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Interview "Madonna est derrière la mise en scène à 85%" : le danseur Nicolas Huchard se confie sur The Celebration Tour, la tournée anniversaire de la reine de la pop

Madonna fête les 40 ans de sa carrière et se produira dimanche 12 novembre à l'Accor Hotel Arena pour 4 dates exceptionnelles. Le danseur français Nicolas Huchard raconte les coulisses de sa nouvelle collaboration avec la légende de la pop.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Madonna et Nicolas Huchard lors du concert d'ouverture du Celebration Tour à l'O2 Arena le 14 octobre 2023 à Londres. (KEVIN MAZUR / WIREIMAGE)

Nicolas Huchard est l'un des rares Français à avoir pu danser et chorégraphier les spectacles de Madonna. Originaire des Ulis en banlieue parisienne, le danseur s'est frayé un chemin et a collaboré avec M.Pokora, Angèle, Christine and the Queens, Aya Nakamura ou encore Jean-Paul Gaultier pour son Fashion Freak Show.

Mais son expérience la plus mémorable reste définitivement celle avec la Madone qu'il rejoint de nouveau pour la tournée anniversaire qui fête ses 40 ans de carrière. Après Lisbonne, The Celebration Tour passera à Paris dimanche 12 novembre à l'Accor Hotel Arena pour 4 dates exceptionnelles. Nous avons rencontré Nicolas Huchard à l'Hôtel Hilton où il se repose avec la troupe de danseurs avant les répétitions. 

Franceinfo Culture : Comment a eu lieu votre collaboration avec Madonna ? 

Nicolas Huchard : On s’est rencontré il y a huit ans dans le cadre d’une audition. Ça n’avait pas fonctionné. Par la suite j’ai été recontacté pour travailler sur son dernier album et sa tournée Madame X, et par la suite le Celebration Tour.

Je savais où je mettais les pieds. Je savais qu’il ne fallait pas que je compte les heures de travail et qu’il fallait faire attention à son hygiène de vie. Je savais que j’allais travailler avec une grosse machine très productive.

J’ai redécouvert qu’elle aime toujours travailler très tard. Ce n'est un secret pour personne, mais c’est une grande metteuse en scène et à chaque fois elle le prouve à son équipe et au public. Lorsqu’on va voir un concert de Madonna, c’est elle qui est derrière la mise en scène à 85%. J’ai l’impression d’être à l’école à chaque fois que je suis avec elle, c’est pour ça que j’accepte de collaborer. Je suis comme un étudiant.

Quelle est sa vision artistique, quelle impulsion donne-t-elle à sa mise en scène ?

Elle veut faire rêver les gens, les émerveiller. Elle veut que chaque personne qui vienne dans ses concerts oublie sa vie quotidienne. Elle essaye d’injecter des messages d’actualité auxquels elle croit et des messages politiques, toujours cachés.

Quels sont les fils directeurs, les conditions pour travailler avec Madonna ?

Il faut toujours se donner à fond. Elle travaille beaucoup, parfois trop et par moments elle devrait se reposer très honnêtement.

Que dites-vous à ceux qui estiment que Madonna appartient à une autre époque ?

C’était certes il y a longtemps, mais elle est intemporelle. Madonna s’est inscrite dans un spectre de légende et elle est encore vivante. Elle peut encore faire ce qu’elle aime. J’ai énormément d’admiration pour elle. Elle est encore d’actualité parce qu’elle a ce don de s’entourer de personnes très actuelles. Comme moi par exemple (rires).

Qu’est-ce que vous pensez avoir apporté justement ?

Madonna a toujours besoin de s’entourer de personnes issues de différents milieux sociaux, de différents pays, qui parlent une autre langue, et qui vont avoir quelque chose à lui apprendre. Elle adore la culture française et ce qui va avec. Il y a surtout des cultures et des sous-cultures et c’est ça qui l’intéresse. Je suis donc là pour lui apprendre des choses sur la culture française mais aussi ces sous-cultures.

Madonna ne prend donc rien pour acquis ?

Rien pour acquis, c’est vraiment l’une des premières phrases qu’elle va nous répéter, quand elle prononce des discours entre nous. Elle veut toujours qu’on avance, qu’on explore et qu’on soit très libre dans sa tête. C’est ce qu’elle veut.

Madonna et Nicolas Huchard lors de la tournée The Celebration Tour. (DR)

Comment avoir réussi à resserrer 40 ans de carrière en un show de plus de deux heures ?  

Il faut commencer à faire des choix et des choix pertinents. Elle ne peut pas chanter toutes ses chansons, il y en a trop. C’est d’abord ses choix de cœur, les chansons qu’elle aime et qui portent un message fort. Il faut aussi une cohérence entre les tubes en soignant les transitions.

Avez-vous pu la conseiller sur certains choix de chansons ?

Il y a certaines chansons que j’aurais aimé avoir dans le spectacle qui n’y sont pas, mais finalement ça laisse des options pour faire un deuxième spectacle. C’est comme ça que je le vois.

Ce n’est donc pas sa dernière tournée comme certains l’affirment ?

Elle n’en restera pas là. Je pensais aussi que c’était peut-être sa dernière tournée avant de travailler avec elle. Maintenant que je suis avec elle tous les jours, je ne pense pas que ce soit la dernière.

Qu’est-ce qui a été mis de côté dans ce concert qui mériterait d’être célébré ?

Ça, ce n’est pas à moi de le dire mais plutôt aux fans qui viendront le voir. Peut-être que leur chanson préférée n’aura pas été chantée. C’est une question de point de vue. Faisant partie du spectacle, je n’ai pas trop de recul, mais j’aurais bien aimé entendre Music. Le show était trop long et il fallait le raccourcir… Mais peut-être que certaines chansons risquent d’apparaître au fur et à mesure de la tournée qui sait…

Pourquoi Madonna aime autant les danseurs français ? Qu’apportent-ils de plus que les autres ?

Elle aime beaucoup la personnalité que les danseurs français peuvent apporter à son spectacle, à quel point ils réussissent à la mettre dans leur interprétation. J’ai chorégraphié deux chansons dans le spectacle, Open Your Heart et Hung Up. Ce sont deux chansons qui m’ont marqué dans ma vie. C’est super inspirant de pouvoir travailler sur des supports pareils.

Karl Lagerfeld détestait se plonger dans ses archives et préférait créer sans regarder en arrière. Est-ce également le cas pour Madonna ?  

Elle est aussi comme ça. Ce n’est pas une personne qui se plonge dans ses archives pour avancer, elle aime juste avancer. Mais nous, en tant que chorégraphes qui l’assistons dans sa création, on était obligé de regarder d’anciennes chorégraphies, d’anciens clips, d’anciennes références qui pouvaient nous aider à créer un visuel. C’était agréable de le faire, ça nous rappelle pour qui on travaille. Mais Madonna ne le fait pas du tout.

La fille de Madonna, Estere se produit lors du Celebration Tour à l’O2 Arena le 15 octobre 2023 à Londres. (KEVIN MAZUR / WIREIMAGE)

Beaucoup de parties du concert font référence à la culture ballroom et au voguing pratiqué sur scène par la jeune fille de Madonna, Estere. Madonna est souvent accusée d’appropriation culturelle par cette communauté, et de l’avoir mal comprise. A-t-elle pris cela en considération ?

Je suis content de parler du tableau autour de la chanson Vogue. Il nous a pris énormément de temps parce que c’est un sujet assez sensible. Il ne fallait pas se rater et être le plus fidèle possible à ce que la ballroom scene est maintenant. Madonna a eu une approche de la ballroom très tôt (dans les années 90 ndlr) alors que c’était encore underground. Cette culture a fait son chemin et a énormément changé. Madonna était friande de savoir ce qu’était devenue la communauté ballroom aujourd'hui. Elle voulait en savoir plus sur le parcours de cette danse et de ce mouvement. Elle a été très attentive. Nous étions entourés de membres de la communauté ballroom de New York, comme Arturo et Ivy Mugler ou Kevin Jz Prodigy (la voix derrière le Renaissance Tour de Beyoncé ndlr). Ça reste l’un des tableaux les plus forts du concert.

Êtes-vous content de voir la culture ballroom représentée ?

Oui bien-sûr ! Madonna a mis en lumière ce mouvement, il y a longtemps. Je trouve que ça a été bien fait. C’est normal pour elle de continuer à le porter. Elle l’a fait une fois et ça a eu un impact positif pour la ballroom. Je trouve normal que la chanson Vogue soit dans le concert, avec toute son évolution.

Est-ce que ce sont des références que vous voulez intégrer dans vos spectacles ?

Oui je travaille sur un spectacle qui s’appelle Flamboyant qui parle des masculinités. Je ne me suis jamais vraiment senti dans ce qu’on définissait comme un homme masculin et j’avais aussi envie de parler de ça. J’ai envie de montrer au monde qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’être homme. Express Yourself !

 Est-ce un message porté par Madonna dans sa tournée ?

Dans sa carrière même. En étant à ses côtés je sens que je peux être moi-même et m’exprimer comme je veux. Ça n’a pas été le cas sur tous les jobs de danse que j’ai fait. J’ai souvent dû jouer un rôle, ce qui n’est pas le cas avec Madonna et c’est très agréable. Elle a toujours voulu apporter une safe zone et montrer de la compassion pour les minorités.

Madonna sera sur scène à Paris les 12, 13, 19 et 20 novembre prochains à l'Accor Arena.

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