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"Tom Jobim est le plus grand songwriter du XXe siècle" : le bel hommage des jazzmen Daniele di Bonaventura et Giovanni Ceccarelli au compositeur brésilien

L'un joue du bandonéon, l'autre du piano. Daniele di Bonaventura et Giovanni Ceccarelli revisitent des musiques peu connues en France du cofondateur de la bossa nova Antônio Carlos "Tom" Jobim, disparu en décembre 1994, il y a vingt-cinq ans. Le pianiste du duo nous parle de sa passion pour l'œuvre du maître carioca.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le bandonéoniste Daniele di Bonaventura et le pianiste Giovanni Ceccarelli (EMILIA DE LEONARDIS)

Ils s'appellent Daniele di Bonaventura et Giovanni Ceccarelli. Ils sont respectivement bandonéoniste et pianiste, originaires de la région des Marches, dans l'est de l'Italie. Si Daniele di Bonaventura, né en 1966, y habite toujours, Giovanni Ceccarelli, né en 1967, a posé ses valises à Paris en 2010, après avoir longtemps voyagé. Ça ne les empêche pas de travailler en duo, entre autres partenariats, depuis 2013. Après Mare Calmo (2015), un premier album de compositions originales, ces deux brillants musiciens se sont lancés dans un projet qui leur tenait à cœur : célébrer la musique d'Antônio Carlos Jobim (alias Tom Jobim). Il y a quelques mois, ils ont sorti l'album Eu te amo, un titre en référence à une sublime chanson cosignée par le maître brésilien et Chico Buarque.

Admiré tant pour ses mélodies intemporelles que pour ses harmonies envoûtantes, Tom Jobim, disparu le 8 décembre 1994, est d'abord le compositeur de chansons parmi les plus célèbres du Brésil comme A Garota de Ipanema ("The Girl from Ipanema" pour les réfractaires au portugais), Corcovado, Desafinado, Chega de Saudade, Aguas de Março... Pourtant, pas de trace de ces classiques dans l'album Eu te amo (Bonsaï Music). Les deux Italiens ont repris des morceaux moins connus du grand public, mais tout aussi splendides. Et ils l'ont fait avec infiniment de délicatesse et d'émotion. Quand Jobim jouait sa musique, on ressentait toute son humanité. Elle rejaillit, intacte, au cœur de cet album intimiste et profond, avec la participation du violoncelliste Jaques Morelenbaum qui a travaillé dix ans avec Jobim et du chanteur Ivan Lins côté Brésil, ainsi que de la chanteuse Camille Bertault côté français.

Franceinfo Culture : À quand remonte votre découverte de Jobim et de la musique brésilienne ?
Giovanni Ceccarelli : Je me suis passionné pour la musique de Jobim - le premier artiste brésilien à avoir attiré mon attention - quand j'étais adolescent. Ça correspond plus ou moins à l'époque où je me suis passionné pour le jazz. À l'époque, j'effectuais un séjour d'un an aux États-Unis, à Portland, dans l'Oregon. Je suis tombé sur une compilation de musiques de Jobim dans une bibliothèque où l'on empruntait des vinyles. Je ne sais pas comment ça s'est passé pour Daniele, mais il m'a surtout fait part de sa passion pour le Jobim symphonique, les musiques écrites pour orchestre.

Que représente Jobim pour vous ?
Pour moi, Tom Jobim est le plus grand compositeur de chansons, le plus grand songwriter du XXe siècle. Si sa musique est très connue pour avoir lancé le mouvement de la bossa nova dans le monde entier, son horizon musical est beaucoup plus large. J'apprécie aussi beaucoup son jeu de piano, son style qui va à l'essentiel et qui lui vient probablement de sa conception de pianiste compositeur. Ça lui permet de dire des choses très profondes au piano.

De grands artistes brésiliens - Chico Buarque, Vinícius de Moraes, Toquinho - se sont exilés en Italie pendant la dictature militaire (1964-1985). Est-ce que cela a contribué à forger un lien artistique entre les deux pays ?
Les événements politiques qui les ont fait venir ont eu pour conséquence de faire connaître la musique brésilienne au grand public italien. Je me souviens, enfant, d'avoir vu à la télévision ces artistes interagir avec des vedettes de la chanson populaire italienne comme Mina, Ornella Vanoni... Chico Buarque, Vinícius de Moraes et Toquinho ont enregistré des disques en italien. C'est à partir de là que ce lien s'est créé et existe toujours. Les artistes brésiliens sont très aimés en Italie.

À quel moment Daniele di Bonaventura et vous avez-vous décidé de rendre un hommage discographique à Tom Jobim ?
En 2017, l'année du 90e anniversaire de la naissance de Jobim, Daniele et moi avons donné un concert chez nous, dans les Marches. On jouait alors le programme de notre premier album Mare Calmo. Daniele a lancé l'idée de faire un travail sur Jobim. Ça a réveillé quelque chose que je gardais en moi, sans avoir osé me lancer... Je suis peut-être plus proche de la musique brésilienne que Daniele dans le sens où j'en écoute tous les jours. Mais j'ai probablement eu besoin de lui pour me dire : "Allons-y !" C'est à partir de là qu'on a commencé à écouter attentivement toute la musique de Jobim, à choisir les morceaux. On a enregistré l'album durant l'été 2017.

Votre disque surprend car on n'y retrouve pas les incontournables standards repris tant et tant de fois...
Oui, il y a eu une envie de notre part de faire découvrir un Jobim moins connu à un public européen. Il y a eu également une recherche plus strictement liée à notre duo piano-bandonéon, en quête de morceaux qui s'adapteraient à nos deux instruments et à nos arrangements. Il y avait aussi l'envie de jouer avec Daniele les chansons Ana Luiza, Luiza, Olha Maria et As praias desertas qui ont eu une très grande influence dans ma musique. Pour moi, ces morceaux sont des mélanges parfaits de tous les éléments musicaux en matière de forme, de mélodie, d'harmonie, ce qui en fait des chefs-d'œuvre.

Comment avez-vous abordé ce répertoire en tant que duo ?
Notre approche de la musique de Jobim est d'essayer de faire transparaître la beauté, l'équilibre, l'art de ce grand compositeur. On n'a pas eu envie de réharmoniser les morceaux parce que les harmonies sont parfaites. On a fait surtout un travail d'arrangement, un travail sur les thèmes, les couleurs, même s'il y a aussi de l'improvisation parce que nous venons du jazz. On a voulu donner une nouvelle vie, si on peut dire, à ces morceaux, à travers le son du bandonéon et du piano.

Comment Jaques Morelenbaum et Ivan Lins ont-ils rejoint le projet ?
J'ai eu la grande chance de travailler avec Ivan Lins sur deux albums que j'ai enregistrés avec l'un de mes groupes, InventaRio. C'est pourquoi je l'ai invité sur ce projet. Ce qui l'a convaincu d'y participer, c'est notre choix de répertoire. On lui a soumis une liste de chansons et il a choisi lui-même les titres sur lesquels il voulait chanter [ndlr : Eu te amo et Brigas nunca mais].

Quelques semaines après la première session studio de l'album, Daniele devait partir au Brésil avec Paolo Fresu [célèbre trompettiste italien] et Jaques Morelenbaum. Avant le départ, il lui a écrit pour l'inviter à jouer un morceau sur le disque en lui proposant aussi une liste de titres. Sa réponse a été très touchante. Morelenbaum, enthousiaste, a renvoyé à Daniele deux listes : d'une part, des morceaux qu'il avait déjà joués avec Jobim et qu'il aurait envie d'enregistrer avec nous, et d'autre part des morceaux qu'il n'avait pas eu la chance de jouer avec Jobim... Finalement, ce n'est pas un, mais quatre morceaux qu'ils a joués avec nous [Ana Luiza, Modinha/Olha Maria, Luiza, Angela].

L'album comporte enfin une invitée française, la chanteuse Camille Bertault...
Camille, dont la participation nous a été suggérée par le label Bonsaï, nous a beaucoup surpris. Si elle est surtout connue pour sa virtuosité, sa grande agilité en tant que chanteuse, elle est très passionnée par le Brésil. Parmi les chansons qu'on lui a proposées, elle a choisi As praias desertas, un morceau très intime qui a fait ressortir ses qualités très expressives, très profondes.

En janvier 2019, vous avez présenté Eu te amo sur scène à Paris, au Sunside, sans vos invités brésiliens. Est-ce qu'on vous verra un jour sur scène en France avec eux ?
Daniele et moi avons donné un concert avec Jaques Morelenbaum durant l'été en Italie. Il nous a fait part de son désir de se produire avec nous autour de la musique de Jobim. On a également joué nos compositions avec lui. Un lien fort s'est créé entre nous trois. J'espère vraiment pouvoir jouer sur scène à Paris avec lui, mais aussi avec Ivan Lins qui est totalement absent des scènes françaises... Ce serait magnifique.

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