Radiohead version jazz, le défi réussi de l’Amnesiac Quartet
En 1997, Radiohead sortait son chef-d’œuvre "Ok Computer". Au même moment, le pianiste Sébastien Paindestre, alors étudiant, écoutait Brad Mehldau, star du piano jazz. C’est ce dernier qui lui a fait découvrir le groupe de Thom Yorke par ses reprises hypnotiques.
Plus tard, parallèlement au trio jazz qu’il animait, Sébastien Paindestre a formé en 2006 un quartet totalement dédié à la musique de Radiohead, l’Amnesiac Quartet (du nom du 5e album studio du quintet d’Oxford). Il a engagé notamment Antoine Paganotti, un ancien batteur de Magma. Un premier disque enregistré en live, "Tribute to Radiohead", est sorti en 2007. Un Volume 2 a suivi en septembre 2013, financé en partie par le public lors d’une collecte en ligne, avec le soutien actif du site des fans français du groupe.
On y retrouve des reprises de "Exit Music", "The Pyramid Song" ou "The Tourist". Les arrangements aériens s’enrichissent d’improvisations captivantes. Aux claviers, Sébastien Paindestre plonge aussi l’auditeur dans l’âge d’or du rock progressif... Planant.
- Sébastien Paindestre : J’écoutais Brad Mehldau qui était un peu mon phare. Il a marqué et décomplexé toute une génération de pianistes. Quand il a repris le morceau "Exit Music" six mois après la sortie de l’album "Ok Computer", ça a mis la puce à l’oreille de pas mal de pianistes, dont moi ! Je me suis dit : "Tiens, Brad Mehldau qui joue du Radiohead…" Je n’avais pas l’habitude de ce genre de chose en écoutant Bill Evans, Bud Powell, mes mentors, qui ne jouaient que des standards ou leurs propres compositions. Et là, tout à coup, il y avait un gars plus ou moins de ma génération qui débarquait et qui écoutait Massive Attack, Radiohead... De mon côté, j’écoutais beaucoup les Beatles à l’époque, mais l’idée de réarranger leur musique ne m’emballait pas plus que ça, ça avait déjà été fait par pas mal de jazzmen. J’ai donc décidé d’écouter un peu Radiohead. - Est-ce que ça a été une révélation ?
- Pas tout à fait. À l’époque, j’étais étudiant, j’allais passer ma médaille d’or en conservatoire de jazz. Je commençais à composer, je me cherchais encore. J’écoutais plutôt du classique et du jazz. Ce n’est que quelques années plus tard, vers 2002, 2003, que j’ai commencé à écouter intensément Radiohead. En entendant "Everything in its right place", de l’album "Kid A", je me suis dit qu’il y avait un truc dans ce groupe. À chaque écoute, je découvrais quelque chose de nouveau. Le groupe a commencé à faire vraiment partie de mon quotidien parallèlement à mon activité de jazzman. Avec Radiohead, je retrouvais du plaisir à écouter autre chose que du jazz ou du classique, j’avais vraiment des émotions, alors que j’en ressentais peut-être moins avec John Coltrane ou Bill Evans qu’à l’époque de mes 20 ans, certaines choses s’étaient effritées. À un moment, l’idée de créer un groupe consacré à Radiohead est venue naturellement. Elle s’est concrétisée en 2006. - À quel moment est-ce devenu un projet de disque ?
- C’est arrivé un peu accidentellement. J’avais bien un projet d'album, mais pas dans l’immédiat. En 2007, on a eu l’occasion d’enregistrer pour une jam session. En écoutant les bandes, on s’est aperçu que ça sonnait comme un enregistrement studio ! On s’est dit : "On a le disque. On ne touche à rien !"
- Et le disque a été bien accueilli...
- Ça s’est un peu accéléré. J’ai commencé à être contacté par des salles ainsi que des fans de Radiohead. Je me suis dit : "Je ne suis pas tout seul dans ce projet !" Je me sentais en effet un peu seul parmi les musiciens de jazz qui se demandaient ce que je faisais et quelles étaient mes motivations. En France, on a besoin de cataloguer les gens dans des styles bien précis ! Étant fan de Radiohead, je participais aux forums, je guettais tout ce qui sortait sur le net, toute musique qui n’était pas sur les disques. En 2007, on a mis une vidéo sur Youtube avec le titre "I might be wrong". Elle s’est retrouvée propulsée sur le site annexe de Radiohead, un site de fans géré par un proche du groupe. Le nombre de vues a monté assez vite à 20.000, 25.000. Sur le moteur de recherche de Youtube, ça apparaissait en tête des reprises de jazz. On a eu alors des échos venant du monde entier. J’ai vu qu’il se passait quelque chose au niveau du public. Puis on a pas mal tourné entre 2009 et 2011. - Radiohead semble se prêter particulièrement à des adaptations par des musiciens de jazz, mais pas seulement. Comment l’expliquez-vous ?
- Les morceaux de Radiohead ne sont pas formatés, certains sont mêmes instrumentaux. Il y a beaucoup de correspondances avec Pink Floyd, or je suis fan de rock progressif. Dans les morceaux, il y a des harmonies, des couleurs qui sont proches de certains morceaux du jazz. Radiohead écoute du jazz. Ils ont raconté dans des interviews que pendant les sessions d'enregistrement de "Kid A", ils écoutaient souvent John Coltrane dans le studio. Ça se ressent dans leur musique, il y a quelque chose qui est déjà là, il suffit de creuser un peu. On se rend compte alors que Radiohead fait le lien entre plein de choses et fédère de nombreux publics et musiciens depuis des années tout en étant l’antithèse du star system. Les membres sont tous des pères de famille tranquilles, très accessibles. Ça crée aussi une proximité avec leur musique.
- Avez-vous pu rencontrer les membres du groupe ? Je crois que vous avez donné un exemplaire de votre premier album à Thom Yorke...
- Après le concert de Radiohead en octobre 2012 à Bercy, j'ai brièvement discuté avec Thom Yorke et je lui ai donné le premier album. Il m'est arrivé également d'échanger avec Jonny Greenwood (le guitariste de Radiohead, ndlr) via Twitter parce que nous avons des affinités communes au niveau de la musique contemporaine. Les managers du groupe ont reçu les disques. Ils sont plutôt bienveillants, ils me donnent toujours les autorisations pour les reprises et ils m'ont donc invité à l'after-show du concert de Radiohead où j'ai pu voir Thom Yorke. - Comment avez-vous procédé pour réarranger la musique de Radiohead ?
- Comme c'est un groupe instrumental, il faut garder à l'esprit le fait qu'il s'agit de chansons. La voix est remplacée par un instrument précis, le saxophone soprano, auquel on ajoute parfois des effets, surtout dans le volume 2. Il m'arrive aussi de jouer une partie du thème aux claviers, même si le refrain est repris par le saxophone. Je ne voulais pas qu'il y ait d'ambiguïté entre la voix et les instrumentations. On brouille davantage les pistes sur les thèmes joués et les improvisations. Je voulais jouer sur les réminiscences. Chez Radiohead, la mélodie est toujours là, il y a les mots, mais on pourrait se passer des mots et je dirais même que la mélodie continue même quand elle n'est pas jouée, il y a quelque chose qui reste dans la tête, en profondeur. Du coup, on peut s'amuser à continuer à jouer sur les mélodies et en faire un élément d'improvisation.
- Est-ce qu'il y aura un volume 3 du Tribute to Radiohead ?
- Oui, c'est prévu dans deux ans. Je vais d'abord me reconcentrer sur mon trio et sortir un nouvel album avec plus d'introspection dans les compositions, j'y ai mis des choses qui me sont arrivées ces dernières années. Mais pour Radiohead, il y aura bien un volume 3, cinq ou six titres sont déjà prêts.
(Propos recueillis par A.Y. le 2 juin 2014)
Amnesiac Quartet en concert le mardi 10 juin à Paris, 21H
Studio de l'Ermitage
8, rue de l'Ermitage
Paris 20e
Tarifs : 15 et 12€
Renseignements : 01 44 62 02 86 et sur le site
Sébastien Paindestre : Clavier, arrangements
Antoine Paganotti : batterie
Pierre-Olivier Govin : saxophone soprano
Joachim Govin : Contrebasse
Avec en invité Pierre-Olivier Govin : saxophone
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