Rencontre avec la chanteuse Laïka, en concert à Paris
Elle avait tant de choses à leur dire. Dans son quatrième album, "Come a little closer" (comprenez : "Viens un peu plus près"), Laïka adresse des messages personnels à deux hommes qu'elle a aimés. Paroles essentielles restées en suspens dans l'attente d'être enfin libérées par la musique. Laïka dit tout par le biais de standards méticuleusement choisis (Cole Porter, Abbey Lincoln, Michel Legrand, Carole King...) ainsi que d'un texte qu'elle a écrit sur le thème de "Divine" de Roy Hargrove, l'un des trompettistes -avec Ambrose Akinmusire- invités sur ce disque enregistré à New York avec un casting américain. Samedi soir, c'est une équipe française qui prend le relai pour restituer sur scène l'atmosphère feutrée et confidentielle de ce disque tendre et teinté de mélancolie.
La rencontreLaïka a reçu Culturebox lundi dans son appartement parisien, à cinq jours du Café de la Danse. Entretien avec une jeune femme sereine et apaisée, émouvante de sincérité.
- Culturebox : Votre dernier disque est profondément lié à votre histoire personnelle...
- Laïka : Tous le sont ! C'est comme ça que je fonctionne. Je n'enregistre pas s'il ne se passe rien dans ma vie. S'il n'y a pas cette pulsion, je n'ai rien à dire, je n'ai rien à chanter. Il m'est arrivé à deux reprises de refuser des propositions d'enregistrement parce que ce n'était pas le bon moment. Pour mon premier disque ("Look at me now", sorti en 2004, ndlr), j'avais été contactée par mon producteur, auquel je n'avais répondu qu'au bout d'un an. J'attendais mon deuxième enfant et je voulais seulement me concentrer sur ça. Dernièrement, un de mes producteurs m'a demandé si j'avais déjà des idées pour le prochain album. Je lui ai répondu que pour l'instant, je vivais avec "Come a little closer". Le prochain disque reflètera ce que la vie va m'apporter dans les prochains mois.
- Le disque "Come a little closer" est sorti en octobre. J'imagine que depuis ce temps, les deux hommes à qui il est dédié ont reçu le message... Etaient-ils au courant de votre volonté de leur rendre cet hommage ? Comment ont-ils réagi ?
- Concernant mon premier amour, qui a participé au disque, je lui ai dit tout ce que j'avais sur le coeur à la fin de la session d'enregistrement. Il ne savait pas que cet album lui était en partie destiné. Le texte de "Divine", c'est ma déclaration à son attention. Pour le deuxième homme, ce qui était difficile, alors que notre couple était en train de se fracturer, c'était que pendant la préparation du disque je ne pouvais pas chanter à la maison, je ne voulais pas qu'il entende une bribe, ou qu'il voie un titre de ce que j'allais chanter. J'ai dû cacher "cet enfant"... J'ai enregistré l'album fin août. En décembre, pour son anniversaire, je lui ai envoyé quelques titres qui lui étaient destinés. Chacun de ces deux hommes est extraordinaire. De magnifiques personnes.
- Pour les gens qui connaissent un peu votre parcours (Laïka, qui a grandi sans son père biologique, a été élevée par sa mère, sa grand-mère et sa tante, ndlr), le chant semble le moyen privilégié que vous ayez choisi pour exorciser vos manques et vos blessures...
- Oui, tout est lié, mais ça ne se situe plus dans la souffrance. C'est plus dans une quête d'harmonie, pour "être mieux". Avant, j'étais plus une guerrière, je fouinais, et c'est d'ailleurs comme ça que j'ai retrouvé mon père, à 18 ans, même si je ne le vois plus aujourd'hui. Aujourd'hui, je suis plus sereine. - Comment vous-êtes vous sentie pendant, et après le processus d'écriture de la chanson "Divine", dédiée à votre premier amour ?
- C'est ma meilleure amie qui m'a dit : "Laïka, il faut vraiment que tu lui dises toutes ces choses." Et c'est la première fois que j'écrivais un texte aussi rapidement. En trois, quatre jours, j'avais terminé, moi qui suis très lente. Au moment de mettre sur papier toutes ces émotions que je n'avais jamais pu partager avec cet homme jusque-là, je me sentais bien. Je me disais : "On y est ! Il va le savoir." Il était absent du studio pendant l'enregistrement de la chanson, qui est un duo piano-voix. Je lui ai fait écouter la chanson à Paris, sur un banc, en face de la Comédie-Française. Je lui ai posé un casque sur les oreilles. Il était en larmes du début à la fin.
- Quel a été votre sentiment général au moment de l'enregistrement du reste du disque ?
- Délivrance ! Je parle toujours de mes albums comme étant des bébés. Celui-là a été conçu pendant neuf mois exactement. De décembre à août. En janvier, j'ai appelé l'un des producteurs, Jean-Philippe Allard, car j'étouffais, je ressentais de fortes contractions, si on peut faire ce parallèle ! Je lui ai dit : "Il faut absolument que j'entre en studio, il faut que je chante tout ça !" Il y avait une grande urgence. En mars, on a parlé avec l'arrangeur Gil Goldstein, et le temps de prévenir tout le monde, on a pu tous se retrouver fin août, alors que l'album aurait dû être enregistré plus tard. Je me sentais vraiment bien, j'étais fière, et ce, pour la première fois. D'habitude, je ne suis jamais contente en sortant du studio, il y a toujours une insatisfaction en réécoutant le résultat, c'est toujours un peu dramatique... Mais cette fois, on n'était pas dans le registre technique, mais juste dans le fait de "dire, dévoiler des choses". J'étais au plus près de Laïka, et donc satisfaite, puisque j'avais réussi à transmettre ce que j'avais à dire, et que c'était très joliment dit, avec des arrangements qui me plaisaient énormément. - Pouvez-vous nous parler du menu du concert de samedi soir ?
- On fera un mixte entre "Come a little closer" et le précédent disque, "Nebula", sorti début 2011, qui est très différent, puisque j'y avais confié les arrangements et le choix des musiciens à Meshell Ndegeocello (une musicienne américaine, ndlr), ce qui était une première, car en général, j'ai l'habitude de tout faire toute seule avec les musiciens qui m'accompagnent. Mais pour moi, "Come a little closer" constitue la continuité de "Nebula", qui correspondait à une époque, un état d'apesanteur, où je me posais plein de questions sans réponse, au point de partir au Japon, en exil... Les réponses à ces questions sont apparues au Japon, en décembre, j'ai récolté tout ce que j'avais semé.
- Vous avez déjà présenté sur scène le répertoire très intimiste de votre dernier disque, enregistré sans batterie. Comment le public le reçoit-il ?
- J'ai l'impression que mon public est un peu comme moi. Comme je suis très en retrait, il y a beaucoup d'espaces, de silences, je ne parle pas beaucoup. Et je ressens une grande qualité d'écoute dans le public... Il m'accompagne complètement dans ce voyage, en fait. Mais c'était aussi le cas pour les concerts où je présentais un autre répertoire. En fait, votre public vous suit...
- Avez-vous déjà quelques désirs, quelques aspirations pour la suite ?
- J'ai envie d'être plus présente, de faire plus de scène. Je rêve aussi de travailler avec un pianiste que j'adore, Jon Cowherd, qui joue actuellement avec mon bassiste, Chris Thomas. J'ai également envie d'explorer d'autres choses, de partir à la recherche de la Laïka qui s'est endormie il y a longtemps, celle qui est un peu plus légère. Il y a beaucoup de gravité dans tout ce que je fais. Or il existe aussi une Laïka qui fait rire certaines personnes dont elle n'a pas peur, qui ne la jugent pas. On me dit que je suis très drôle, ce que je trouve assez étonnant. J'ai envie de sortir de ce que je connais, de ma zone confortable, un peu comme un bernard-l'hermite. Je sens que je dois changer de coquillage, de maison... Le prochain album va aller vers ça.
(Propos recueillis par A.Y.)
Laïka en concert à Paris, au Café de la Danse
Une production Sunset Hors les Murs & Sound Surveyor
Samedi 20 avril 2013, 19H30
5, passage Louis Philippe
75011 Paris
Laïka : chant
Airelle Besson : trompette
Eric Maria Couturier : violoncelle
Pierre-Alain Goualch : piano
Chris Thomas : contrebasse
Anne Paceo : batterie
En première partie : la pianiste Macha Gharibian
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