"Il est temps de libérer les artistes de ce système" : Kanye West se pose en leader de la fronde contre les géants du streaming
Le rappeur et producteur américain sort son nouvel album "Donda 2" ce mardi 22 février. Vous ne le trouverez sur aucune plateforme de streaming mais uniquement sur un lecteur mis en vente par ses soins. Kanye West veut ainsi prendre la tête de la mobilisation contre les géants du streaming.
Il s’était choisi une date symbolique, la suite de chiffres palindrome 22.02.2022, pour la sortie de son nouvel album Donda 2. Mais vous ne trouverez pas ce disque sur les plateformes de streaming ce mardi. Ni sur Apple, ni sur Amazon, ni sur Spotify ou YouTube, a-t-il prévenu. Car Kanye West (qu’il faudrait désormais appeler Ye) a décidé d’en faire un symbole de la lutte contre la piètre rémunération des artistes par les géants du streaming.
Pour écouter Donda 2, son onzième album solo, les fans devront donc débourser un peu plus de 200 dollars (177 euros) pour se procurer un petit appareil connecté baptisé Stem Player sur lequel l’album est disponible en exclusivité depuis mardi (comptez cependant 3 semaines pour une livraison en France). Le prix pour "faire partie de la révolution" selon lui.
"Il est temps de bâtir notre propre système"
"Les artistes aujourd’hui ne touchent que 12% de l’argent que se fait l’industrie (musicale). Il est temps de libérer la musique de ce système oppressif. Il est temps de prendre le contrôle et de bâtir notre propre système", a écrit la semaine dernière sur Instagram le rappeur, producteur, designer et homme d’affaires américain qui fait actuellement l'objet d'un documentaire en trois parties sur Netfix. "Les auteurs-compositeurs ont été vraiment lésés par les plateformes de streaming. Certains disent que je suis le seul à pouvoir changer les choses. Alors en tant que leader de l’innovation musicale des 20 dernières années, je mets mon travail en jeu pour le changement."
"Les entreprises technologiques ont rendu la musique quasiment gratuite, donc, si on ne vend pas des baskets et des tournées, on ne mange pas", a-t-il ajouté, assurant avoir "refusé une offre de cent millions de dollars d'Apple" pour l'exclusivité de son album, visiblement vexé de ne pas avoir été reçu en personne par Tim Cook, le patron de la firme à la pomme. "Personne ne peut me payer pour me manquer de respect. Nous fixons notre propre prix pour notre art".
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Qu'est-ce que le Stem Player ?
Kanye West vante le Stem Player comme un outil pour mener la révolution mais aussi comme un appareil permettant de remixer n’importe quel morceau, et pas seulement ceux de son album. Petit, de forme ronde et plate, orné de diodes lumineuses, ce lecteur permet en effet d’isoler les différentes pistes (vocaux, basse, percussions etc), puis de les retravailler, qu’il s’agisse de les accélérer ou de les ralentir, d’y ajouter des effets, ou de créer des boucles à l’intérieur même des morceaux. Petit souci : le Stem Player n’est pas disponible partout dans le monde. Il ne l’est pour l’instant qu’aux Etats-Unis, dans l’Union européenne, au Royaume-Uni, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Cela n’est pas sans rappeler l’épisode malheureux du lecteur Pono haute résolution lancé par Neil Young il y a quelques années. Alors que le rocker canadien s’exaspérait de la piètre qualité sonore des MP3, son baladeur, couplé à un site de téléchargement payant de musique, promettait d'offrir aux audiophiles un son de haute définition, "le meilleur du monde". Mais le succès de l'appareil, vendu 399 dollars (352 euros environ) n'avait été que d'estime : lancé en 2015, le Pono avait cessé d’être fabriqué dès avril 2017.
Comme pour conjurer le sort, Ye publiait samedi, le 19 février, les premiers chiffres : il assurait avoir vendu 6 217 Stem Players en 24 heures. Un bond en avant pour cet appareil commercialisé depuis le 25 août 2021 et dont presque personne n’avait entendu parler jusqu’ici. Le rappeur et producteur affirme aussi disposer de 67 000 exemplaires prêts à être expédiés, 3 000 exemplaires de ce lecteur pouvant sortir de l'usine chaque jour. "Tous ceux qui soutiennent notre révolution changent la partie pour tous les artistes", a écrit le rappeur. "Nous n’avons plus à nous prosterner devant des gens qui ne s’intéressent pas vraiment à notre musique". Mais le milliardaire ne dit pas comment il compte aider les autres artistes.
We Don’t Talk About Bruno from #Encanto on the Stem Player by Dian pic.twitter.com/NJWNkI69Ok
— STEM PLAYER (@stemplayer) February 3, 2022
Kanye West parviendra-t-il à lancer la révolution ?
Cette fronde de Kanye West survient d’ailleurs dans un contexte particulier, où l’on retrouve Neil Young au premier plan : fin janvier, ce dernier décidait de retirer son catalogue de Spotify, suivi par Joni Mitchell, Nils Lofgren, David Crosby et quelques autres. Le rocker canadien protestait à l’origine contre un podcast hébergé par Spotify, accusé de propager de fausses informations sur les vaccins anti-Covid. Mais le mouvement de boycott menaçait de se déplacer sur la question des piètres rémunérations accordées aux artistes par la plateforme suédoise, qui perdait dans la foulée d’importants points de valeur en bourse mais refusait de céder, tout en annonçant quelques mesures contre la désinformation.
Débutée sérieusement durant la pandémie, la mobilisation des artistes en faveur d’une rémunération plus juste des revenus du streaming continue à bas bruit entre quelques coups d'éclat. Faute de bénéficier de la solidarité de stars bien installées et prêtes à prendre des risques, elle n’a pas encore porté ses fruits. Kanye West ne fait que rallumer la mèche. A lui seul, parviendra-t-il à changer la donne ? Sans doute pas.
Le fait qu’il prêche pour sa propre paroisse avec la vente d’un lecteur à 200 dollars (un prix astronomique comparé à un abonnement à une plateforme), sans compter la lassitude du public face à sa conduite toujours plus erratique sur les réseaux sociaux, ne laisse pas présager un tournant majeur. Pourtant, il faudra bien un jour mener cette révolution pour changer le modèle économique des plateformes de streaming qui ne profite qu’à une poignée d’artistes les plus en vue, et exerce au passage un formatage nuisible à la diversité des genres. Au risque, sinon, d’assécher durablement la création musicale.
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