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Stacey Kent orchestre ses rêves dans "I know I dream"

Stacey Kent, la plus polyglotte et francophile des chanteuses de jazz américaines, a sorti cet automne un nouveau disque, "I know I dream", enregistré avec un orchestre symphonique, une première depuis son premier album lancé il y a vingt ans. Elle se produit dimanche 19 novembre à Paris, Salle Pleyel, avec l'orchestre Confluences. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La chanteuse Stacey Kent 
 (Benoît Peverelli)

Deux ans après le délicat "Tenderly", enregistré avec la légende brésilienne Roberto Menescal, Stacey Kent est de retour avec "I know I dream" (Okeh / Sony Music), un album réalisé dans une configuration inédite pour la chanteuse. En lieu et place des petites formations dont elle a l'habitude de s'entourer pour célébrer le jazz et la bossa nova, l'artiste américaine chante cette fois avec un véritable orchestre symphonique.

Portée par ce soyeux écrin sonore, l'artiste propose un répertoire varié, servi avec l'élégance et la délicatesse qui la caractérisent. Au menu, des compositions originales du saxophoniste Jim Tomlinson, son compagnon à la ville comme à la scène, des adaptations de standards brésiliens (Tom Jobim, Edu Lobo), une chanson populaire américaine et trois classiques de la chanson française : "Les amours perdues" de Serge Gainsbourg, "Avec le temps" de Léo Ferré et "La Rua Madureira" de Nino Ferrer.

- Culturebox : Pour la première fois, vous enregistrez un disque avec un orchestre symphonique. Est-ce un vieux rêve qui se réalise ?
- Stacey Kent : Je savais depuis toujours que je ferais un disque avec un orchestre et j'attendais ce moment patiemment. Je peux chanter dans un espace très intime. Mais ce qui est délicieux, c'est d'être capable de chanter avec la même intimité tout en ayant plusieurs personnes autour de soi, d'avoir toute cette harmonie, des violons, tous ces instruments... Vous savez, nous sommes cinquante-huit sur l'album ! Et se dire qu'ensemble, nous pourrions créer quelque chose de si intime, si délicat... Quand les gens de Sony m'ont invitée à rejoindre leur maison de disques, c'est eux qui m'ont suggéré l'idée de chanter avec un orchestre. C'est un honneur d'être invitée ainsi. Dans la situation actuelle, ce n'est pas tous les jours qu'il vous est donné une telle opportunité.

- Quelles sont les contraintes suscitées par le travail avec un orchestre ?
- La chose centrale, c'est d'avoir les arrangements parfaits. En anglais, on dit "tailor made", du "sur mesure". Un orchestre offre beaucoup de possibilités, on peut créer beaucoup de sons différents. Mais le plus important, c'est de rester fidèle à la sensibilité de la personne qui chante, qui raconte. Ça a été fait de manière formidable. Avec Jim Tomlinson, qui est mon producteur et mon mari, nous avons parlé, échangé pendant des mois avec Tommy Lawrence, l'arrangeur de la majorité de l'album. La construction des arrangements, c'est ce qui prend le plus de temps. C'est comme discuter avec un architecte pour un bâtiment. Il faut savoir ce qu'on veut en matière de fondations avant d'aller plus loin. On a échangé plein d'idées sur l'harmonie, quels instruments solliciter sur telle ou telle partie...

Le risque, c'est d'en faire trop, car il y a trop de possibilités ! Or, on souhaitait garder cette intimité, ce minimalisme qui constituent notre sensibilité, à moi et mon groupe. La bossa nova a pour essence cette volonté de laisser de l'espace, de laisser les chansons respirer. Nous voulions restituer cet esprit, mais avec tout cet orchestre. Pour moi, c'est la chose la plus électrique, la plus sublime ! C'est ce qui fait, à mes yeux, le grand succès de cet album.

- Ce nouvel album s'appelle "I know I dream" (je sais que je rêve), reprenant ainsi le titre d'une des chansons qu'il renferme. Pourquoi ce choix ?
- D'abord, il s'agit d'une chanson qui a été composée pour moi, par Jim Tomlinson et Cliff Goldmacher, un de ses partenaires d'écriture. Quand ils m'ont présenté cette chanson, j'en suis tombée complètement amoureuse. C'était sublime et ça m'a beaucoup touchée parce que ça parle d'espoir, de la condition humaine, tout en étant contrebalancé par une petite tension, de la mélancolie. C'est à la fois simple et très profond. Ensuite, j'aime le mot "dream" (rêve), j'adore l'idée d'entrer dans un rêve, de voyager. Pour moi, la musique, c'est le voyage. Ça a toujours été comme ça. J'ai trouvé ce titre "I know I dream" si beau que j'ai pensé que cette chanson constituerait une belle invitation pour tout le reste de l'album. On passe beaucoup de temps sur le titre d'un disque et l'ordre des chansons.
- On retrouve dans votre disque une forte présence de chansons brésiliennes, ou écrites dans l'esprit de ce pays, certaines chantées en portugais, d'autres traduites en anglais...
- Le Brésil est toujours présent dans ma vie, c'est inévitable ! Il y a certaines chansons que je n'avais jamais enregistrées en attendant de réaliser cet album avec orchestre. Edu Lobo est un de mes héros. C'est un compositeur et un musicien incroyable, un mélange des inspirations du Nord du Brésil, de tout le reste du pays pays bien sûr, mais aussi de Stravinsky, son idole. J'ai chanté avec lui l'été dernier. Je donnais un spectacle avec Marcos Valle [ndlr : chanteur brésilien] et Edu nous a rejoints. Chanter en duo avec lui était l'un des moments les plus extraordinaires de toute ma vie. La chanson que je reprends sur l'album [ndlr : "Pra dizer adeus", adaptée en anglais sous le titre "To say goodbye"] est tellement puissante.

C'est aussi le cas pour "Double Rainbow" de Jobim [ndlr : "Chovendo na Roseira" dans la version chantée en portugais]. J'avais déjà un arrangement avec orchestre dans mes oreilles. Je savais aussi que je voudrais ouvrir l'album avec ce titre. J'ai déjà enregistré beaucoup de morceaux de Jobim et je vais continuer car son répertoire est énorme. Enfin, la chanson "Mais uma vez" a été composée pour moi par Jim [Tomlinson] avec le poète portugais Antonio Ladeira il y a environ cinq ans. On l'a souvent jouée sur scène. Pour cette chanson aussi, j'avais déjà une version orchestrale en tête.

- Vous reprenez enfin de célèbres chansons françaises dont le monumental "Avec le temps" de Léo Ferré...
- "Avec le temps" est une chanson que je connais depuis toujours. Je l'ai apprise, jeune fille, avec mon grand-père qui m'a fait connaître beaucoup de choses de la culture française. Léo Ferré fait partie de ma vie depuis mon enfance. J'attendais de pouvoir enregistrer cette chanson avec un orchestre. Et surtout, j'attendais le moment où je me sentirais prête à la chanter. C'était vraiment un challenge. Dès que j'ai su que je ferais cet album, je me suis concentrée sur ma façon de décrire cette histoire et ces émotions.
Quant à Serge Gainsbourg, je l'aime et j'adore ses chansons ! C'était un plaisir énorme de chanter "Les amours perdues" avec un orchestre. J'adore l'arrangement qui en a été fait, c'est une grande joie de l'avoir dans mon répertoire aujourd'hui ! Ce qui me plaît, c'est de jouer avec cette tension de Gainsbourg, c'est quelque chose d'énorme... Je dois vous dire que je suis complètement impressionnée par le répertoire de ce disque. J'ai pris beaucoup de temps pour le choisir dans la perspective de cet album si particulier. Et je suis vraiment ravie.

- Votre premier disque est sorti en 1997, il y a vingt ans... Aviez-vous cet anniversaire en tête en préparant ce projet orchestral inédit ?
- Cette année est très importante pour moi, sur un plan personnel, pas seulement en termes de carrière. Dans ma vie, il y a des repères très forts. En 1997, j'ai débuté. En 2007, j'ai fait "Breakfast on the morning tram" qui est l'album qui a changé tout. C'était le moment où j'ai déménagé, j'ai pris un autre chemin, Jim a commencé à composer avec Kazuo Ushiguro [ndlr : écrivain, scénariste, parolier pour Stacey Kent et dernier prix Nobel de littérature], j'ai trouvé un moyen de m'exprimer différemment, en dehors du répertoire du Great American Songbook [ndlr : toute la chanson populaire américaine des années 1920 à 1960]. Avant 2007, il y avait quelque chose qui me manquait, j'avais besoin de compositions qui sortent de ces schémas. L'histoire, la narration au fil de la chanson sont devenues très importantes pour moi. Donc 1997 et 2007 sont des années très importantes. Et aujourd'hui en 2017, sur ce chemin, avec cet album, de nouveau, il y a peut-être la fin de quelque chose et le début d'autre chose. Je réfléchis beaucoup à ce sujet.

Stacey Kent en concert à Paris, avec l'orchestre symphonique Confluences
Dimanche 19 novembre 2017 à Salle Pleyel, 20H
252, rue du Faubourg-Saint-Honoré 8e
Tél (résa) : 01 76 49 43 13
L'agenda-concert de Stacey Kent

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