Lucas Santtana, le nouveau son pop du Brésil
Né le 18 octobre 1970 à Salvador de Bahia, Lucas Santtana a débuté sa vie musicale par des études classiques. Flûtiste, il s'est ensuite tourné vers la pop, apprenant la guitare et le piano en autodidacte. Il a sorti son premier album en l'an 2000. Il partage aujourd'hui sa vie entre Rio, où il habite, et São Paulo, où il travaille le plus souvent.
Ces dernières années, la notoriété de Lucas Santtana a atteint l'Europe à la faveur de deux disques, "Sem nostalgia" (2009) et "O Deus que devasta mas também cura" (2012), sortis sur un label anglais. Pour son sixième album, ce musicien subtil et éclectique, qui recourt sans complexe aux sonorités électro, s'est engagé avec le label parisien No Format. Mercredi 3 décembre, Lucas Santtana se produit sur la scène du Café de la Danse, à Paris, lors d'un mini-festival célébrant les dix ans du label.
- Lucas Santtana : Je dirais que je suis la continuité d’une très longue tradition. Ce que je fais aujourd’hui, c’est actualiser les choses du passé au lieu de simplement les vénérer, et proposer des choses nouvelles.
- Votre père, Roberto Sant'Ana, est producteur. Il a pour cousin le célèbre musicien Tom Zé. Ces liens ont-ils joué un rôle dans votre vocation musicale ?
- Étonnamment, la musique est venue par ma mère. Quand j’avais 11, 12 ans, elle achetait chaque semaine des vinyles pour mon frère et moi. Il y avait de tout, du jazz, du free-jazz, de la musique brésilienne, du classique, de la pop. Je les écoutais beaucoup en rentrant de l’école. C’est de là qu’est né mon goût pour la musique. J’ai décidé très tôt de devenir musicien.
- Quels étaient ces disques ?
- Je me souviens de Thriller de Michael Jackson, Kind of blue de Miles Davis, Love Supreme de John Coltrane, du Köln Concert de Keith Jarrett. Je me rappelle de Pinduca, un musicien du Pará, dans le Nord du Brésil... Il y avait aussi la 9e Symphonie de Beethoven, les quatuors à cordes de Debussy et Ravel... - Pouvez-vous nous raconter vos tout premiers souvenirs musicaux ?
- J’ai peu de souvenirs d’enfance. Mon père habitait à Rio et moi à Salvador, avec ma mère. Comme il travaillait dans l’industrie musicale, il venait parfois à Salvador pour des concerts avec les artistes du label. C'est les premiers concerts auxquels j’ai assisté. Je me souviens d'avoir alors rencontré Fafá de Belém, Emilio Santiago, Caetano Veloso, Gilberto Gil...
- Si vous deviez faire le point sur vos grandes influences musicales, qui citeriez-vous ?
- Tout ce que j’ai pu entendre a eu beaucoup d’importance, et en particulier ces disques que j’ai écoutés enfant, avant même que j’apprenne techniquement la musique, l’harmonie, la mélodie... Cet apprentissage intuitif m’a fait réaliser que toutes les musiques ont le même mode de fonctionnement, quelque soit le style. J’ai compris que l’on pouvait trouver une même ligne de basse descendante chez Beethoven, chez Miles Davis ou dans une chanson de Michael Jackson. Tout était constitué des mêmes éléments. Ce qui faisait la différence d’un style à l’autre, c’était l’instrumentation et le choix de mettre en avant la couleur de l’instrument, la distorsion... - Comment avez-vous construit votre propre son ?
- Dès le premier disque, j’avais une impression claire dans la tête : avec la musique brésilienne, en termes de mélodie, d’harmonie, il semblait que tout avait déjà été fait. Alors, j’ai pensé que là où je pourrais apporter ma contribution, c'était dans une forme de texture musicale. J'écris mes chansons au piano, à la guitare ou en ayant parfois recours à la composition assistée par ordinateur. Ce qui me donne le plus grand plaisir, c’est d'appréhender une chanson comme une personne nue que j’habille, et pour laquelle peu à peu, je choisis tel ou tel vêtement, tissu, telle couleur, afin de constituer une sorte de personnage.
- Dans votre précédent disque, vous évoquiez votre divorce. Le nouvel album semble plus léger, le thème de l’amour y est présent même si l'on ressent toujours, parfois, une certaine mélancolie. Vos textes s’inspirent-ils souvent de votre expérience personnelle ?
- J’ai composé le disque précédent après la fin d’une relation de onze ans. Du coup, les chansons sont arrivées très vite, c'était en quelque sorte un disque écrit à la première personne. Dans le nouvel album, j’ai plus l’impression d’être un chroniqueur qui parle de son temps, de choses dont tout le monde fait l’expérience, le rapport aux machines, la manière dont elles accélèrent notre temps, les questions des genres, les relations amoureuses. - Certaines chansons sont chantées en anglais. Les avez-vous écrites directement dans cette langue ?
- Non, je ne parle assez bien l'anglais pour ça. Je pense d'abord les paroles en portugais, puis je les traduis si je pense qu'il est nécessaire de chanter telle ou telle chanson en anglais.
- Dans quel cas ressentez-vous cette nécessité ?
- D'abord, pour des questions de sonorité. C'est très facile pour un lusophone d'apprécier la qualité de la sonorité de l'anglais. Quand je compose, parfois, alors qu'il n'y a pas encore de paroles, je fais juste des syllabes, des onomatopées, et ça vient en anglais. Ensuite, parce que l'anglais comprend beaucoup de mots monosyllabiques. Du coup, quand on a une mélodie courte, c'est beaucoup plus facile d'utiliser l'anglais, ça permet de construire une idée, une image complexe avec peu de syllabes. Alors qu'en portugais, de manière générale, les mots sont plus longs, ce qui rend plus lourd la mise en place d'une idée. - Vous sortez votre nouvel album sous le label français No Format. J'imagine que cela explique la présence d'invités français : Vincent Ségal, Féfé et l'actrice Fanny Ardant.
- Oui. J'étais très fan du travail de Vincent avec Bumcello. C'est Laurent Bizot (fondateur et patron du label, ndlr) qui m'a présenté Vincent Ségal. Alors qu'il donnait un concert à São Paulo, je l'ai invité à venir enregistrer. L'enregistrement du morceau "Mariazinha Morena Clara" s'est fait presque dans les conditions du live avec des musiciens locaux qui n'avaient jamais entendu parler de lui. Le lendemain, ils m'ont tous appelé en me disant : "Qu'est-ce que ce qu'est que ce musicien incroyable qui ne met pas une note à côté !"
- Et pour Féfé ?
- C'était une autre proposition de Laurent. Comme le disque allait être lancé en France, il a souligné que ce serait bien qu'il y ait un morceau en français. Féfé est aussi quelqu'un d'extraordinaire. Il a donné, lui aussi, un concert à São Paulo, ça lui a donné l'occasion de venir enregistrer "Diary of a bike". - On entend enfin la voix de Fanny Ardant dans "Human Time"...
- Laurent m'a dit : "Vu que je t'ai fait ces suggestions, à ton tour de me proposer un nom." Et là, j'ai dit tout de suite : "Fanny Ardant !" Quand j'étais adolescent, à Salvador, il y avait un seul cinéma indépendant qui proposait une unique séance d'art et d'essai le dimanche soir. Avec mes amis, on attendait toute la semaine pour voir ces films de Truffaut, Godard, Bergman... Fanny Ardant était en quelque sorte une muse dans ma jeunesse. J'ai suivi sa carrière. Je trouve qu'elle a fait des choix artistiques très justes, gardant un esprit jeune tout au long de sa carrière. Ça a représenté un modèle pour moi. L'inviter sur le disque était une manière de fermer une sorte de cycle avec ce moment de ma jeunesse. Elle a enregistré son texte à Paris et me l'a envoyé.
- Votre disque s'achève par la chanson "Velhinho", qui veut dire "petit vieux"...
- C’est un surnom que ma famille me donnait quand j’avais 12 ans. On trouvait que j’étais né avec l'esprit d’un vieux ! C’est une chanson que j’ai faite un peu pour moi-même. L’idée, c’est qu'en vieillissant, j’avais l’impression que je me rapprochais de ce que j’étais, c’est-à-dire de l’âme que j’avais à ma naissance. Et du coup, d’une certaine façon, je me sentais de mieux en mieux dans mon corps, et donc de plus en plus jeune...
(Propos recueillis à Paris par A.Y. le 16 octobre 2014)
Lucas Santtana en concert à Paris
Mercredi 3 décembre 2014 au Café de la Danse, 19h30
> Festival "10 ans No Format"
Piers Faccini et Vincent Ségal (1er décembre, complet)
Kasse Mady Diabate (2 décembre)
Lucas Santtana (3 décembre)
Soirée Label Prospect (4 décembre)
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