Le voyage en Orient d'Orange Blossom
Lancé à Nantes en 1993, Orange Blossom a vu son effectif évoluer au fil du temps. Parmi les membres fondateurs, seul le violoniste nantais Pierre-Jean "PJ" Chabot, 43 ans, est toujours là. Le batteur natif de Mexico Carlos Robles Arenas, compositeur, instrumentiste touche-à-tout et programmateur sur ordinateur, est arrivé en 1995.
Depuis 2012, Chabot et Robles Arenas travaillent avec la chanteuse égyptienne Hend Ahmed - qui a pris en charge les textes en arabe -, ainsi que le claviériste Rasim Biyikli, le bassiste Sylvain Corbard et le percussionniste Fatoma Dembélé.
Le 29 septembre 2014, avec ce nouvel effectif, après neuf ans de silence discographique, Orange Blossom a sorti un nouvel album, "Under the Shade of Violets", sur le label Washi Washa. Toutes leurs influences, du rock aux chants traditionnels orientaux, y cohabitent.
- Culturebox : Vous avez sorti vos premiers enregistrements sous forme de cassettes audio au milieu des années 90, puis, trois albums en 1997, 2005, et enfin en 2014 pour le dernier en date. Certains groupes sortent des disques à des rythmes effrénés, ce n'est décidément pas votre cas !
- PJ Chabot : En effet, et sur chacun de ces disques, nous avons travaillé avec un chanteur, une chanteuse, qui étaient différents (Jay C., Leïla Bounous, puis Hend Ahmed en 2014, ndlr).
- Carlos Robles Arenas : Quant aux cassettes audio, elles ont trouvé quelques acheteurs à l'époque, puis elle ont disparu dans la nature...
- PJ : J'aimerais beaucoup les retrouver, d'ailleurs !
- Carlos : La vraie identité du groupe a commensé à se forger fin 95, quand on a commencé vraiment à travailler avec les musiques du monde et l'électronique.
- Comment l'idée de cette association de deux univers a priori très éloignés s'est-elle forgée ?
- Carlos : C'était une envie.
- PJ : À l'époque, j'écoutais beaucoup de musique anglo-saxonne. J'avais une carte à la médiathèque de ma ville. Et j'adorais écouter des musiques diverses, des chants... Carlos avait très envie de travailler avec des samplers, c'était très novateur à une époque où il n'y avait ni portable, ni internet. Ça nous a permis de sampler des trucs qu'on aimait bien. C'est comme ça qu'Orange Blossom est né.
- Carlos : Je suis Mexicain. J'étais venu en France après des études à Cuba, et d'autres voyages, donc l'amour pour les musiques du monde était déjà là. On a commencé à composer d'une manière pop, tout en utilisant des samples de musiques du monde. On a trouvé que c'était très enrichissant, très moderne, même si on samplait des musiques écrites parfois il y a deux ou trois siècles.
- Votre album de 1997 s'intitulait "Orange Blossom"... Était-ce le nom du groupe ou du disque ?
- Carlos : on n'avait pas de nom à l'époque.
- PJ : C'était un album éponyme, comme on dit, très court, avec sept titres. On a beaucoup travaillé pour le faire. On l'a enregistré assez vite dans un petit studio à Rennes, avec très peu de moyens...
- Carlos : Avec quelqu'un d'affreux qui nous a escroqués...
- PJ : Oui, ça s'est très mal passé, on s'est battus... Premier album, première expérience, on s'est fait avoir !
- Carlos : Les artistes se font toujours avoir !
- PJ : Quand j'ai reçu mon exemplaire de l'album, j'étais très fier d'avoir enregistré un CD ! Je l'ai écouté, les morceaux étaient bien... mais ça ne sonnait pas ! Le son était mauvais.
- Carlos : C'est l'album le plus mal enregistré que je connaisse...
- Vous avez finalement adopté "Orange Blossom" ("fleur d'oranger") comme nom officiel du groupe. À quoi fait-il allusion ?
- Carlos : C'est Jay C., notre chanteur à l'époque, qui avait trouvé ce titre en référence aux Spotnicks, un groupe suédois lancé dans les années 60.
- PJ : Ils se déguisaient en cosmonautes et avaient un morceau qui s'appelait "Orange Blossom Special".
- C'est drôle, parce que cela évoque l'Orient. Or, par la suite, votre musique a pris cette direction.
- PJ : C'est vraiment un pur hasard ! Ce n'était pas prévu !
- Quelles sont vos influences ?
- Carlos : Il y a des choses qu'on a toujours aimées, comme la musique underground de la fin des années 70 et des années 80.
- PJ : Les gens de notre génération qui n'écoutaient pas de la variété se retrouvaient plutôt sur des choses un peu cold wave, gothic, il y avait des groupes comme Joy Division, les Sisters of Mercy, Bauhaus. J'ai formé mon premier groupe de New Wave en 86. On était fan de Depeche Mode... Mon premier concert, c'était Cure en 85.
- Carlos : J'étais fan d'electronic body music, de la musique électro mélangée avec de la musique industrielle et de la cold wave. Meat Beat Manifesto, Skinny Puppy...
- PJ : Quand j'ai rencontré Carlos, moi, le bon Français, j'ai été très étonné qu'il me sorte des groupes comme ça, j'avais tous les stéréotypes sur le Mexique en tête !
- Aujourd'hui, comment présenteriez-vous votre musique, votre dernier disque, à des gens qui ne vous connaissent pas ?
- Carlos : C'est un disque sorti d'un voyage dans tous les sens du terme, personnel et musical. C'est un album qui voyage dans le temps, les cultures, le mélange. C'est le bon côté du mélange des cultures.
- PJ : J'ajouterais que ce disque constitue la synthèse de tout ce qu'on a vécu pendant des années. On a beaucoup voyagé, on a beaucoup tourné, on est allé au Moyen-Orient, en Russie, on a appris plein de choses.
- Comment est né le projet du dernier album ?
- Carlos : Il est né à Amman, en Jordanie. C'est un projet dont j'avais discuté avec le directeur culturel de l'ambassade de France. J'avais envie de faire un disque avec des Égyptiens, avec un vrai échange musical, explorant plus en profondeur la musique traditionnelle, avec très peu de samples. Du coup, il nous a fallu chercher un orchestre de 45 musiciens, un spécialiste des percussions cubaines, une vraie voix, ça nous a pris énormément de temps. La recherche de la chanteuse a retardé le projet de cinq ans. Je ne voulais pas mettre une voix pour mettre une voix.
- PJ : Le travail en studio a pris aussi énormément de temps.
- Carlos : J'en étais arrivé à travailler dix heures par jour en studio, sans chanteur, c'était à devenir fou ! Je préparais tout en imaginant les passages avec cette voix... La maison de disques nous a mis la pression : il fallait terminer le disque avant une certaine date, sinon le projet serait abandonné. Quand on est allé en Égypte, la musique était construite à 90%. J'avais dû réaliser tous les arrangements pour les cordes et l'orchestre avant d'avoir la voix. On a travaillé un peu à l'envers... C'est sûr que d'un autre côté, si on trouvait cette fameuse voix, elle n'aurait plus qu'à se poser où il fallait ! Quand on trouve la bonne personne et qu'elle vous donne ce que vous recherchez, vous pleurez de joie car vous vous dites : "Enfin !"
- PJ : On a auditionné différents chanteurs et chanteuses au Maroc, puis au Caire. C'est là qu'on a trouvé Hend, celle qu'il nous fallait.
- La chanteuse Hend Ahmed a écrit les textes en arabe. De quoi parlent-ils ?
- Carlos : C'est un mélange. Hend s'est inspirée énormément de textes anciens, religieux, étant donné que nous recherchions la tradition. Hend a réarrangé ces textes.
- PJ : Vous avez un peu de poésie arabe, de chants religieux, mais aussi de la chanson plus légère. Même sans comprendre la langue, j'ai beaucoup aimé la musicalité des mots, les attaques sur les notes. Ce qui est important, c'est le sentiment que l'interprète met dedans.
- Carlos : Dans le cadre de notre projet, la voix sert avant tout à exprimer un sentiment via la musique. Elle est traitée comme un instrument à part entière. Si l'auditeur a absolument besoin de comprendre les paroles, je considère que j'ai raté la chanson.
- PJ : La première fois qu'on est monté sur scène avec Hend et que je l'ai entendue chanter à nos côtés, je devais l'accompagner au violon mais je n'arrivais pas à jouer, j'avais la chair de poule en l'écoutant, elle m'a scotché !
- Quand on fait des disques qui comportent pas mal de programmation informatique, comment est-ce qu'on transpose son univers sur scène ?
- PJ : Bonne question, parce que ça fait un moment qu'on y travaille !
- Carlos : Ça fait un an qu'on a enfin trouvé, à peu près, notre son. C'était assez complexe. Au total, plus de cent musiciens ont participé au dernier disque. Il fallait réarranger tout ça pour cinq ou six musiciens qui allaient jouer sur scène. Il a fallu mettre énormément de choses dans les machines. Puis il a fallu s'imprégner de tout ça, se l'approprier en prévision des concerts. Aujourd'hui, je pense que chacun a trouvé sa place. Moi, de manière générale, j'aime beaucoup le travail en studio, avec toutes les choses que l'on peut y faire mais qu'on ne peut pas se permettre en live.
- Avez-vous une idée de la direction que va prendre votre musique à l'avenir ? J'ai lu que vous aviez envie de vous inspirer de musique tzigane... Ce serait une nouvelle aventure pour votre chanteuse !
- Carlos : Oui, j'ai envie de prendre cette direction.
- PJ : Hend continuera bien sûr avec nous si elle le veut. De toute façon, elle est beaucoup plus jeune que nous. À un moment, elle fera aussi sa vie...
- Carlos : Maintenant, elle connaît la manière dont on travaille et dont je fais les chansons. Ce que je trouve très intéressant et très beau, c'est qu'à son tour, elle a envie de voyager, d'apprendre. Quand je lui ai parlé des chants tziganes, elle m'a parlé de chants gypsy sur les bords du Nil et m'a dit qu'elle serait énormément intéressée d'apprendre ces cultures.
- PJ : Quand on sait que les populations tziganes sont parties d'Inde, passées par l'Égypte et montées ensuite en Europe, on comprend que les mots "gypsy" et "Égypte" soient liés d'un point de vue éthymologique...
> L'agenda-concert d'Orange Blossom sur la page Facebook du groupe
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