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Chico Buarque fête ses 75 ans : dix merveilles de son répertoire

Depuis plus d'un demi-siècle, sa carrière artistique est indissociable de ses engagements politiques. Ses textes, véritables poèmes chantés, possèdent bien souvent une forte dimension sociale.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Chico Buarque sur scène à Rio de Janeiro le 28 juillet 2018, durant un concert de soutien à l'ancien président Lula. (MAURO PIMENTEL / AFP)

Né le 19 juin 1944 à Rio de Janeiro, Chico Buarque de Hollanda a enregistré près d'une quarantaine d'albums studio et musiques de films, une dizaine d'albums live, sans compter les singles, compilations, collaborations diverses... Entre son tout premier enregistrement en 1964, son premier album Chico Buarque de Hollanda (1966) et le dernier en date, Caravanas (2017), Chico Buarque, artiste engagé au sens le plus noble du terme, aura marqué de son empreinte plus d'un demi-siècle d'histoire de son pays. Retour sur une vie d'art et de résistance.

Même sans être expert en musique brésilienne, le grand public connaît au moins trois chansons de Chico Buarque sans le savoir. L'une d'elles, Essa moça tá diferente (1970) a été popularisée par une publicité pour un soda à la fin des années 80. Une autre, Partido Alto (1972), a été adaptée en français en 1973 par Pierre Vassiliu qui en a fait le maxi-tube burlesque Qui c'est celui-là ?. La troisième, O que Será, un de ses chefs-d'œuvre, a été adaptée dans notre langue par Claude Nougaro... Aujourd'hui, Chico Buarque fête ses 75 ans alors que son pays est dirigé par un président ouvertement nostalgique de la dictature qu'il a combattue sans relâche, à la ville et à la scène...

Construção, 1971

Quand les médias brésiliens se prennent au jeu de classer les plus grandes chansons de leur pays, Construção arrive tantôt en tête, tantôt en deuxième position, en concurrence avec Aguas de Março de Tom Jobim. Construção figure sur l'album éponyme de Chico Buarque sorti en 1971, l'année suivant son retour d'Italie où l'artiste s'était exilé durant plus d'un an pour s'éloigner de la pression de la junte militaire. Construção, fresque glaçante de plus de six minutes, relate le sort tragique d'un ouvrier du bâtiment dans une société où la main-d'œuvre n'a aucune valeur. La chanson est sortie à une époque où le pouvoir en place revendiquait une forte croissance économique dans un contexte de propagande massive et de répression féroce. En plus d'une tension dramatique croissante appuyée par l'orchestration, le texte force l'admiration par sa virtuosité formelle, avec ses phrases de quatorze syllabes s'achevant systématiquement sur un proparoxyton, un mot dont l'accent tonique est placé sur l'antépénultième (avant-avant-dernière) syllabe. Enfin, dans les chœurs, on reconnaît les chanteurs du groupe MPB-4, fidèles complices de Chico Buarque.

O Que Será (À Flor da Pele), 1976

Adapté par Claude Nougaro sous le titre Tu verras en 1978, O Que Será a été écrit et composé initialement par Chico Buarque pour un film, Dona Flor et ses deux maris, de Bruno Barreto (1976), d'après le roman éponyme de Jorge Amado. Dans la bande originale où officie la chanteuse Simone, O que Será compte trois variations pour trois moments différents de l'intrigue : une version d'ouverture, la version À Flor da Pele (reprise par Chico Buarque et Milton Nascimento dans la vidéo ci-dessus) et À Flor da Terra, avec des différences de tempo et de textes.

Roda Viva, 1967

La chanson Roda Viva, extraite de l'album Chico Buarque de Holanda - Volume 3 (1968), a été composée pour la pièce de théâtre du même nom que le jeune chanteur de 23 ans a écrite en 1967. Cette pièce, première expérience de l'artiste en tant que dramaturge, relate l'histoire d'une vedette de la chanson qui décide de changer de nom dans l'espoir de toucher un plus large public. Cette satire sociale finira par être interdite après des incidents durant des représentations. Entre-temps, à l'automne 1967, Chico Buarque et ses amis du groupe MPB-4 ont présenté la chanson au concours du Festival de musique populaire brésilienne, où elle s'est classée troisième. Le document vidéo qui a immortalisé ce concours fascine à plus d'un titre. Outre un Chico Buarque éblouissant, les caméras captent tantôt la ferveur du public, tantôt les regards soupçonneux des juges...

Apesar de Você, 1970

Cette chanson, dont le titre signifie "En dépit de vous", illustre parfaitement les contorsions auxquelles Chico Buarque s'est livré, dans ses textes, pour tenter de faire passer ses messages au travers de la censure pendant la dictature militaire. À un premier niveau de lecture, cette chanson pourrait passer pour une âpre querelle amoureuse : "Vous qui avez inventé la tristesse/ Maintenant ayez la finesse de la désinventer." En vérité, Chico Buarque s'en prend vigoureusement à la junte militaire. "En dépit de vous/ Demain sera un autre jour !", clame-t-il sur fond de samba faussement désinvolte. La chanson a été enregistrée une première fois en 1970, puis en 1978. Lors de sa première sortie en 45 tours, après son retour d'exil, le chanteur ne pensait pas qu'elle surmonterait le test de la censure. À sa grande surprise, les autorités n'y ont vu que du feu. Puis ils se sont aperçus du stratagème et dès lors, ils ne l'ont plus lâché, l'obligeant parfois à publier ses compositions sous des pseudonymes.

Cálice, 1978

Autre hymne de la résistance, la chanson Cálice a été écrite conjointement par Chico Buarque et Gilberto Gil en 1973. Mais elle a été censurée par la dictature militaire et quand les deux musiciens ont tenté de la chanter sur scène à São Paulo en mai 1973, leurs micros ont été coupés (comme on le voit à la fin de la vidéo ci-dessus). Le texte, qui fait allusion au Christ, peut être une fois de plus lu de différentes façons, alors que "cálice" se prononce en portugais comme "cale-se" (taisez-vous). La chanson n'a pu sortir que cinq ans plus tard, en 1978, dans un album intitulé Chico Buarque. Gilberto Gil ayant changé de maison de disques dans l'intervalle, c'est finalement Milton Nascimento qui a enregistré sa partie.

Retrato em Branco e Preto, 1968

Première collaboration entre Chico Buarque et Antônio Carlos "Tom" Jobim, le cofondateur de la bossa nova, de 17 ans son aîné, Retrato em Branco e Preto n'est autre que la mise en mots d'un sublime thème instrumental de Jobim, Zingaro (1965), enregistré sur son album A Certain Mr Jobim (1967). Les paroles, un constat désabusé pouvant donner lieu à diverses interprétations, sont écrites à la première personne. C'est le compositeur de Desafinado qui a contacté Chico Buarque pour lui demander un texte, racontait la sœur de Jobim, Helena, dans un ouvrage consacré à son illustre frère. Jobim a joué le thème inlassablement en présence du jeune artiste, inspirant des harmonies, mots et sons aux deux hommes. Buarque a enregistré la musique sur une cassette et a pris congé. Quelques jours plus tard, le texte était prêt, avec son titre insolite qui se traduisait littéralement par "Portrait en blanc et noir", au lieu de noir et blanc. Quand Jobim lui a demandé les raisons de cette inversion d'adjectifs, Buarque a invoqué des questions de rimes...

Olha Maria, 1970

Avec Tom Jobim à la composition et les deux plus grands poètes-paroliers du Brésil, Chico Buarque et Vinícius de Moraes, à l'écriture du texte, on tient un pur chef-d'œuvre. À la base, cette chanson est encore un thème instrumental de Jobim, Amparo, extrait de son album Stoneflower (1970). Avec Vinícius et Chico (les Brésiliens aiment dire simplement les prénoms des personnalités), la chanson devient un message crépusculaire : celui qu'un homme vieillissant adresse à sa bien-aimée, jeune, pleine de vie, de désirs, qui s'éloigne irrémédiablement de lui. La version de Chico Buarque d'Olha Maria figure - parmi d'autres merveilles - dans l'album Construção, cité plus haut. Jobim y est au piano.

Pedaço de Mim, 1979

Cette merveille poignante, dont le titre signifie "Morceau de moi", fait partie du répertoire de la chanteuse Zizi Possi sorti en 1979. Mais initialement, Pedaço de Mim figure dans la pièce de théâtre  Ópera do Malandro (1978) écrite par Chico Buarque. Dans la même pièce, on trouve un autre classique de Chico Buarque, Geni e o Zepelim.

Eu te Amo, 1980

Encore une chanson d'amour, Eu te Amo, l'une des perles du partenariat musical entre Tom Jobim et Chico Buarque, a été écrite à l'origine pour un film du même nom réalisé par Arnaldo Jabor, et sorti en 1981. La chanson a été enregistrée en 1980 avec Telma Costa, une jeune chanteuse à la voix juvénile et haut perchée, disparue prématurément en 1989. Glissé dans l'album Vida de Chico Buarque, ce titre profondément mélancolique fait partie des classiques de son répertoire.

Olhos nos Olhos, 1976

Pour conclure cette - impossible - sélection, une très belle ballade de Chico Buarque qui figure dans l'album Meus Caros Amigos (1976). Le narrateur s'y adresse directement à la femme qui l'a quitté... Car le Chico romantique a toujours été aussi inspiré que le Chico militant.

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