Musique : on vous explique pourquoi des "gros" artistes touchent plus de subventions que des jeunes talents
La Cour des comptes recommande dans un rapport publié en juin dernier de réduire les aides à la création apportées aux projets d’artistes installés qui paraissent, selon elle, nécessiter moins de soutien que des artistes émergents. Ces aides à la création proviennent en fait de la rémunération pour copie privée. On vous explique.
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La rémunération pour copie privée : qu'est-ce que c'est ?
Elle a été instaurée en France en 1985. Dès lors que vous achetiez une cassette, un CD ou aujourd’hui, un smartphone, en bref tout appareil qui permet de stocker des copies de musique, de films, ou de livres, vous payez une redevance. Aujourd’hui, pour un smartphone par exemple, elle est d’un montant de 14 euros. Vous "achetez" donc le droit de copier des œuvres pour un usage privé et cet argent permet en partie de rémunérer ceux qui produisent ces œuvres.
Plus précisément, 75 % de cet argent collecté permet de rémunérer directement les auteurs, les artistes et les producteurs pour ce droit accordé. Les 25 % restants contribuent, selon le ministère de la Culture, "au dynamisme culturel et au développement de l’activité créatrice en France", et sont "dédiés à des actions d’intérêt culturel". Il s’agit d’aides à la création, d’albums dans le domaine de la musique par exemple, à la diffusion de spectacles vivants ou encore, à la tenue de festivals ou à la formation d’artistes.
L’argent de cette rémunération pour copie privée est collecté par la société Copie France qui le distribue à des organismes de gestion collective des droits d’auteur (OGC) chargés ensuite de le redistribuer à leurs membres (auteurs, artistes, producteurs…). Le montant total collecté en 2022 est de 285,5 millions d’euros selon Copie France, soit un peu de 71 millions d’euros pour la partie "aide à la création".
Ce que pointe le rapport de la Cour des comptes
La Cour des comptes a donc examiné le fonctionnement de ces OGC et elle a rendu son rapport annuel en juin dernier. Elle s'est principalement intéressée à deux OGC "de premier niveau". D’abord, la SCPP, la Société Civile des Producteurs Phonographiques qui regroupe les trois majors, Universal Music France, Sony Music France et Warner Music France, ainsi que 3 000 producteurs indépendants. L’autre OGC concernée est la SPPF, la Société civile des Producteurs de Phonogrammes en France qui rassemble près de 2 400 producteurs indépendants.
Concernant les 25 % de la rémunération pour copie privée dédiée à l’aide à la création, elle "observe tant à la SCPP qu’à la SPPF une forte concentration des budgets au profit des plus gros producteurs, c’est-à-dire ceux qui génèrent le plus de droits". Selon elle, "il ne devrait pas exister de corrélation directe entre le montant des droits générés et les aides attribuées. C’est le principe même de l’action artistique et culturelle, consacré par le législateur qui a souhaité y allouer des ressources spécifiques".
"Le collège de contrôle s’interroge sur l’utilité d’aides importantes attribuées à des projets portés par des artistes installés et dont l’équilibre économique ne paraît pas nécessiter de soutien particulier."
Rapport de la Cour des comptes, juin 2023
La Cour des comptes recommande donc aux deux OGC de réduire la part du budget d’action artistique et culturelle consacrée à des projets portés par des artistes confirmés.
La répartition de l’aide à la création à la SCPP
D’après le détail des aides attribuées en 2022 mis en ligne par la SCPP en 2022, l’artiste le plus subventionné, dans le cadre de l’aide à la création, est Indochine avec 188 000 euros pour un CD live. Viennent ensuite Louise Attaque avec 160 701 euros, Aya Nakamura avec 156 866 euros, Benjamin Biolay avec 141 858 euros et pour clôturer ce top 5, Etienne Daho avec 138 085 euros.
Comme le note le rapport de la Cour des comptes, cela est lié au système de répartition de ces aides. Il y a, d’une part, un budget dédié aux aides sélectives, sur demande donc des producteurs, et d’autre part, un budget basé sur le droit de tirage. Le droit de tirage, selon la Cour des comptes, c’est "le montant réparti aux membres de la SCPP au prorata des droits que leur répertoire a généré au cours de l’année précédente" et qui doit ensuite les aider à créer un nouvel album, un vidéoclip, etc. "Par construction, cette méthode favorise les sociétés disposant de catalogues anciens et rémunérateurs. Elle concentre l’action artistique et culturelle sur les projets des trois producteurs les plus importants de la SCPP (les trois "majors"), qui bénéficiaient en 2021 de 87,5 % des aides au titre du droit de tirage, et même 91,5 % en 2019", souligne-t-elle.
La SCPP n’a pas donné suite à nos sollicitations. Elle a souligné, en revanche à la commission de contrôle de la Cour des comptes, que "toute création comporte un risque, même pour des artistes plus confirmés dont les projets sont plus coûteux".
Par ailleurs, la Cour des comptes a relevé que la SCPP a accordé des aides à des artistes décédés dont Johnny Hallyday qui a par exemple bénéficié de 71 977 euros en 2022 alors qu’il est mort en 2017. Dans le cadre du droit de tirage, il a aussi touché des subventions en 2019, 2020 et 2021. C’est le cas également de Michel Delpech, décédé en 2016, mais aidé financièrement en 2021. "À supposer que ces aides soient conformes aux dispositions de l’article R.321-6 du CPI43, au motif que les enregistrements concernés comportent une partie instrumentale inédite, il est permis de considérer qu’elles s’écartent de l’intention du législateur, qui a entendu, en instaurant le principe de l’action artistique et culturelle, privilégier la promotion de la diversité culturelle et le renouvellement de la création", indique la Cour des comptes.
La répartition de l’aide à la création à la SPPF
De la commission des aides à la création de la SPPF du 2 février 2023, il ressort que l’artiste le plus subventionné, c’est Christine and the Queens avec 48 000 euros. Parmi les mieux soutenus : Gims à hauteur de 34 000 euros, Hoshi avec 28 000 euros, PLK et Marc Lavoine avec 27 000 euros, Albin de la Simone avec 25 000 euros, The Blaze avec 23 000 euros ou encore, Mylène Farmer avec 20 000 euros. La Cour des comptes note d’ailleurs que "237 bénéficiaires ont perçu chacun moins de 5 000 euros au total entre 2018 et 2021, se partageant 538 670 euros ; à l’autre bout de l’échelle, sur la même période, 22,3 millions d'euros sont répartis entre 91 bénéficiaires".
Le directeur général de la SPPF, Jérôme Roger, estime pourtant qu’"il n’y a pas du tout d’effet de concentration des aides".
"En 2022, 90 % des projets soutenus concernaient des nouveaux talents."
Jérôme Roger, directeur général de la SPPFà franceinfo
Ces nouveaux talents dont parle Jérôme Roger, ce sont "des artistes qui n’ont pas eu de disque d’or au cours de leur carrière, donc 'par opposition' à des artistes ultra-confirmés […] même si nous accompagnons également des artistes ultra-confirmés mais c’est très minoritaire en nombre de projets soutenus", précise-t-il.
Il poursuit : "La SPPF se sent très peu ou pas concernée par cette critique, par ce constat émis par la Cour des comptes. En ce sens que, si je prends le top 10 des producteurs membres de notre société qui ont été les plus aidés, au travers de l’action culturelle en 2022, ils ont bénéficié de 45 % du total des aides attribuées alors qu’ils représentent près de 80 % des droits répartis".
Jérôme Roger explique qu’il s’agit d’aides sélectives. C’est à l’artiste ou au producteur de soumettre une demande d’aide, une commission est ensuite chargée d’examiner le projet et de le valider ou non en fonction de critères économiques et non pas artistiques. Le directeur général de la SPPF indique que 850 projets d’albums, de vidéoclips, de showcase ou de promotions ont été subventionnés en 2022, dans le cadre de l’aide à la création, pour un budget global de 5 850 000 euros.
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