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: Interview Chilly Gonzales sort "Solo Piano III" et nous livre ses secrets de fabrication

Rappeur, pianiste virtuose, généreux pédagogue et génie autoproclamé, collaborateur de Drake et de Daft Punk, le flamboyant Chilly Gonzales publie le troisième volume de ses "Solo Piano", une nouvelle merveille de délicatesse "pop" instrumentale. Rencontre avec l'excentrique musicien en robe de chambre, objet par ailleurs d'un documentaire attendu en salles le 3 octobre.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Chilly Gonzales, dit Gonzo, pianiste et entertainer de génie.
 (Alexandre Isard)
Comment sont nés les "Solo Piano" ?
Chilly Gonzales : Le premier Solo Piano était un accident. Je l'ai enregistré sans même savoir que je faisais un album. C'était une activité de loisir pendant une période particulièrement chargée au studio, alors que j'enregistrais des chanteuses et des chanteurs à Paris. Il y avait beaucoup de monde en studio, comme une cour royale, il fallait être diplomate, on ne pouvait pas juste être dans la spontanéité et l’exubérance dont j’ai l’habitude. Alors pour relâcher la pression, je suis allé dans une autre pièce de studio et j’ai commencé à pianoter et à enregistrer sans savoir où cela allait me mener.

J'étais à fond dans mon électro rap à l'époque. Et surprise, "Solo Piano" a été l'album qui m'a ouvert toutes les portes. J’ai noté que les gens en parlaient d’une autre manière que mes autres albums. C’était plus personnel, plus émotionnel et je me suis dit "Je veux plus de ça".

Quel était le challenge pour "Solo Piano III" ?
Pour "Solo Piano II", je ne voulais pas perdre l'attachement du public. J'ai réussi à ce que cela reste familier pour les auditeurs tout en apportant de la nouveauté, plus de minimalisme et peut-être plus d'électro dans le jeu au piano, des trucs beaucoup plus pop, un peu moins à la Eric Satie. Pour le troisième c'est beaucoup de pression parce qu'il va être comparé à deux albums existants. C'est flippant, c'est terrifiant même. Il fallait donc que j'emmène "Solo Piano III" ailleurs, tout en restant dans les frontières de ce que j'ai établi par accident en 2004.

Composes-tu de la même manière les "Solo Piano" et tes autres projets ?
Je compose et je fais de la musique tout le temps, instinctivement, sans calcul, sans arrière-pensées, sans dead-lines. J'essaye de faire ça comme manger et boire. Et presque toujours au piano. Puis les morceaux s'accumulent. Et je décide à un moment donné où ira tel ou tel morceau. Est-ce qu'il reste dans mon tiroir ? Est-ce que je l'envoie à un rappeur ? Est-ce qu'il convient à mon prochain projet ? Ou bien est-ce que c'est un vrai morceau têtu qui ne veut pas quitter le piano et finira sur un "Solo piano" ?

Fin 2016, j'avais une collection de 10 titres, assez pour faire Solo Piano III. A partir de là, l'artiste devient The Entertainer. Je suis moins dans l’instinctif, plus dans le calcul et le jugement. Les morceaux se transforment en œuvre destinée à des auditeurs. C'est le moment où je donne un titre aux chansons, où je pense aux dédicaces, où j’essaye de raconter une histoire capable d'éveiller l'intérêt de l'auditeur.

Pour quelle raison dédies-tu un morceau à Thomas Bangalter de Daft Punk sur "Solo Piano III"?
"Present Tense" est un morceau qui donne une impression d'urgence tout en étant un peu baroque. Je tape sur les touches du piano d'une manière très constante, on dirait que j'essaye d'être une machine. Donc ça m'a fait penser à Daft Punk et je l'ai dédié à Thomas Bangalter.

Peux-tu me parler du morceau "Chico" inspiré de Chico Marx ?
Chico des Marx Brothers est le premier pianiste que j'ai vu utiliser le piano pour amuser son public. Mon grand-père, qui était mon premier prof, voulait que je respecte le compositeur à tout coup. Mais Chico Marx, lui, respectait son public. Et j’ai vu la différence. Je lui dois mon côté entertainer, ainsi qu'à Victor Borge, un comique musical danois très présent à la télévision américaine dans les années 60 à l'époque du Ed Sullivan Show. C'est un pianiste qui aurait pu être virtuose mais qui n'a pas résisté à faire le clown.

Pourquoi ressens-tu le besoin, sur scène, non seulement de faire le clown mais aussi de décortiquer la technique et le making of de tes compositions ?
Parce que je veux donner une chance d'apprécier ma musique à des gens qui écoutent peu de musiques acoustiques instrumentales. C'est très important pour moi d'avoir un public varié. Je veux attirer une nouvelle génération non initiée musicalement. Solo Piano est peut-être le seul disque de piano de leur collection et je suis très fier qu'ils aient choisi le mien. J'essaye de faire des connexions avec le rap qu'ils écoutent ou le morceau de pop qu'ils connaissent déjà. Je ne veux surtout pas qu'ils puissent être intimidés
 
Quelle est l'idée derrière le Gonzervatoire, l'atelier musical éphémère que tu as monté ?
J'essaye de mettre au point une méthode pour aider les artistes à être à l'aise sur scène et à devenir de bons performeurs. C'est le meilleur cadeau que je puisse transmettre à de jeunes musiciens. Parce que quand on est un bon performeur on peut bien gagner sa vie, maintenant que l'industrie du disque a explosé. Ce projet est auto-financé aux trois-quarts par moi. J'ai fait venir fin avril à nos frais du monde entier sept élèves, dans leur vingtaine.

Je leur ai montré qu'il y a plusieurs manières d'être un entertainer. Ma façon est très extravertie : je parle aux gens, je les fais rire. Daft Punk font autrement. Peaches encore autrement. On aborde tous la scène différemment. L'idée est que chacun trouve son chemin. Mais le principe est le même : il faut se faire confiance et se forcer à créer des risques contrôlés. Il faut apprendre à "lire le moment". Le performeur doit se mettre un peu en danger, sortir de sa zone de confort. Oser l'inédit, provoquer la surprise. Cela crée des liens avec le public car il a conscience d'assister à quelque chose d'unique et de différent. Et il reviendra. J’ai appris ça en 20 ans.

On t'a découvert avec un album de rap ("The Entertainist" en 1993). Dans "Solo Piano III" tu dédies un morceau au groupe de rap Migos. Le rap t’influence-t-il encore ?
Oui. C’est ce que j’écoute tout le temps. J’aime beaucoup Drake, avec qui j'ai travaillé, et la plupart des rappeurs américains à succès, dont Migos. Eux, ils ont vraiment transformé la façon de rapper. Les Migos rappent avec des groupes de trois mots, des triolets, alors que les rappeurs d’avant c’était des groupes de quatre ou deux mots syncopés. C’est aussi révolutionnaire que lorsque Charlie Parker a joué des doubles croches sur le swing. C’est l’inverse, en fait. Ce sont des polyrythmies, un nouveau niveau de sophistication du rythme dans le rap. Aujourd'hui, tous les rappeurs ont un peu incorporé le Migos flow dans leur flow préexistant. Sur le morceau dédié à Migos, "Ellis Eye", je joue en quatre avec la main gauche et en trois comme la valse avec la main droite donc c’était le même principe de polyrythmie que le beat d’un morceau de rap couplé au rap de Migos : j’ai traduit ça entre main gauche et main droite.

Tu sembles d’une liberté absolue en matière de musique mais as-tu des tabous, des limites, des genres musicaux que tu n’aimes vraiment pas ?
Je n’aime pas la musique où ça envoie tout le temps. Je n’aime pas par exemple les chanteurs qui chantent tout le temps très fort, comme cela arrive souvent dans le R&B. Je n’aime pas la musique où le climat est sombre constamment. Mais souriant et heureux tout le temps je n’aime pas non plus. Dans la musique que j’écoute il faut qu’il y ait des contrastes, des contradictions, dans la musique elle-même et aussi dans les musiciens qui la font. Parce que pour moi la musique seule n’est pas assez.
 
La raison pour laquelle je raconte une histoire autour de ce que je fais c’est parce que la musique me frappe beaucoup plus fort quand je suis attaché et fasciné par la personnalité dont elle émane. Je veux que les gens soient intrigués par mon personnage parce je pense que l’impact de ma musique en sera décuplé. C’est la musique qui compte, évidemment, mais le personnage est là pour l'amplifier et la soutenir.
 
Le seul tabou pour moi, c’est d'assister à un concert où le musicien ne regarde même pas le public, ne paraît ni attentif ni heureux d’être sur scène. Peu importe ce qu’il joue, au bout de dix minutes je tourne les talons parce que je me sens insulté.

Qu’est-ce que la musique classique ? Quelle est ta définition ? On dirait que tu essayes toujours de brouiller les pistes entre pop et musique dite savante?
Justement comment pourrais-je définir un style de musique quand je ne vois pas les frontières ?
Et si tu pouvais changer quelque chose à la musique classique ?
Mais je ne suis pas là-dedans moi, je suis un artiste pop ! Je suis content de pouvoir jouer dans des salles plutôt classiques mais pour moi c’est un monde qui paraît moins vivant que la pop. Et moins attentif au public. Pour ma part, j’ai choisi la vie et j’en suis heureux. Du coup, le sentiment que j’ai pour eux c’est davantage de la sympathie mêlée de pitié parce que j’ai envie de leur dire: "ça pourrait être tellement plus fun pour vous !"

L'album "Solo Piano III" de Chilly Gonzales (Gentle Threat/PIAS) est sorti le 7 septembre 2018
Un film autour de Chilly Gonzales "Shut up and play the piano" sort en salles le 3 octobre

Chilly Gonzales est en concert à Paris (sold out) le 22 septembre au Collège des Bernardins puis du 24 au 26 septembre Salle Gaveau. Deux nouvelles dates parisiennes viennent d'être annoncées : les 26 et 27 juin au Trianon. Chilly Gonzales sera également en tournée pour une poignée de dates en début d'année : le 12 février 2019 à Nantes, le 13 février à Rennes, les 15 et 16 février à Bordeaux et le 2 mars à Metz. 

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