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Une compil jazz ultime pour la fin du monde... et même Noël

Le magazine « Jazz Magazine / Jazzman » a sorti un coffret de cinq CD, soit cent titres, couvrant l’histoire du jazz de 1928 à 2011. Compositeurs et interprètes, chanteurs et instrumentistes, artistes solos et groupes, jazz d’Amérique du Nord et du reste du monde, tradition et création contemporaine, un voyage éclectique et passionnant. Nous avons rencontré le « compilateur », Lionel Eskenazi.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le coffret "Jazz Magazine / Jazzman" est sorti en novembre chez Wagram
 (Wagram Music - 2012)

Il existe désormais un espace idyllique où l’orchestre de Count Basie partage l’affiche avec les trentenaires de Ping Machine. Un lieu où résonnent les voix d’Ella Fitzgerald et Fay Claassen, les saxophones de John Coltrane et Jacques Schwarz-Bart, les claviers de Bud Powell et Tigran Hamasyan, la contrebasse de Charles Mingus et l’oud de Dhafer Youssef, l’âme manouche de Django Reinhardt et le Brésil de Hermeto Pascoal…

Un festival géant et foisonnant, irréalisable « dans la vraie vie ». Pas seulement parce que de nombreux artistes de ce coffret sont passés de l’autre côté du miroir, mais aussi parce que pour certains musiciens bien vivants et en activité, intégrer la programmation de certains festivals tout à fait réels relève tout autant de l’impossible.

D’où l’intérêt de cette compilation, foisonnante et audacieuse, dont la direction artistique a été confiée au journaliste Lionel Eskenazi, du mensuel « Jazz Magazine / Jazzman ». Elle ne se contente pas d’aligner les standards mille fois rebattus, leur préférant des titres moins connus du répertoire (et de format court, ce qui donne de la pêche à l'ensemble). Elle ne tombe pas davantage dans la facilité de n’aligner que des noms ultra populaires et vendeurs. Une vraie réussite.
Cinq questions à Lionel Eskenazi
Journaliste de « Jazz Magazine / Jazzman », il est l'auteur de la sélection des cent titres de la compilation.

- Culturebox : Possédez-vous tous les albums dont sont extraits les cent titres du coffret ?
- Lionel Eskenazi : Oui, et ce sont mes propres disques qui ont été mis sur la compilation. Le projet stipulait que j’amène moi-même mes albums, et tout en CD. C’est mon matos ! Je dois posséder environ 10.000 albums, j’ai même des cassettes audio, des 45 tours, je garde tout…

- Quels ont été les critères de sélection de ce coffret ?
- On m’a commandé cinq CD, cent titres. À partir de là, on m’a dit : « Tu fais ce que tu veux. » Au journal, on m’a demandé de trouver cinq thématiques pour différencier chaque CD. Une fois ces thématiques trouvées (« grands interprètes », « grands compositeurs », « grand métissage », « Made in Europe ! », « années 2000 »), cela facilite la tâche. Après, j’ai fait mes choix. Il fallait être objectif, mettre tous les grands du jazz. Je voulais quelque chose qui couvre le passé, depuis Louis Armstrong en 1928, mais aussi le présent. Il fallait aussi que je sois un peu subjectif, que je mette des trucs qui me fassent aussi plaisir, même s’ils ne sont pas forcément connus. Je voulais absolument parler du jazz d’aujourd’hui, français, européen également. Il me tenait enfin très à cœur de parler des métissages. Maintenant, tout le monde métisse le jazz avec d’autres musiques, qu'il s'agisse des musiques du monde, du rock, du funk, de la pop, de l’électro, de la même manière que le jazz s’est mélangé auparavant à la musique brésilienne.
- Comment jongle-t-on entre ses goûts personnels et les exigences d’objectivité, d’équilibre, voire les contraintes de format de ce coffret ?
- C’est en effet compliqué, il faut être très rigoureux. Mais j’ai également marché à l’instinct. D’abord, je ne voulais pas mettre des gros tubes, les gros standards que tout le monde connaît. C’était un vrai parti pris. Dès lors, pour les artistes choisis, j’ai essayé de déterminer le moment où ils me semblaient au top de leur carrière, ce qui n’était pas évident pour des gens comme Duke Ellington ou Miles Davis qui ont eu 40, 50 ans de carrière et qui n’ont fait que des chefs-d’œuvre. J’ai alors favorisé des périodes où ils étaient entourés du meilleur groupe. Par exemple, pour Bill Evans (pianiste, ndlr), j’ai choisi le moment où il jouait avec le contrebassiste Scott LaFaro et le batteur Paul Motian. Je devais aussi tenir compte d’une autre contrainte : il me fallait des morceaux de 4 minutes maximum, condition sine qua non pour caser 20 titres par CD (un CD ne devant pas dépasser 79 minutes 30), ce qui était un vrai casse-tête ! Ensuite, il faut réfléchir à l’enchaînement des titres, ne pas mettre trois morceaux de piano de suite par exemple, tout en tenant compte, pour chaque CD, d’une chronologie. Il me semblait important de proposer une narration, une histoire du jazz, au travers de chaque thématique.
- Dans le coffret, on déplore les absences de quelques grands noms, comme Brad Mehldau, expliquées dans le livret par des questions de droits… Frustrant ?
- Faute d’avoir obtenu les droits, en effet, cinq artistes que je tenais absolument à avoir dans le coffret en sont absents. John Zorn en premier lieu, Anthony Braxton, Brad Mehldau, Pat Metheny, mais aussi le chanteur Gregory Porter, idem pour Esperanza Spalding. Au départ, pour anticiper ces obstacles juridiques, on m’avait demandé une liste de 150 titres. Et au bout du compte on a obtenu les droits pour 130 d’entre eux. J’ai dû retirer 30 artistes de la liste, cela a été très douloureux… Du coup, j’aimerais bien qu’il y ait un volume 2, afin d’y mettre tous les absents !
- En quelques mots, qu’avez-vous envie de dire aux amateurs de musique pour qu’ils se procurent cette compilation ?
- C’est un disque grand public. Je ne m’adresse pas aux spécialistes du jazz, mais à tout le monde, toutes les générations ! J’entends des gens me dire : « Je vais l’offrir à Noël à mon beau-père, mon oncle, mon grand-père… » Cela m’énerve un peu d’entendre ça… Je leur réponds : « Mais offrez-le à vos enfants, si vous avez des ados ! » C’est une ouverture vers le jazz, le jazz au pluriel, ça ne s’adresse pas aux vieux, ce n’est pas un truc ancré dans le passé ! Les gens conservent malheureusement des a priori sur cette musique. Le mot « jazz » fait peur, on veut le gommer… Je voudrais que les gens n’aient plus peur de ce mot. J’ai voulu donner la définition la plus large possible de ce qu’était cette musique. Ce jazz, ce n’est plus uniquement Louis Armstrong à la Nouvelle-Orléans ! Même si c’est le pionner, et on l’adore. Cette musique a évolué, c’est pourquoi je me suis battu pour consacrer tout un CD du coffret aux années 2000. Je voulais qu’il y ait Andy Emler (fondateur du groupe MegaOctet, ndlr), Tigran Hamasyan, qui n’a que 25 ans… Je voulais qu’il y ait Ping Machine, un groupe en devenir, qui a un potentiel, car il faut aussi penser au futur du jazz.

(propos recueillis par A.Y.)

Coffret « Jazz Magazine / Jazzman », sorti en novembre 2012 chez Wagram. Prix : environ 25 euros

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