"Salomé" à l'Opéra Bastille : Lise Davidsen triomphe dans la dystopie radicale de Lydia Steier
D'emblée, les évidences. Bien des talents brillent sur la scène de l'Opéra Bastille pour l'œuvre la plus connue de Richard Strauss, Salomé : Lise Davidsen dans le rôle-titre, Mark Wigglesworth à la baguette et Lydia Steier à la mise en scène. Appuyés par tous les autres artistes qui se meuvent dans un décor post-apocalyptique. Le public avait déjà été très surpris, il y a deux ans, par la mise en scène de l'Américaine Lydia Steier lors de la création de sa production à Bastille.
Sa version de Salomé de Richard Strauss apparaît comme une provocation radicale et une condamnation de la surconsommation. La metteuse en scène dépeint une société décadente, en manque d'idéal, qui se réfugie dans la dépravation et les orgies sexuelles pour tromper l'ennui. Une société qui a faim de jeunesse éternelle. Salomé, elle, est obnubilée par ce qu'elle ne peut avoir : le prophète Iochanaan (Jean le Baptiste).
L'amour, la mort et le sexe
Le spectacle s'ouvre sur un décor mussolinien. Au premier niveau, trois militaires suréquipés et surarmés, des fossoyeurs en combinaisons de protection et des employés portant des cadavres de jeunes gens. Au niveau supérieur, à travers une baie vitrée, des personnes riches festoient dans un excès de débauche. À l'abri du regard, dans les oubliettes, Iochanaan. Et Salomé, représentée non pas en beauté orientale et mystérieuse censée envoûter les hommes, mais comme une psychopathe, blessée d'avoir été repoussée, avide de vengeance.
Autre personnage à part entière : la musique inspirée, formée de vagues puissantes, qui affluent et refluent avec subtilité. La musique accompagne Salomé et l'emmène encore plus loin. La soprano norvégienne Lise Davidsen incarne Salomé avec une amplitude vocale impressionnante. Elle est aussi remarquable par son jeu, notamment dans la scène de "danse". Ainsi, au lieu d'offrir une danse à son beau-père, le roi Hérode qui la désire, elle s'offre à lui physiquement. Elle subit ensuite l'assaut de toute la cour. En échange, elle exige la tête de Jean-Baptiste pour embrasser sa bouche. Viol ou prostitution ? Lydia Steier laisse le public libre de son interprétation.
Le futur, c'est maintenant. Lydia Steier évoque les rapports de domination hommes/femmes, élite/peuple… On pense aussi au Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, le sexe remplaçant la pilule du bonheur. Lydia Steier porte un tout autre regard sur Salomé. À la sensualité et séduction originelles, elle oppose la mort et le sexe. L'une des scènes les plus marquantes, après celle de la danse qui illustre cette dualité mortifère, est le cri de haine et d'amour de Heriodias, interprétée remarquablement par la mezzo-soprano Ekaterina Gubanova, qui par détestation du prophète flirte avec l'aliénation. Salomé, une œuvre qui questionne notre présent et notre futur. Radicale.
La fiche
Titre : Salomé
Genre : Drame lyrique en un acte (1905)
D'après la pièce éponyme d'Oscar Wilde, dans la traduction allemande de Hedwig Lachmann
Musique et livret : Richard Strauss
Direction musicale : Mark Wigglesworth
Mise en scène : Lydia Steier
Dates : Jusqu'au 28 mai 2024
Distribution : Lise Davidsen, Johan Reuter, Gerhard Siegel, Ekaterina Gubanova, Pavol Breslik, Katharina Magiera, Matthäus Schmidlechner et Éric Huchet.
Synopsis : Quand le roi Hérode promet à sa belle-fille Salomé, princesse de Judée, ce qu'elle voudra en échange d'une danse, il est loin de se douter qu'elle demandera… la tête du prophète Iokanaan (Jean le Baptiste), pire, qu'elle en embrassera la bouche. Si l'histoire de Salomé remonte aux Évangiles, c'est la tragédie d'Oscar Wilde, écrite en 1891, qui donne au mythe toute sa puissance en mêlant étroitement sexualité et religion, désir et mort, obsession et décadence. Le troisième opéra de Richard Strauss garde les contours sulfureux de la pièce en y ajoutant une musique vocale et orchestrale d'une grande modernité, provoquant le scandale lors de sa création à Dresde en 1905.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.