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Ping Machine, c'est "Encore" mieux en live

Le groupe de Frédéric Maurin présente jeudi soir à Paris son quatrième album, "Encore", un disque live enregistré à Tours en mars 2013. Des morceaux inédits composent cette nouvelle fresque sonore, intense et captivante de bout en bout. Frédéric Maurin, leader de Ping Machine, nous parle de ce disque en attendant le concert au Studio de l'Ermitage.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Les 15 musiciens de Ping Machine, dont Frédéric Maurin, debout au centre
 (Christophe Alary)

Manquera-t-on un jour de qualificatifs pour décrire l'énergie, la créativité, la richesse, la puissance narratrice de la musique de Ping Machine ? Ce groupe de quinze musiciens (le vibraphoniste Stephan Caracci a renforcé les effectifs) ne cesse de nous surpendre et de nous séduire tant par l'imagination de son compositeur que par la virtuosité de ses membres, comme le prouvent les haletantes improvisations solo qui ponctuent leurs prestations scéniques.

Les 22 et 23 mars 2013, le groupe parisien s'est délocalisé à Tours, au Petit Faucheux, pour enregistrer trois nouveaux morceaux en live. Ce concert, capté par 32 micros, constitue la matière du quatrième album de Ping Machine, un groupe qui fêtera en 2014 ses dix ans d'existence. Le répertoire de ce live sera joué jeudi soir au Studio de l'Ermitage, une des salles où ils ont leurs habitudes.


- Culturebox : Pourquoi, pour ce quatrième disque, avoir fait le choix d’enregistrer les nouveaux morceaux en live plutôt qu’en studio ?
- Frédéric Maurin : Ce qui regroupe les musiciens qui se reconnaissent sous l’appellation jazz quelques soient les esthétiques, écoles ou chapelles, c’est le rapport à la scène, ainsi qu’à l’improvisation, à l’instantanéité. Cela me paraissait donc essentiel de faire un disque qui retranscrive des choses qui se passent en live. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’improvisation en studio, mais il n’y a pas de public, on joue dans un cadre fermé, entre musiciens pendant trois, quatre jours, les solistes jouent parfois dans une cabine à part, le batteur aussi… J’avais envie d’avoir un disque qui soit plus centré sur les solos et qui donne une vision plus proche de ce qui se passe en concert.
 

Frédéric Maurin (et au 2e plan le pianiste Paul Lay) lors d'un concert de Ping Machine au Triton, aux Lilas, le 30 mai 2013
 (Catherine Ledrux)


- Parlons des trois morceaux inédits du live, à commencer par « Encore » , qui donne son titre à l’album. Dans une présentation du concert du 26 septembre sur les réseaux sociaux, tu parles de « repousser les limites d’un cran »…
- J’ai lu une interview de John Scofield (guitariste de jazz, ndlr) dans laquelle il disait : « Pour digérer les choses, arriver à avancer et ne pas se répéter, il faut jouer, enregistrer les trucs qui nous obsèdent musicalement et passer à autre chose. » Dans « Encore », je crois que je suis allé au bout d’un certain type d’écriture par rapport au format dont on dispose. Ce morceau dure 35 minutes que je voulais volontairement haletantes, si l’on peut dire. J’avais envie d’un truc qui ne s’arrête pas, qui passe par plusieurs phases, bifurque, prenne des chemins détournés, emmène les gens, raconte une histoire, et que ça se fasse sur la durée. Dans ce que j’écoute moi-même, j’ai tendance à aimer qu’on me porte vers quelque chose. J’avais presque envie d’une sorte d’overdose de musique. Un côté un peu trip musical, un voyage comme ce qui se faisait à une époque avec les concept albums. Pas quelque chose de formaté. Tout cela pose des questions en termes d’écriture : comment fait-on pour développer un matériel, créer de la surprise tout en créant de la cohérence…
 

Ping Machine au Triton le 30 mai 2013. Debout au premier plan, le soliste Guillaume Christophel au saxophone.
 (Catherine Ledrux)


- Qu'en est-il de « Grrr » et de son titre onomatopéique ?
- C’est un morceau que j’ai écrit parce que le saxophoniste Guillaume Christophel me demandait un solo de baryton depuis un moment. Je lui ai proposé ce morceau qui constituait un énorme challenge pour lui, à la fois rythmiquement -avec un rythme complètement tordu !- et harmoniquement. Il a eu un bon gros solo à bosser ! Le morceau est vraiment un featuring dans lequel Guillaume joue un solo de 7, 8, 9 minutes. Et ce n'est pas de la dentelle... Ce morceau nous a d'ailleurs posé d'énormes difficultés techniques du fait de sa construction polyrythmique et des nombreux décalages qu'il renferme. Quant à son titre, c'est un « Grrr » de grognement ! Le saxophone baryton y passe beaucoup de temps à grogner...

- Quant à « Trona », c'est un morceau qui t'a été inspiré par un voyage en Californie...
- Trona est un village que j'ai traversé il y a peut-être trois ans, alors que j'étais en vacances avec ma famille. Pour rejoindre la Vallée de la Mort, il faut passer par un tas de routes et de zones assez désertiques. À un moment, surplombant une vallée, on a vu en bas cette ville qui s'appelait Trona, avec des mines de borax et une espèce d'usine. Il faisait 40 degrés... Il y avait un côté à la fois lunaire et complètement apocalyptique. En plus, il n'y avait personne, on se demandait si tout le monde était à l'usine... Peut-être qu'il y a plein de gens qui sont heureux là-bas, mais en tout cas, cette vision de société un peu post-industrielle n'était pas très agréable. J'ai écrit le morceau à partir d'une idée mélodique pas si éloignée d'un blues, avec à l'esprit ces images de désert, d'usine. Ça me faisait aussi penser à Bill Frisell (guitariste de jazz, ndlr), que j'adore. À la fin des années 80 et dans les années 90, il écrivait souvent des morceaux avec un côté post-industriel, très pesant, et cette référence permanente au blues.

- Le morceau comporte quatre parties...
- Elles correspondent à quatre périodes de la journée (6h, midi, 18h, minuit). Au début, j'ai pensé appeler ce morceau « A Life in Trona », puis « A Day in Trona » ! Cela dépeint les émotions que l'on peut ressentir dans une journée là-bas, qui débute par des bruits hyper glauques et qui s'achève par une sorte d'apaisement, dans le désert.
 


- Quand ces nouveaux morceaux ont-ils été composés ?
- « Encore », qui fait une trentaine de minutes, a été écrit surtout entre l’été 2012 et novembre-décembre 2012. Il me faut beaucoup de temps pour écrire, je reviens beaucoup sur les choses, je remanie en permanence. J’ai tendance à n’amener en répétiton que des choses dont je suis sûr qu'elles sont abouties. On a présenté une première fois ce morceau au Studio de L’Ermitage, avant les deux performances du Petit Faucheux. Quant à « Grrr… », je l’ai écrit entre fin 2011 et début 2012 et on a commencé à le jouer en concert à partir de septembre 2012. Enfin, « Trona » a été écrit en 2011. Ce morceau, écrit sur une période assez longue, a été créé en février 2012 lors de notre résidence en Normandie.

- Te sachant très perfectionniste, es-tu content du résultat final ?
- Oui... Je crois que je suis assez content. Pour un live, ce n'est pas mal. À Tours, ce n'était que la troisième fois que l'on jouait le titre « Encore » en public. Bien sûr, ce n'est pas parfait, mais en même temps, c'est un live. Si c'était parfait, ce serait ch... ! On a fait du mieux que l'on pouvait. Il y a des défauts, il y a des choses plus ou moins réussies, mais c'est un live, c'est quelque chose de vrai.
 

Ping Machine sur la scène du Studio de l'Ermitage, à Paris, le 13 décembre 2012 (de gauche à droite : Paul Lay, Frédéric Maurin, Raphaël Schwab, Florent Dupuit, Fabien Debellefontaine, Rafaël Koerner)
 (Catherine Ledrux)


- Ping Machine existe depuis 2004 et a sorti trois albums et un live qui lui valent une belle reconnaissance notamment dans la presse. Un premier bilan, en matière d'évolution dans l'écriture notamment ?
- Quand tu écris pour orchestre, tu apprends en faisant. Bien sûr, au début, j'ai appris des choses avec des profs, dans des livres... Mais finalement, la seule chose qui t'apprenne des choses, c'est la pratique. Il faut faire beaucoup d'arrangements pour parvenir à développer ce que l'on souhaite ! Cela demande du temps. Cela m'a permis d'apprendre énormément avec l'orchestre. Aujourd'hui, je sais beaucoup plus ce que je veux vraiment. À la création du groupe, je ne pouvais pas l'obtenir car le niveau d'alors posait une forme de limite tant au niveau technique qu'à celui de l'étendue des genres musicaux qu'il était possible d'aborder, et de mon côté, j'utilisais des choses qu'on m'avait apprises, de façon plus scolaire tout simplement. Aujourd'hui, chaque mesure que j'écris, je sais pourquoi je l'écris comme ça. Quant à l'orchestre, il est très polyvalent dans le sens où les gens viennent d'univers musicaux assez éloignés, mais possèdent pour certains une culture très large.

- J'imagine que c'est très difficile de porter un tel projet, avec un tel ensemble, sur la durée.
- Pour ce qui est du bilan concernant le groupe, j'ai compris que la seule façon de pouvoir avancer musicalement, c'était d'avoir la force de durer. La pression est telle pour un groupe ayant un effectif comme le nôtre, en termes économiques, que l'on est obligé de se battre tous les jours. La composition du groupe n'a pas changé depuis fin 2009. Et aujourd'hui, je ne changerais pas le casting de l'orchestre. C'est important de se dire que l'on travaille avec les mêmes personnes pour faire avancer le projet.

(Propos recueillis par A.Y. le 6 septembre 2013 à Paris)
 

Ping Machine : le live "Encore", sorti le 15 septembre 2013 chez Neuklang
 (Nasa / domaine public)
Ping Machine en concert
> Paris, jeudi 26 septembre 2013 au Studio de l'Ermitage, 20h30. Concert de sortie du disque
> Toulouse, jeudi 17 octobre 2013 au festival Jazz sur son 31, 20h30
> Paris, jeudi 12 décembre 2013 au Studio de l'Ermitage, 20h30
Tout leur agenda concert ici
Les membres du groupe
Bastien Ballaz : trombone
Stephan Caracci : vibraphone, glokenspiel, percussions
Guillaume Christophel : saxophone baryton, clarinette basse
Jean-Michel Couchet : saxophones alto et soprano
Andrew Crocker : trompette
Fabien Debellefontaine : saxophone alto, clarinette, flûte
Florent Dupuit : saxophone ténor, flûte, flûte alto, piccolo
Quentin Ghomari : trompette, bugle
Didier Havet : trombone basse, tuba
Rafaël Koerner : batterie, percussions, glockenspiel
Paul Lay : piano, fender rhodes, minimoog
Frédéric Maurin : guitare, percussions, direction, composition, arrangements
Fabien Norbert : trompette, trompette piccolo, bugle
Raphaël Schwab : contrebasse
Julien Soro : saxophone ténor, clarinette

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