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Minino Garay rend hommage au cuarteto, la musique de Córdoba

Percussionniste argentin établi à Paris depuis 25 ans, baroudeur incontournable des scènes jazz, latino et world, Minino Garay a sorti en octobre son 5e album, "Asado". Il y célèbre le folklore de son pays, l’Argentine, et surtout de sa ville natale, Córdoba. Bête de scène au charisme ravageur, il se produit vendredi soir à Paris, au Studio de L’Ermitage.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le percussionniste argentin Minino Garay
 (Patricia de Gorostarzu)
Le public français connaît Minino Garay comme percussionniste associé à des artistes tels que Baptiste Trotignon, Laurent de Wilde ou Jacky Terrasson, en passant par Dee Dee Bridgewater ou Richard Bona. Sur scène, le musicien argentin dégage un charisme, une force et une malice irrésistibles. Un authentique show à lui seul.

En 2011, le percussionniste s’est mué en jazzman le temps d’un disque très personnel, « Gabriel » (2011, Naïve). Et voilà qu’avec « Asado », son cinquième album sorti mi-octobre, les amateurs de jazz peuvent découvrir une facette du musicien qu’ils ne connaissaient pas forcément : celle d’un chanteur-slammeur au timbre grave et au phrasé teinté d’ironie, tel qu’il s’exprimait déjà dans ses premiers disques.
De nombreux invités sur son album
Distribué par le label L’Autre Distribution, « Asado » (du nom d’un festin de viandes grillées) rend hommage aux musiques populaires argentines, à commencer par le cuarteto, une tradition originaire de la ville natale de Minino Garay, Córdoba. Un album chantant et festif, qui n’en est pas moins ponctué de quelques textes à forte dimension sociale. Le percussionniste, qui signe ou cosigne la plupart des compositions du disque, l'a enregistré à Córdoba avec des spécialistes du cuarteto. Il a invité par ailleurs de nombreux artistes, parmi lesquels les jazzmen Magik Malik, Pierre Bertrand ou Marc Berthoumieux, la chanteuse Natacha Atlas, mais aussi Jairo, chanteur argentin populaire en France dans les années 70 et 80.
Minino Garay à Paris, le 25 novembre 2013
 (Annie Yanbékian)

La rencontre
Lundi 25 novembre 2013. C’est un Minino Garay très enrhumé qui vous reçoit dans son appartement parisien. Devant un maté bien chaud, il évoque avec conviction la musique du cuarteto, méconnue en dehors de l'Argentine - ce qui le désole, et évoque au passage le regard qu'il porte sur son pays d'origine.

- Culturebox : le public français, notamment amateur de jazz, vous connaît surtout comme percussionniste et jazzman. Voilà qu’on vous découvre chanteur, un exercice auquel vous vous livriez sur vos premiers disques...
- Minino Garay : On va dire que je le suis devenu à force de vouloir dire certaines choses que les autres n’ont pas dites. C’est une façon de chanter-parler à ma manière, que j’ai pas mal développée. En tant que percussionniste, j’utilise évidemment le rythme pour placer les textes d’une certaine manière. Parfois on me demande de le faire pour d’autres.

- Cela va faire 25 ans que vous vivez en France (depuis 1989). Votre nouveau disque « Asado » était-il l'occasion de faire un clin d’œil à votre pays d’origine à l’occasion de cet anniversaire ?
- Exactement. Et c’est aussi lié au décès de mon oncle, le frère de ma mère, qui était producteur dans le domaine du cuarteto, cette musique populaire de Córdoba.

- Pouvez-vous nous présenter le cuarteto ?
- C’est un mélange de paso doble (musique d’origine espagnole, ndlr) et de tarentelle (d’origine italienne) qui se joue typiquement à Córdoba. Une musique d’immigrants. Ça existe depuis les années 1940. Au début, ce terme était seulement le nom de la formation de quartette. Par la suite, le nom est resté mais cette musique peut se pratiquer avec des orchestres comprenant beaucoup de cuivres. Vers les années 90, elle s’est mélangée avec le merengue de Saint-Domingue, c’est parti dans un truc plus latino que je n’aime pas du tout... C’est pourquoi j’ai voulu faire un disque de cuarteto tel qu’on le jouait dans les années 70, avec le piano, la basse, l’accordéon, ainsi qu’un rythme continuel qui vous martèle - même si je propose des arrangements différents et des mélanges avec d’autres musiques. Le cuarteto, c’est un texte assez simple, populaire, mais avec un savoir-dire d’humeurs, d’amour... Aujourd’hui, les textes s’écrivent plus à la manière de ce qui se fait dans le rap. Ils sont plus durs et incluent des thèmes de société.
 

 
- Parlez-nous de votre oncle, Ranulfo Taborda, et de son rôle dans cette musique.
- Producteur, il créait et lançait des orchestres. Il a participé à la création des concepts musicaux. C’est l’un des personnages qui ont influencé la façon de jouer cette musique juste avant la dictature. Sous le régime militaire, le cuarteto a été interdit pendant environ deux ans. Le rythme de cette musique était interdit parce qu’il pouvait réunir beaucoup de monde ! Or, rien ne peut stopper la culture d’un pays. Mon oncle est mort il y a environ deux ans. Il me demandait : « Quand vas-tu te remettre à jouer les musiques avec lesquelles tu as débuté ? » Je lui répondais : « Ça va venir… » J’avais laissé plein de choses derrière moi. J’ai voulu revenir vers cette musique populaire et laisser de côté les clichés qui s’y rattachaient. En me disant que les gens vous acceptent comme vous êtes, comme un mélange de plein de trucs ! Je ne me limite à rien. Cet album a été fait en pensant à ces musiques de bal populaire, de fête, avec l’idée de voir les choses d’une autre manière. C’est pour ça que je suis allé le réaliser en Argentine.

- Né à Córdoba, le cuarteto s’est-il répandu dans d’autres villes d’Argentine ?
- Cette musique est devenue très populaire au fil des ans. Elle le demeure aujourd’hui. Il y a des milliers et des milliers de personnes qui la dansent en Argentine. C’est la musique la plus dansée dans le pays. Mais elle n’est pas vraiment rentrée à Buenos Aires, ou seulement quelquefois, par l’intermédiaire de deux ou trois personnalités. C’est pourquoi cette musique n’a pas pu s’inclure parmi les musiques du monde. Quand on parle de tango, tout le monde sait que son origine est l’Argentine, et en quoi cela consiste. Mais quand on parle de cuarteto, de « tunga-tunga » (le surnom populaire de cette musique, ndlr), personne ne sait d’où ça vient, en dehors du pays. C’est pourquoi j’ai voulu lui donner une visibilité différente.
- Outre le cuarteto, le disque « Asado » comporte d’autres genres musicaux. Pouvez-vous nous les décrire ?
- Le morceau d’ouverture « Taquirari » débute par un genre de hip-hop et se transforme en cuarteto. J’utilise le mot « Taquirari » mais je n’utilise pas vraiment le rythme d’origine bolivienne auquel ce titre se rapporte, c’est juste parce que ça sonne bien ! On trouve aussi du candombe dans les chansons « Pueblo alegre » et « Quiero ver el sol », où j’utilise les trois tambours uruguayens - piano, repique, chico - associés à ce genre musical. Ils se jouent avec la main et une baguette. C’est la partie très afro-sud-américaine de Rio La Plata. J’utilise aussi le rythme de cumbia qui s’est développé en Argentine d’une manière un peu hybride, éloignée de la façon traditionnelle dont on la joue en Colombie ou en Bolivie. Cette cumbia, plus citadine, s’est ancrée dans la musique populaire depuis des années.

- Dans votre disque, vous avez associé ces traditions avec des musiques et des genres très différents, comme en atteste la présence d’invités comme Natacha Atlas ou Magic Malik.
- « Flor de Esguince » est la reprise d’un morceau de Magic Malik que l’on avait enregistré ensemble, avec Jaime Torres, en 2008 dans un album commun, « Altiplano ». C’est un morceau qui possède une métrique pas très courante, à quinze temps. Je l’ai réarrangé de façon plus populaire, afin que les gens puissent le danser. Le texte est assez rigolo (« Je suis comme ça, je joue tout à quinze temps… »), avec l’expression « culiau », c’est-à-dire « enc… » que l’on emploie à tout bout de champ à Córdoba ! J’ai aussi repris le même titre dans l’album précédent, « Gabriel », avec un esprit plus jazz, j’aime bien faire ça.

- Certains textes du disque sont assez engagés, comme « Nada le pido a Dios »...
- C'est un texte que j'ai écrit en allusion à une chanson très connue, « Sólo le pido a Dios », de León Gieco, qui est le Bob Dylan argentin. Il a écrit cet hymne dans les années 70-80, et la chanson a été chantée devant le pape Jean-Paul II. Moi, j'ai été élevé dans un certain anticléricalisme. Un jour, je me suis amusé à écrire « Je ne demande rien à Dieu, Leon lui a déjà demandé et rien ne s'est produit ! » Cela fait rire tout le monde et en Argentine, ça prend une ampleur complètement différente. Tout le texte reprend la chanson de Gieco, mais à l'envers...
Il y a aussi « Pueblo alegre », l'un des trois titres signés par Mutty Torezani avec « Quiero ver el sol », l'histoire d'un mec en prison, et « Ella nacio de su tumba ». C'est le texte le plus fort, d'une grande beauté, car il parle de cette jeune femme agressée à Ciudad Juárez (ville du Mexique où des milliers de femmes ont été assassinées, ndlr), Eva, que ses agresseurs, la donnant pour morte, ont enterrée vivante et qui a pu s'en sortir par miracle. C'est une histoire survenue il y a plusieurs années. Jusque-là, je n'ai jamais joué ce morceau en concert. Dans le disque, c'est Jairo et Natacha Atlas qui chantent.

- Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'Argentine, un quart de siècle après votre départ ?
- Un regard d'impuissance. C'est un pays magnifique, dirigé parfois par des gens complètement corrompus. Ça fait de la peine. Mais j'ai de la peine pour la France aussi, dirigée par des incapables, même si le peuple français est beaucoup plus difficile à gouverner que le peuple argentin. Quelque part, le peuple argentin est plus soumis. Alors que le peuple français, vous ne pouvez pas le soumettre facilement, car il y a quand même une longue histoire derrière. J'aimerais que le peuple argentin soit beaucoup plus révolté !

(Propos recueillis par A.Y.)
 
Minino Garay
 (Patricia de Gorostarzu)
> Minino Garay et les Tambours du Sud en concert à Paris
Studio de l'Ermitage
Vendredi 29 novembre 2013, 20H30
Les infos ici
Minino Garay : batterie, percussions
Julio Arcala : guitare, voix
Noelia Tomassi : voix
Eddy Tomassi : percussions, cajón
Leandro Guffanti : saxophone
Christophe Lampidecchia : accordéon
Lalo Zanelli : piano 
Fabrizio Fenoglietto : basse

> Le 11 janvier 2014 sur France 2, Minino Garay interprètera "Les Yeux Revolver" de Marc Lavoine dans l'émission de Patrick Sébastien "Les Années bonheur".

> Le 15 janvier 2014, il jouera au Réservoir, à Paris

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