme. Peu importe la taille de l’espace, c'est le genre de personne dont la seule présence dans un lieu suscite quelque chose. C’est assez rare. Et du coup ces êtres qui à leur échelle d’homme suscitent quelque chose de bien plus grand qu’eux sont pour moi des êtres importants. Aujourd’hui on a tendance à situer l’importance dans d’autres domaines : la richesse, le pouvoir, et on estime qu’un homme important est celui qui a la possibilité de dominer l’autre. Chez les artistes heureusement, le charisme est généralement utilisé de façon positive.
Tu as vu que Depeche Mode vient d'annoncer la sortie d'un nouvel album l'an prochain ?
Non, je ne savais pas. Je ne connais pas tout d'eux. Et je ne les ai vus qu'une seule fois en concert.
5.
ACTEUR ET FUTUR REALISATEUR
Julien Doré : C’était un tournage particulier, j’étais en tournée en même temps. A la base, "Pop Redemption" était un film très bien écrit mais au final il est très moyen. Ce n'est pas un excellentissime souvenir. Heureusement qu' il y avait l'acteur Gregory Gadebois avec qui j’ai tissé un lien très chouette, et qui a été précieux sur ce tournage.
Tu as écrit et co-réalisé le documentaire qui accompagne l’album. Cela te démange de passer de l’autre côté de la caméra ?
Oui. Mais "Pop Redemption" a fait que je n’avais rien envie de tourner après. Or là, je viens de faire une transition avec la série Dix pour cent (la saison 2 est attendue en janvier 2017 sur France 2) dans laquelle je joue mon propre rôle et j’ai redécouvert une équipe de tournage, des acteurs formidables, bienveillants, adorables. Stefi Celma et Grégory Montel, avec qui je tourne les scènes en ce moment, sont des êtres merveilleux. Ca a ré-éclairé quelque chose chez moi dans l’idée de jouer la comédie. Et à côté de ça, effectivement j'ai très envie de passer de l'autre côté de la caméra. J'écris et je co-réalise déjà tous mes clips et je me suis dit que j’allais écrire mon film. Ca fait déjà quelques années que je suis dessus.
6.
LA POCHETTE DE L'ALBUM &
Julien Doré : On a la possibilité de changer de pochette, de changer soi-même l’image qu’on souhaite voir représenter le disque en fonction de son ressenti du jour. C’était important pour moi de laisser cette liberté-là. Le titre de l’album représente justement cette liberté-là, cette ouverture.
Que signifie cette esperluette ?
Cette esperluette est un lien et un fil. C'est un fil car j'ai pris conscience que dans chacune des chansons de ce disque j'essaie de recoudre des plaies, les plaies béantes d'une année 2015 difficile. Avec ces chansons j'ai l'espoir d'apaiser, d'amener un peu de profondeur, peut-être même un peu de sourire, de danse, de solaire. Ce fil-là parcourt les chansons et il recoud certaines choses avec le plus de douceur possible. Douceur et sensualité sont aussi des maîtres mots de cet album. Le signe & est là tout seul parce que je souhaitais que chacun puisse faire l'union qu'il souhaite. Et surtout je voulais que ce titre d'album ne soit pas écrit, tamponné, comme une marque. Je voulais qu'il soit troué, percé, ce & n'existe pas, ce titre d'album a disparu, on regarde toujours au travers, comme à travers une fenêtre ou une serrure.
Dans le documentaire qui accompagne l'album, on apprend que tes chansons commencent souvent par des dessins. Est-ce que ton imaginaire passe d’abord par l’image ?
Oui, toujours. Ce sont des figures imagées qui sont dans mon esprit. C’est comme si j’essayais de décrire ces figures imagées par des mots. Du coup les mots, parfois, ne vont pas forcément ensemble. Mais ils créent quelque chose. C’est à dire que des mots associés qui ne le sont pas normalement dans le langage courant créent malgré tout une image qui est exactement celle que je souhaite décrire dans la chanson, d’une manière que j’espère poétique.
Dans le documentaire, on comprend aussi que tu as particulièrement pris ton temps pour réaliser cet album. Est-ce un aboutissement, quelque chose que tu referas à l'avenir ?
Non. Ce qui prévaut pour moi c'est l'intention. S’il n’y a pas d’intention en faisant des chansons et en montant sur scène alors je pense qu’il y a trahison des gens qui nous aiment et de la chance qui nous est donnée. Ce qui compte c’est l’intention. Si on se focalise là-dessus, alors on tente des choses, on prend des risques. Cela fait dix ans que je fais de la musique et chaque fois ce sont des histoires différentes. Aussi bien il n'y aura pas de prochain album. Ou peut-être dans huit ans. Aussi bien ce sera piano voix, ou bien en anglais ou en italien. Je ne sais pas du tout, je n'ai pas d'analyse sur l'avant ou l'après, je suis juste content de partager ces chansons, je suis vraiment avec elles là maintenant.
7.
LE FOOTBALL AVEC DES YEUX D'ENFANT
Où étais-tu ce jour là ?
Julien Doré : J'étais en tournée, c'était la fin de la tournée "Bichon". Très chouette parce que j'étais avec mes musiciens et mon camarade Darco qui lui est un grand fan du PSG. Le PSG qui a fini deuxième du championnat cette année-là et avait déjà constitué une équipe qui aurait dû être l'élue. Mais Montpellier a raflé la mise dans le dernier virage en tenant bon. (Il sourit) Sur la photo je vois Loulou avec la crête orange, Hilton, Yanga-Mbiwa et Stambouli qui est d'ailleurs passé depuis au PSG.
Qui est ton joueur préféré de cette époque ?
Olivier Giroud qu'on ne voit pas sur l'image et Younes Belhanda qui est derrière et qui maintenant joue à Nice.
Tu vas souvent au stade ?
Non, j'y vais très peu, je regarde beaucoup de matchs à la télé. Mais quand je peux, quand je suis dans le sud et qu'il y a un match à la Mosson, j'appelle Loulou et je vais le voir. Ce sont toujours de chouettes moments.
Le foot, tu es tombé dedans tout petit ?
Oui petit j'aimais ça. Je jouais au foot, c'était le sport que je pratiquais avec les copains.
Tu avais écrit une chanson sur Platini, qu'as-tu pensé de l'affaire FIFA ?
Ca rejoint ce qu'on disait sur la notion de pouvoir. C'est ce qui m'étonne toujours sur le football. Je me demande comment je peux encore avoir ce regard d'enfant vis-à-vis de ce sport. Car le football est entaché en permanence de problèmes d'argent, de choses parfois extrêmement moches. Donc je m'interroge. Mais en fait ce que j'aime c'est le ballon et les joueurs.
8.
FRAGMENTS D'UN DISCOURS AMOUREUX
Julien Doré : Ce livre m'a accompagné mais une fois encore ce n'était pas réfléchi, je l'ai juste emporté avec moi au châlet, où a été conçu le disque.
Toi qui parle toujours beaucoup d'amour, qu'y as-tu puisé ?
Ce livre est à la fois un abécédaire très libre et en même temps un ouvrage très poétique. C'est très marrant. C'est une analyse à la fois hyper bien écrite et qui joue avec l'idée de décodage du sentiment amoureux. Ca voyage, c'est complètement indéfinissable, et on se reconnait en permanence. On voit bien que ce sont des cycles et une mécanique par lesquels on passe nécessairement.
Du coup, c'est aussi un peu une mise à distance du sentiment amoureux, non ?
Oui c'est vrai c'est une mise à distance mais j'ai beaucoup aimé puiser des choses, comme ça, au fil de ce livre. Quasiment tout me parlait immédiatement. En commençant la lecture j'avais toujours un critérium pour souligner des passages mais j'ai fini par arrêter parce que je soulignais énormément de choses : des idées, des figures de style, des façons dont les choses étaient écrites ou même parfois citées.
Y a-t-il un détail de ce livre que tu as utilisé en particulier sur l'album ? Une chanson, un couplet ?
Il faudrait que je l'aie avec moi. Mais je ne crois pas. Je me rappelle que j'avais souligné des choses en me disant "ah ça c'est une formule magique, ces deux mots ensemble sont sublimes", mais je ne crois pas au final avoir réussi à l'injecter dans les textes. Cela m'arrive souvent. J'ai cette quête d'absolu dans mes textes, d'une sculpture de mots presque parfaite et parfois je note des choses qui viennent d'ailleurs dans des carnets mais je n'arrive pas les insérer parce que ce ne sont pas mes mots. En revanche, c'est sûr qu'une lecture comme celle-là quand on écrit des chansons, ça déclenche des choses. Ne serait-ce que pour le champ lexical. Ca travaille l'esprit. C'est très nourricier.
Ta dernière lecture ?
On m'a offert ça (il le sort de sa poche) : "Propos sur la racine des légumes" de Zicheng Hong. C'est une suite de pensées des écrits chinois du 17e siècle. Je n'en avais jamais entendu parler. C'est très très bien.
L'album "&" de Julien Doré (Sony) est sorti le 14 octobre
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