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Une "Traviata" de Verdi d’une grâce infinie au Théâtre des Champs-Elysées

Une nouvelle "Traviata" ! Mais avec le regard de Deborah Warner, "papesse" du théâtre shakespearien, qui avait voulu une chanteuse incarnant pour la première fois la petite tuberculeuse de Verdi. Pari réussi, avec dans le rôle Vannina Santoni, une révélation.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Vannina Santoni dans la Traviata
 (Vincent Pontet)

La révélation Vannina Santoni

On la connaissait, Vannina Santoni. On l’avait remarquée en Frasquita, l’amie de Carmen ou dans "La nonne sanglante" de Gounod à l’Opéra-Comique. De là à tenir le rôle de Violetta, un des plus difficiles du répertoire, et de le faire avec cette grâce infinie, cette tendresse si émouvante de petit oiseau perdu qui voudrait déployer ses ailes alors que c’est la mort, oiseau noir, qui va fondre pour l’enlever…

Deborah Warner a entouré sa chanteuse d’un bel écrin. On pouvait s’inquiéter car les grands metteurs en scène de théâtre font souvent à l’opéra … du théâtre, en oubliant complètement le livret et la musique. Warner a eu une idée -simple, et belle comme souvent les idées simples. Le rideau s’ouvre sur un hôpital froid où Violetta, en blouse de malade, avance à pas menus. Et voici qu’entre Violetta en belle robe rouge, suivie de tous les choristes en tenue de soirée qui vont chanter avec elle le célébrissime "Libiamo". Violetta d’aujourd’hui, à l’agonie (incarnée par Aurélia Thierrée, comédienne et petite-fille de Charlie Chaplin), revoit dans ses derniers moments la Violetta d’hier (Vannina Santoni), heureuse, amoureuse, étourdie de plaisirs et de champagne…
Vannina Santoni, la petite tuberculeuse de Verdi
 (Vincent Pontet)

Deux Violetta

Idée simple mais surtout incarnée, mise en scène avec justesse ; et bien sûr, au fur et à mesure que l’œuvre se déroule, les deux Violetta vont se rapprocher, de sorte qu’au dernier acte la chanteuse a remplacé la comédienne. Autre idée toute simple : ce que l’on voit, ce n’est pas une femme en repentir, une femme qui doit expier sa vie de "dévoyée" (titre de la version française, que l’on chanta à Paris moins de dix ans après la création en italien), mais une femme juste amoureuse, qui s’ouvre à la vie (le modèle, Marie Duplessis, mourut à 23 ans, même si en ce temps-là les années comptaient bien plus), aux plaisirs de la vie, et recherche les jours heureux.

Warner respecte parfaitement l'oeuvre

Elle les recherche peu à peu en sens inverse car Warner, autre qualité, respecte parfaitement l’œuvre, qui vire lentement au noir. La fête initiale et la fête chez Flora sont ainsi montrées en miroir, une Violetta joyeuse et amoureuse au début, une Violetta (dans la même robe) bafouée et déchue alors que les fêtards, autour du solaire Gaston (Mathieu Justine), continuent à s’amuser, indifférents désormais à la malheureuse. Et Violetta est désormais gagnée par les ombres, celles, mouvantes, qui s’agitent en fond de scène, comme dans les sinistres dessins à la plume de Victor Hugo (superbes lumières de Jean Kalman, superbes costumes de Chloé Obolensky)

Il y a enfin, et là on sent la directrice d’acteurs, une attention infinie à la vérité des scènes, que Vannina Santoni saisit parfaitement. Sa rencontre avec Alfredo est une délicieuse chorégraphie des gestes et des sentiments. Mais le sommet est la scène avec Germont père, quand celui-ci, venue pour convaincre Violetta de rompre avec son fils, découvre non l’intrigante qu’il s’attendait à voir mais une femme sincèrement amoureuse et qui comprend d’emblée que ce sacrifice est nécessaire et que son passé de courtisane la rattrape au moment où elle voudrait y échapper. Le désespoir de Santoni, le désarroi et la compassion impuissante de Laurent Naouri, tireraient des larmes à un dictateur coréen.

Laurent Naouri exemplaire                                             

On a évoqué le charme de Vannina Santoni : son chant, d’une voix profonde mais qu’elle ne "pousse" jamais, lui permet de réussir et le redoutable enchaînement des fameux E strano" et "Sempre libera" et aussi, au moment de mourir, un "Addio del passato" qui lui vaut une ovation du public. On est bien plus réservé sur l’Alfredo de Saimir Pirgu, un peu conventionnel, au timbre sans charme particulier, qui chante toutes les notes, certes (des notes de ténor tout de même !), mais reste un chanteur et non un acteur, loin de l’intensité de ses partenaires. Laurent Naouri, lui, est exemplaire, il n’a pas la profondeur de la voix de Germont père mais il le compense par une magnifique musicalité et une belle compréhension du personnage.

Les rôles secondaires vont du bon au moyen et les chœurs de Radio-France sont très bien. Jérémie Rhorer, à la tête de son "Cercle de l’Harmonie", a repris le diapason "verdien" (plus bas) et débarrassé la partition des "mauvaises habitudes" (notes hautes de ténor ou de soprano que Verdi n’a jamais écrites) : il en résulte des cordes qui manquent infiniment de sensualité dans les premières scènes mais qui sont d’une terrible rudesse -terrible et très judicieuse- quand elles accompagnent les derniers instants de Violetta. Et la petite fille perdue de s’effondrer les yeux tournés vers le ciel, non pour y voir Dieu mais, une dernière fois, la lumière de la vie terrestre.

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