Le "Balcon" de Genet transformé en opéra déjanté à l'Athénée
Avant même le lever de rideau, un geste comme pour déclarer le spectacle ouvert, comme jadis les trois coups : l'un des chanteurs et comédiens du Balcon, imposante mais longiligne silhouette de Madame Irma, fait son entrée sur scène en jetant au chef d'orchestre une cagoule noire que celui-ci, comme les autres musiciens, va devoir porter durant tout le spectacle. Le ton est donné : le Balcon endosse le masque.
Fable sur l'illusion
Ecrit par Françoise Morvan, d'après l'œuvre de Jean Genet, cet opéra "Le Balcon", est une fable sur la réalité trompeuse, la théâtralisation de la vie, l'illusion. Le masque est partout, il détermine l'existence. Sur la scène, il couvre le visage des danseurs, hommes et femmes, moulés dans des combinaisons intégrales en latex noir, sexy et cachotières.
Tout ici est trompeur et les personnages se cachent derrière leurs costumes : Madame Irma, la toute puissante tenancière d'un claque, interprétée par un homme, le très juste Rodrigo Ferreira en contre-ténor et drag-queen et puis la reine, incarnée par le même, puis le chef de la police, le bourreau, l'insurgé…
Et surtout la trinité du juge, de l'évêque et du général - tous trois magnifiquement vêtus d'une vaste robe en cône inversé. Ces fonctions cardinales de la société ne prennent forme, dans la première partie de l'opéra, que le temps d'une passe ou d'un jeu érotique chez Madame Irma. Elles réapparaissent, après l'entracte, incarnant un ordre précaire quand, sous les balles des insurgés, le pouvoir semble vaciller. L'univers de ce Balcon est sérieusement loufoque, ou inversement. Il y a, dans la mise en scène de Damien Bigourdan, du Alfredo Arias des meilleures années. Et la musique de Peter Eötvös, compositeur hongrois disciple de Stockhausen et ancien directeur de l'Ensemble Inter-contemporain, est à l'image de l'écriture de Jean Genet : à la fois grave et enjouée. Le jazz y côtoie des tons très contemporains, des airs de comédie musicale entre Kurt Weill et Michel Legrand, et jusqu'à des chansons de Jacques Brel !
Sonorisation
Déçu par la première création de son "Balcon" à Aix-en-Provence en 2002, Peter Eötvös a accueilli avec enthousiasme le projet de l'ensemble Le Balcon de sonoriser entièrement son œuvre. "Ça s'y prêtait parfaitement", explique Maxime Pascal : "c'est une pièce de théâtre mise en musique, le texte est donc le cœur du projet, même si la dimension lyrique et de chanson (Eötvös avait pour références les voix de Brel, de Fréhel ou de Piaff) sont importants. Du coup, la partition elle-même appelle à une sonorisation de tous les chanteurs pour parvenir à ce rapport parlé-chanté typique de la comédie musicale". Cette articulation est l'une des réussites de l'œuvre présentée au Théâtre de l'Athénée, comme le démontrent les prestations de la soprano Shigeco Hata (Carmen, qui assiste Irma, véritable révélation de cette production), du contre-ténor Rodrigo Ferreira (remarquable dans son rôle) et de l'ensemble de la troupe.
Chanteurs, musiciens, danseurs, comédiens, investissent, masqués ou à visage découvert, dans "Le Balcon", tous les espaces de la scène et de l'orchestre jusqu'aux gradins. La salle s'en voit ravie. Seul regret, l'absence de sous-titres qui auraient permis de suivre et apprécier davantage le texte inspiré de Genet.
Le Balcon de Peter Eötvös, d'après Jean Genet
Du 20 au 24 mai 2014
Théâtre de l'Athénée
7 rue Boudreau, Paris IXe
01 53 05 19 19
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