Jiji chante le Brésil avec un invité de rêve, Chico Buarque
Née à Paris, Jiji a suivi des études de piano et de violoncelle avant de se tourner à vingt ans vers le chant et le jazz. Elle a fréquenté les écoles de jazz CIM puis IACP (alors dirigée par Lionel Belmondo). En 2010, cette passionnée de musique brésilienne a sorti un premier disque consacré à Chico Buarque, intitulé « Joana Francesa » en allusion à une splendide chanson du compositeur-poète-écrivain et au véritable prénom de Jiji (la chanteuse se nomme en réalité Johanne Sayada). Mais tout le monde l'appelle aujourd'hui par son surnom dont les musiciens l'ont affublée il y a quinze ans.
L'hommage de Chico Buarque
Son premier album ayant reçu le soutien chaleureux de Chico Buarque, Jiji a décidé de ne pas en rester là. Son rêve : enregistrer une chanson avec lui, tout simplement. Un rêve réalisé au printemps 2011. Il ne lui restait plus qu'à laisser murir le projet de son deuxième album. « April Child » est sorti le 1er avril sur le label 88 Trees du pianiste de jazz Laurent Coq. Ce disque de chansons brésiliennes a été essentiellement réalisé avec deux guitaristes, Sandro Zerafa et Hugo Lippi, et un percussionniste, Julio Gonçalves. Cette sobriété instrumentale enveloppe avec finesse la voix cristaline et chaleureuse de Jiji.
L'album s'ouvre sur un clin d'œil au jazz, la chanson-titre de l'album étant une adaptation anglosaxone d'un titre brésilien. Le disque comporte aussi une touche française avec l'adaptation dans la langue de Molière d'un joyau du répertoire brésilien signé Tom Jobim et Chico Buarque. Si Jobim est aussi présent par le biais d'une composition méconnue, c'est Milton Nascimento qui apparaît en force dans le disque, Jiji reprenant trois de ses titres. L'artiste trentenaire rend aussi hommage à Djavan et Cartola. Une surprise printanière pleine de fraîcheur et de promesses.
C'est par un lundi matin de Pâques, dans son appartement parisien où somnolaient deux splendides chats, que Jiji, jeune femme au caractère franc et déterminé, a déroulé le fil de ses souvenirs brésilophiles.
- Culturebox : Comment avez-vous découvert la musique brésilienne ?
- Jiji : Mes parents possédaient un vinyle de Maria Creuza, que j’ai désormais chez moi. Il y avait aussi une compilation vinyle de samba avec des chansons de Jorge Ben par exemple. J’adorais ces disques, ils étaient mes préférés quand j’étais petite. Mes parents n’écoutaient pas de jazz. Plus tard, ado, lors d’un stage de violoncelle, une copine m’a donné une cassette du concert de Maria Creuza, Vinicius et Toquinho à La Fusa (légendaire live de 1970, ndlr). Après, il y a toute la bossa que vous côtoyez quand vous faites du jazz. Et à chaque fois, je retrouvais les mêmes émotions fortes.
- Comment avez-vous découvert Chico Buarque ?
- Je connaissais ses tubes. Il y a dix ans, quand j’ai décidé de me consacrer pleinement à la musique brésilienne, j’ai voulu apprendre la langue, ce qui me paraissait un minimum. Ma prof de portugais, qui est devenue une amie, a l’âge de Chico Buarque. Elle a vécu la même histoire, des choses fortes, au Brésil. En général, toutes les femmes adorent Chico Buarque, et c’est encore plus le cas dans cette génération ! Vu mon travail, elle trouvait intéressant de me faire étudier des textes de chansons. Elle a pensé tout de suite aux textes de Chico. J’ai découvert ses textes avant de découvrir les musiques correspondantes. Tout de suite, ça a été un choc. Les textes de Chico sont profonds, fins, sensibles, avec de l’humour… Une belle écriture à la fois intelligente et accessible, c’est très fort. - Et en 2010, vous avez sorti votre premier album, « Joana Francesa », dédié à la musique de Chico Buarque.
- C’est comme ça que j’ai pu rencontrer Chico. Je me suis débrouillée pour trouver son adresse postale à Paris et je lui ai envoyé le disque avec mes coordonnées. Il m’a rappelée juste après l’avoir reçu, parce qu'il se trouvait alors à Paris.
- Comment avez-vous réagi quand il vous a appelée ?
- J’ai cru que j’allais mourir ! Quand j’ai décroché et entendu « Allo Jiji, c’est Chico Buarque », j’ai failli m’évanouir. J’ai cru que mon heure était arrivée ! (elle rit) J’ai immédiatement reconnu sa voix, elle fait trop partie de ma vie. Je tremblais de la tête aux pieds. Après, je l’ai rencontré. C’était à la fin 2010. Et dans un moment de culot pas possible, je lui ai demandé s’il voulait bien enregistrer un morceau avec moi. C’est sorti comme ça, je n’avais rien prémédité. Il a accepté. Et ça s’est fait très simplement. Je l’ai revu deux fois. Ensuite, février-mars 2011, j’ai séjourné au Brésil où je l’ai revu par hasard ! Il se trouve que j’étais logée chez des gens, à Rio… dans la même rue que Chico ! Un truc de fou. Il m’avait dit qu’il viendrait bientôt à Paris et qu’il me recontacterait pour la chanson. Il l’a fait. Il m’a donné ses disponibilités et j'ai réservé un studio. La chanson a été enregistrée en juin 2011. Comme je ne voulais pas faire un disque dans la précipitation, j'ai réfléchi ensuite à un projet qui ait un sens pour moi. - Pouvez-vous me parler de l’enregistrement de la chanson en studio ?
- Je lui avais envoyé une liste de chansons. Il a choisi « Injuriado », qui figure dans un album de la fin des années 90 (« As Cidades », 1998, ndlr). Comme on ne pouvait pas répéter avant cette session, il fallait que tout soit bien préparé, sans lui, à l’avance. Avec les musiciens de mon groupe de l'époque, on a travaillé le morceau dans deux ou trois tonalités, parce que je ne savais pas comment il allait la chanter ! Il fallait tout envisager. J'ai donné rendez-vous à Chico à 18H. Et à 18H précises, il était là. Ça s’est passé très vite. En trois prises, c’était fait ! Trop vite ! J’aurais préféré que ça dure plus longtemps.
- On imagine facilement votre émotion !
- J’étais hyper émue, et à la fois, j’avais du mal à réaliser ce que j’étais en train de vivre. C’était irréel. Je regrette de ne pas avoir davantage réalisé sur le moment. Je me suis dit : « Est-ce que j’en ai assez profité ? » C’était vraiment mon rêve d’enregistrer avec Chico Buarque. Comme une gamine, je chantais chez moi avec les vidéos de Chico sur Youtube, je faisais une deuxième voix… Que le truc se réalise, c’était presque pas possible ! Se retrouver en studio avec lui en face, casque sur les oreilles, sa voix dans le casque, ma voix avec la sienne… C’était fou, franchement. À chaque fois que j’entends ce morceau, l'émotion est toujours forte. Et ce sera toute ma vie comme ça.
- Quelques mots sur Chico ?
- C’est quelqu’un d’assez réservé. Il a beau être une star internationale, il est hyper sympa, hyper simple. Je pense qu’il s’est senti en confiance avec moi, il a vu que je n’étais pas une fan hystérique qui allait le poursuivre !
- Parlons du reste du disque. D’où viennent les paroles françaises de « Eu te amo », cette merveille cosignée par Tom Jobim et Chico Buarque ?
- C’est Chico qui les a écrites il y a longtemps. J’ai un bouquin qui rassemble toutes les paroles de ses chansons. En le feuilletant, je suis tombée sur ce titre « Dis-moi comment » et me suis demandée ce que c’était. C’est donc un texte en français qu’il avait écrit pour ce morceau. J’ai décidé de chanter la version française. C’est un très joli texte. Même en français, Chico arrive à bien écrire... - Le disque comporte une chanson de Tom Jobim assez méconnue, « Canção para Michelle »…
- Je ne la connaissais que par la chanteuse Nana Caymmi. Elle était la seule à l’avoir enregistrée. D’après mes recherches, initialement, c’était juste une musique composée par Jobim pour un téléfilm au Brésil. Nana Caymmi adorait ce morceau et voulait absolument le chanter. Elle a demandé à Ronaldo Bastos (musicien et parolier réputé, ndlr) d’écrire des paroles. Il n’y a que Nana et moi qui l’ayons enregistrée !
- À part Chico Buarque et Milton Nascimento, très représentés dans le disque, quels sont vos héros musicaux au Brésil et ailleurs, chez les anciens et aujourd’hui ?
- Chez les anciens, il y a Jobim, forcément. On ne peut pas passer à côté. Comment un mec a-t-il pu être inspiré à ce point toute sa vie ? C’est fascinant. Aujourd’hui encore, je découvre des compositions de Jobim que je ne connaissais pas, et c’est toujours sublime. Par contre, je ne connais pas très bien les compositeurs d’aujourd’hui. Côté chanteurs et chanteuses, j'ai beaucoup écouté Elis Regina et Nana Caymmi, deux interprètes incroyables. Aujourd'hui, j'aime beaucoup des chanteuses comme Mônica Salmaso ou Luciana Souza. En jazz, Ella Fitzgerald est vraiment la numéro un à mes yeux. Elle a tout. Je l’écoute tout le temps. - En tout cas, le répertoire du disque reflète en quelque sorte vos affinités musicales, mais aussi humaines...
- Je voulais juste chanter des chansons que j’aimais. Je n’ai pas pris une direction par rapport à une époque, un compositeur ou un style. Je travaille beaucoup avec le guitariste Sandro Zerafa. On a réfléchi ensemble à un répertoire. Ce qui fait l’unité du disque, c’est la formation particulière : deux guitaristes et un percussionniste. C’est vraiment le son que j’avais dans la tête et que je voulais entendre. J'ai connu Sandro par la musique, il est devenu mon meilleur ami. Quant à Hugo Lippi, l’autre guitariste, c’est avec lui que je faisais du jazz il y a dix ans. Je trouve la complicité hyper importante en musique, elle permet de créer, cultiver un beau son de groupe. C’est mon deuxième disque avec Sandro. J’aime bien l’idée que je vais en faire encore plein d'autres avec lui.
(Propos recueillis par A.Y. le 21 avril 2014)
Le prochain concert de Jiji
Le samedi 10 mai 2014 à Paris, 21H30 au Selective Art Kfé
9, rue Dauphine (6e)
09 53 08 43 98
> L'agenda concert de Jiji ici
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