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Patricia Petibon : "Poulenc fait partie de ma vie"

À partir de mardi, la soprano célèbre Francis Poulenc, son compositeur de prédilection, au Théâtre des Champs-Elysées, dans le poignant opéra « Dialogues des Carmélites », mis en scène par Olivier Py. Patricia Petibon a enregistré par ailleurs un disque consacré à des œuvres religieuses du musicien disparu il y a 50 ans, parmi lesquelles son « Stabat Mater », sorti début novembre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Patricia Petibon
 (Lucy Boccadoro / Deutsche Grammophon)
Du 10 au 21 décembre au Théâtre des Champs-Elysées, Patricia Petibon incarne Blanche de la Force, l’une des héroïnes de l’opéra « Dialogues des Carmélites » de Francis Poulenc (1899-1963), dans une mise en scène d’Olivier Py. Un événement que vous pourrez vivre en direct sur Culturebox le 21 décembre. La soprano connaît très bien cette œuvre, la plus marquante qu’elle ait jouée jusque-là dans sa carrière, et l’une des partitions qu’elle a le plus chantées. Mais elle n’a abordé que récemment le rôle tourmenté de Blanche, après avoir joué pendant des années celui, plus serein, de Constance.
La rencontre
Lors d’un entretien à Paris le 30 octobre dernier, Patricia Petibon nous a longuement parlé de l'opéra « Dialogues des Carmélites » et nous a présenté sa relation au long cours avec la musique de Francis Poulenc.

- Culturebox : Vous avez joué à de nombreuses reprises "Dialogues des Carmélites", pouvez-vous nous présenter cette œuvre de Poulenc ?
- Patricia Petibon : Poulenc a composé une musique très forte, sur un texte, très fort aussi, de Bernanos. C’est l’histoire vraie de religieuses qui ont été guillotinées à l’époque de la Révolution. Il y a du débordement dans toute révolution, même si celle-ci était inéluctable et souhaitable pour le peuple français qui souffrait. C’était un moment d’histoire très barbare, on ne peut pas se réjouir du sang d’innocents qui a été versé, même si les rois étaient barbares aussi. C’est une époque très marquante qui fait également notre portrait à nous, Français.
 
- Cette histoire garde donc toute sa résonnance, aujourd’hui encore ?
- L’histoire est assez tragique, mais elle est contemporaine en même temps. On est face à un carmel avec des femmes qui ont une conduite à tenir, une autorité, et quand elles se retrouvent face à l’épreuve… C’est le cas de mère Marie, la plus rêche, la plus autoritaire d’une certaine façon, qui va se débiner et ne pas suivre la règle qu’elle enseigne aux autres. C’est une histoire qu’on peut aussi transposer à la Seconde guerre mondiale, où les gens se dénonçaient, avaient peur de l’engagement. Dans le même temps, toute une jeunesse s’est engagée dans la Résistance. Est-ce que nous, aujourd’hui, nous serions capables de risquer notre vie ?
Patricia Petibon
 (Felix Broede / DG)
- Après avoir interprété pendant longtemps le rôle de Constance, vous jouez désormais celui de Blanche. Quelles sont les grandes différences entre ces personnages ?
- Constance a été l’un de mes rôles à succès. C’est la petite jeune, un personnage très lumineux, le soleil de la pièce. Au Théâtre des Champs-Elysées, je vais chanter l’autre rôle, beaucoup plus sombre, de Blanche de la Force. Je l'ai déjà chanté à Vienne. Blanche est terrorisée du début à la fin. Elle lutte contre ses propres peurs, la peur de la mort, la peur de l’engagement. Et finalement, elle rejoint son destin et sa force. Elle va vers un engagement fatal.
- Quelles sont les différences au niveau vocal ?
- Constance est un être léger, et même si elle dit aussi des choses graves, on ne se trouve pas dans du tragique mais dans une intuition profonde, de l’instant. Blanche est quelqu’un qui souffre, donc on évolue sans arrêt dans quelque chose qui creuse le corps et l’esprit. C’est un rôle beaucoup plus dramatique, qui nécessite pas mal d’aigus et de graves, ce qui demande d’avoir une réserve physiologique, physique. Il y a quelque chose de déchirant dans ce rôle, il y a du vérisme aussi, un héritage de l’opéra italien, ça demande d’être investi, d’avoir une couleur particulière.
 
"On est face à sa propre mort"

- Cette œuvre ne vous quitte pas, tout comme son compositeur. Dans la vidéo de présentation du "Stabat Mater", vous dites que vous avez débuté avec Poulenc et que vous terminerez avec lui…
- C’est parce qu’il y a tellement de rôles de femmes dans «Dialogues des Carmélites» qu’on a envie de tous les faire ! Pour certains rôles, il faudra que je gagne un peu de graves, comme pour celui de la première prieure. C’est une gageure, un très beau rôle de fin de carrière. Ça doit être terriblement impressionnant de le faire parce que ça parle de la mort. On se voit mourir. Quand on chante cet opéra, on est face à sa propre mort et à celle des autres. Il y a quelque chose de très symbolique, un miroir de ce que nous sommes. Cet opéra vous prend aux tripes. Si on va le voir, il faut savoir à quoi on s’attend. Ça bouleverse, ça bouscule. Si vous avez un deuil, il ne faut pas y aller. Les gens pleurent à la fin. Même nous, on pleure. On ne supporte pas, c’est insupportable. Quand j’ouvre la partition maintenant, j’ai une espèce de décalage. Je n’y vais pas. Je chante en surface, je m’amuse, mais je ne vais pas dans l’émotion parce que quand j’entends les accords, quelque chose me traverse, comme si j’avais toutes les cellules de cette musique qui arrivaient sur moi, c’est vivant, je sais que ça va être très dur à gérer. Plus on vieillit, plus on a la conscience de l’instant. J’ai vu des gens qui ne s’attendaient pas à avoir un choc comme ça.
- Parlez-nous de Francis Poulenc, dont 2013 marque le cinquantième anniversaire de la disparition.
- J’ai eu un coup de foudre pour ce compositeur à l’époque où, parallèlement à mes cours de chant, je faisais aussi des études de musicologie au conservatoire de région de Tours. Poulenc est un compositeur à la fois populaire et savant. Il a écrit tout un cycle de mélodies -pièces pour voix et piano- où l’on est proche de la chanson. Chanson avec une certaine sophistication dans l’approche musicale, avec des choses qui ont l’air simples mais ne le sont pas. Il a beaucoup composé pour les enfants, des choses pleines d’humour. J’ai approché Poulenc de ce côté humoristique, car même si c’est une musique très sérieuse, il met de la légèreté dans les choses très graves. Il fait partie de ce groupe de musiciens, comme Eric Satie, qui possèdent un humour qui est aussi français. Je dirais aussi que Poulenc est proche d’un compositeur comme Bernstein, où il y a aussi à la fois le drame et le côté très spirituel et léger. Ils ont ce côté un peu Charlie Chaplin. Et si vous écoutez « Dialogues des Carmélites » en anglais, vous avez vraiment l’impression que c’est une comédie musicale. Il y a quelque chose qui swingue, qui est très enlevé, même si c’est très tragique.
- Francis Poulenc sera-t-il présent dans vos projets futurs ?
- J’ai toujours porté Poulenc. Dans mon prochain disque, il y aura du Poulenc. Toute ma vie a été ponctuée par ce compositeur. Il m’accompagne, il fait partie de mes phares. Je connais la famille Poulenc. Je suis toujours très impressionnée de les voir arriver aux représentations de « Dialogues des Carmélites ». Pour le disque enregistré récemment, ils sont venus me voir très gentiment, ils m’ont proposé d’aller voir le piano de Poulenc, à Tours, et de leur rendre visite. Pour eux, c’est aussi une façon d’entretenir sa mémoire. Ils sont toujours heureux de rencontrer les interprètes. C’est un grand honneur de voir la famille venir vous remercier. C’est un lien direct, vivant. J’aime les voir, discuter avec eux. Poulenc fait partie de ma vie.

- Un mot sur les œuvres du disque de musique sacrée sorti il y a un mois ?
- Dans ce disque, je chante dans le « Gloria » et le « Stabat Mater » de Poulenc. On sent qu’il y a une inspiration par rapport à « Dialogues des Carmélites ». Elles ont un côté très éthéré, stratosphérique, c’est compliqué pour chanter, il y a un côté un peu Angélus. En même temps, on retrouve cet humour qui caractérise un peu la musique religieuse de Poulenc. Pour le « Gloria », il y a eu un scandale à l’époque : Poulenc a raconté qu’il l’avait composé en s’inspirant d’un tableau où l’on voyait des anges tirer la langue, ainsi que des bénédictins qui jouaient au football ! Sur un texte profondément religieux, il a ajouté une pointe d’humour, quelque chose de festif sur une musique très intègre dans ce qu’elle raconte, dans la profondeur du sentiment.

(Propos recueillis par A.Y.)

Patricia Petibon au JT de 13H (21 novembre 2013)
« Dialogue des Carmélites »
Opéra de Francis Poulenc (1957)
Livret d’après la pièce de Georges Bernanos publiée en 1949
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
10, 13, 15, 17, 19, 21 décembre 2013
Renseignements ici ou au 01 49 52 50 50
 
Direction musicale : Jérémie Rohrer
Philharmonia Orchestra, Chœur du Théâtre des Champs-Elysées
Mise en scène : Olivier Py
Décors et costumes : Pierre-André Weitz
Lumières : Bertrand Killy
 
Avec Patricia Petibon (Blanche de La Force), Sophie Koch (Mère Marie de l’Incarnation), Véronique Gens (Madame Lidoine), Sandrine Piau (Constance de Saint-Denis), Rosalind Plowright (Madame de Croissy), Topi Lehtipuu (Chevalier de La Force)…

A VIVRE EN DIRECT SUR CULTUREBOX LE JEUDI 19 DECEMBRE, puis disponible en replay 

« Poulenc : Stabat Mater, Gloria, Litanies à la Vierge noire »
Patricia Petibon, Päävo Järvi, Orchestre de Paris, Chœurs de l’Orchestre de Paris
Album sorti le 4 novembre 2013 chez Deutsche Grammophon / Universal
  (Deutsche Grammophon)
 

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