Incidents en marge du concert de Fally Ipupa : quand des tensions congolaises s'exportent à Paris
Vendredi soir, des manifestations violentes en marge du concert de Fally Ipupa ont dévoilé aux Parisiens et aux autorités françaises une spécialité bien congolaise : le choc entre deux passions nationales, la rumba et la politique.
Au moins quatre personnes seront jugées pour les incidents et les incendies survenus vendredi soir 28 février, gare de Lyon à Paris, près de la salle de concert où le crooner de Kinshasa a tout de même pu communier avec 20.000 fans.
Les manifestants se présentaient comme des "combattants" de la diaspora, à savoir des opposants installés en Europe qui accusent notamment le pouvoir de Kinshasa de passivité face aux tueries à Beni, dans l'est de la RDC. Les "combattants" voulaient perturber le grand retour en Europe de Fally Ipupa, 43 ans, l'accusant d'être à la solde des autorités en place à Kinshasa.
Un chanteur surtout engagé sur des grandes causes fédératrices
Fally Ipupa est l'une des grandes stars d'Afrique francophone avec Youssou N'Dour ou Tiken Jah Fakoly. Ancien membre du groupe Quartier latin fondé par Koffi Olomidé, il modernise la traditionnelle rumba au contact du rap et des musiques urbaines (via des collaborations avec Naza et Booba), de l'afro-beat, du folk.
En fait d'engagement, l'artiste est surtout connu pour sa défense de nobles causes très consensuelles : lutte contre les enfants-soldats et soutien au prix Nobel de la Paix 2018 Denis Mukwege, "l'homme qui répare les femmes" victimes de violences sexuelles au Congo.
En RDC, les incidents parisiens n'ont reçu aucun soutien
En RDC, le coup de force contre l'icône pop congolaise n'a trouvé aucun soutien. "Nous condamnons avec force les violences, casses et incendies injustifiables des soi-disant combattants en marge du concert de Fally Ipupa. C'est un mauvais combat, mené de la mauvaise manière, contre les mauvaises personnes", a réagi, cité par l'AFP, le mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha), guère tendre avec le pouvoir.
Les "combattants" avaient obtenu l'annulation d'un précédent concert de Fally Ipupa en juin 2017 dans une autre salle parisienne. Depuis, les temps ont changé. Issu de l'opposition, Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur de l'élection présidentielle de décembre 2018 au prix d'un accord de coalition avec son prédécesseur Joseph Kabila. En Europe, le mouvement des "Combattants" s'en est trouvé affaibli, avec la défection des militants de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti du nouveau président.
Musique et pouvoir, une longue histoire depuis l'indépendance
La musique et le pouvoir dansent ensemble au Congo depuis l'indépendance célébrée il y a bientôt 60 ans. En 1960, l'African Jazz de Grand Kalle pose ses valises à Bruxelles pour accompagner et distraire la délégation congolaise qui négocie l'indépendance avec la Belgique. Grand Kalle compose la chanson Indépendance cha cha, tube panafricain et hymne des multiples indépendances célébrées cette année-là. Indépendance cha cha cite le nom des héros de l'indépendance congolaise, en commençant par celui de Patrice Lumumba.
En 2020, les nombreux chanteurs de rumba continuent de citer dans leurs chansons le nom des "Excellences" ou des officiels qui veulent bien leur donner quelques billets de 100 dollars. Dans les années 1970, les musiciens congolais ("zaïrois" à l'époque) ont été mobilisés par le dictateur Mobutu Sese Seko dans la mise en œuvre de son retour à l'"authenticité" africaine.
Le chanteur-guitariste Franco Luambo "prit la tête d'une nouvelle instance publique destinée à soutenir la musique populaire", note l'écrivain David Van Reybrouck dans sa somme Congo, une histoire.
Fin 1970, le grand chanteur congolais Tabu Ley Rochereau se produit à l'Olympia, à Paris, avec le soutien de Mobutu. Une première pour un artiste africain. Et il n'y avait pas eu d'incidents sur les grands boulevards.
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