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Paul Lay, la belle promesse du piano jazz

Originaire du Sud-Ouest, le pianiste et compositeur Paul Lay, 30 ans, mène de front plusieurs projets : concertiste solo, leader de quartet, membre du groupe Ping Machine... L'hiver dernier, cet artiste fougueux, improvisateur créatif et audacieux, a sorti son deuxième album, "Mikado", une très belle réussite qu'il joue en concert ce week-end à Toulouse et Paris. Interview.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le pianiste Paul Lay. À l'arrière-plan, Dré Pallemaerts (batterie), Antonin-Tri Hoang (saxophone), Clemens Van der Feen (contrebasse)
 (Jean-Baptiste Millot)

Né le 22 juillet 1984 à Orthez, dans les Pyrénées-Atlantiques, Paul Lay a fait des études classiques à Toulouse et a découvert le jazz qu'il a étudié lors de stages d'été à Marciac, avant d'entrer au CNSM de Paris. Tout juste diplômé, le jeune pianiste a intégré le quintette du contrebassiste Riccardo Del Fra, l'un de ses anciens professeurs. En 2010, son premier disque, "Unveiling", enregistré en trio pour le label Labory Jazz, a reçu un bel accueil.

Quatre ans plus tard, Paul Lay - prononcez "Laï" - confirme largement les promesses de ses débuts avec son deuxième album, "Mikado", dont il signe tous les morceaux à l'exception du magnifique "Luiza" de Tom Jobim. Pour ce disque, il a constitué un nouveau quartet avec le saxophoniste Antonin-Tri Hoang, le batteur Dré Pallemaerts - un autre ancien professeur - et le contrebassiste Clemens Van Der Feen. Paul Lay Mikado Quartet : "Workaholic" (2014)

- Culturebox : "Mikado", nom de votre quartet et titre de votre album, fait penser à un célèbre jeu...
- Paul Lay : J'adorais jouer au Mikado, un jeu construit comme une pièce de musique avec un souci d'architecture, d'équilibre du mouvement, des couleurs. Il demande les mêmes dispositions mentales qu'en musique et comporte aussi une dimension d'aléatoire. Il faut être attentif, créatif, audacieux, prendre des risques. Au sein de ce groupe, chacun est très alerte sur les propositions musicales des autres, on fixe le moins de choses possible et d'un soir à l'autre, les versions peuvent être radicalement différentes. C'est ce qui nous stimule et nous permet de réinventer sans cesse les morceaux.

- Plusieurs morceaux du disque ont des titres assez exotiques, évoquant le Japon, l'Asie...
- Paul Lay : En général, j'écris les titres après avoir répété, voire enregistré, les morceaux. Les titres font allusion à mes voyages. J'ai passé une semaine au Japon pour des concerts. La culture de ce pays, les traditions, la pureté de la calligraphie et l'épure d'une manière générale, qu'il s'agisse de peinture ou de textes, m'ont marqué. Je me suis inspiré des haïkus, petits poèmes japonais, pour certaines compositions assez courtes. Il y a aussi un morceau intitulé "Chao Phraya" du nom du fleuve qui traverse Bangkok. Je l'ai écrit en Thaïlande.

- Avez-vous composé ce disque en pensant spécifiquement à votre nouveau quartet ?
- Oui, j'ai écrit ce répertoire pour ce groupe, en pensant à ces trois copains qui jouent de manière très singulière. Ce qui nourrit cette amitié avec Dré, Clemens et Antonin, et que l'on ressent en répétition et en concert, c'est cette complicité, ces mises en danger permanentes qui nous font sourire à chaque fois. "Ka" (2014)

- Dans le passé, vous avez suivi l'enseignement de Dré Pallemaerts au CNSM.
- Ce fut une sorte de choc pour moi, dans le bon sens. Il a intégré le corps pédagogique du département jazz quand j'ai entamé ma deuxième année, à 18 ou 19 ans. Je suivais ses cours de section rythmique où on travaillait la cohésion piano-contrebasse-batterie. Au début, j'étais incapable de jouer avec lui : il essayait de nous pousser dans nos retranchements, de nous empêcher de faire ce qu'on avait l'habitude de faire. C'était très perturbant car on a forcément notre façon de jouer, on peut vite adopter des sortes de tics de langage, des tics musicaux. Grâce à lui, j'ai compris qu'il fallait être alerte, à l'écoute, chaque instant, par rapport aux autres musiciens. J'ai étudié trois ans avec lui. Il fait partie des professeurs qui m'ont appris à appréhender la musique différemment. C'est devenu un ami. Depuis quelques années, on souhaitait concrétiser un projet ensemble. Il m'a présenté Clemens Van der Feen, le contrebassiste.

Qu'est-ce que cela fait de compter votre ancien professeur dans votre groupe ?
- Aujourd'hui, je le considère comme un pair, avec tout le respect que je lui dois de par son expérience. Il reste une sorte de guide que je respecte énormément. Au-delà de ses qualités musicales, c'est une personne aux valeurs spirituelles et humaines très intenses et profondes. Ça fait du bien de le côtoyer.

Paul Lay
 (Jean-Baptiste Millot)
- Votre disque comporte une reprise, "Luiza" de Tom Jobim...
- C'est un morceau qui m'est cher, que je joue depuis quatre ou cinq ans. Je souhaitais vraiment l'intégrer dans ce deuxième disque. C'est un morceau très puissant sur le plan mélodique, qui m'a touché dès la première version que j'ai entendue en disque. Je l'ai beaucoup écouté dans la version de Jobim lui-même, ainsi que sur celles qu'on trouve sur internet. Paradoxalement, alors que j'aime bien transformer les morceaux que je reprends, à chaque fois que je joue "Luiza", j'ai en tête la voix de Jobim qui chante ce thème, et les différentes orchestrations qu'il a écrites. Je n'en ai pas changé la forme. J'essaye de lui rester le plus fidèle.

- D'où vous vient l'inspiration quand vous composez ?
- Avant tout, de l'univers des sons. J'écoute beaucoup de musique, jazz, classique, musique traditionnelle, indienne... Je m'inspire avant tout de la matière sonore des compositeurs, des pianistes que j'affectionne particulièrement. Côté jazz, il y a Monk, Ellington, Cecil Taylor, Paul Bley, Ran Blake, Jelly Roll Morton, Earl Hines... Côté classique, je pense à la Renaissance, aux musiques médiévales. J'adore les compositeurs très anciens comme Guillaume de Machaut, Josquin des Prés, puis évidemment Bach, Mozart, et plus récemment Ravel, Scriabine, Stravinsky, Ligeti, John Adams, Morton Feldman... "Dolphins" (2014)

- Est-ce que vous vous fixez des principes de composition ? Il y a quelques mois, dans "Jazz Magazine", vous souligniez l'importance de la mélodie, et qu'il était important pour vous de pouvoir chanter ce que vous écriviez.
- Peu importe la complexité de la musique que l'on écrit, parmi les choses essentielles pour moi, il y a ce rapport au chant, le fait de s'installer dans une sorte de processus de travail à l'issue duquel une ritournelle surgit. Je cherche des éléments thématiques, des bribes mélodiques que je fais tourner longuement. Petit à petit, il en ressort une petite cellule qui devient une évidence à mes oreilles, que je vais essayer d'exploiter et développer. On retient un morceau par ses éléments mélodiques. Dans les morceaux que j'aime le plus, les mélodies sont très fortes, intelligemment construites au sein d'une forme aussi complexe soit-elle. Cela fait partie de la culture européenne et particulièrement française.

- Avez-vous des moments, des lieux privilégiés, pour composer ?
- J'aime beaucoup écrire chez moi, sur le vieux piano d'étude que j'ai depuis 15 ans. J'aime composer le matin, mes oreilles étant fraîches. Je laisse mes doigts courir sur le clavier... Par ailleurs, quand je suis en vacances, sans piano à portée de main, après quelques jours de déconnexion totale avec la musique, j'aime beaucoup sentir de nouvelles cellules mélodiques et rythmiques se générer dans ma tête. Je les enregistre sur un magnéto ou je les note sur un bout de papier à musique. Chez moi, j'ai pris l'habitude de m'enregistrer sur des improvisations totales afin d'en extraire quelques idées.

- Un mot sur Ping Machine, le groupe de Frédéric Maurin que vous avez rejoint en 2012 et qui fête ses dix ans. Que vous apporte cette expérience ?
- D'abord, j'ai été très touché de succéder à Benjamin Moussay. C'est le trompettiste Quentin Ghomari, que j'ai connu au CNSM, qui avait parlé de moi à Fred Maurin. Fred m'a envoyé la musique. Le premier concert avait lieu environ deux semaines plus tard. J'adore ce groupe pour plein de raisons. S'il a un format de big band, il joue une musique radicalement différente. Il y a la qualité d'écriture de Fred. Il sait écrire pour chaque instrument avec un vrai souci de collectif, d'un son d'ensemble. À chaque fois, il nous gâte. Il me propose des parties de piano très exigeantes, qu'il inclut très intelligemment dans l'orchestre. C'est un challenge de les jouer. C'est une musique très stimulante.

(Propos recueillis par A.Y. le 1er octobre 2014)

Paul Lay en concert avec "Mikado"
Samedi 11 octobre 2014 à Toulouse, au festival Jazz sur son 31, 18h30
Dimanche 12 octobre 2014 à Paris, au Sunside, 20h
Mercredi 19 novembre 2014 à Limoges, au festival Éclats d'émail, 20h30
> Tout l'agenda-concert de Paul Lay ici

Paul Lay : piano, composition
Antonin-Tri Hoang : saxophone alto, clarinette basse
Dré Pallemaerts : batterie
Clemens Van der Feen : contrebasse
Une partie de Mikado...
 (Jean-Baptiste Millot)

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