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Le trompettiste Nils Petter Molvær de retour avec "Buoyancy", pépite sonore

Deux ans après "Switch", le trompettiste norvégien Nils Petter Molvær revient avec un nouveau disque enregistré en quartette, "Buoyancy", dont le titre fait allusion à sa passion pour la plongée sous-marine. Un voyage planant et lyrique dans une synergie totale entre jazz rock et sons électro. Il se produit ce vendredi soir à Paris dans le cadre de Jazz à La Villette. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Nils Petter Molvær (à droite au premier plan) et les membres de son quartette
 (Johannes Lovund)

Il est l'un des plus célèbres jazzmen scandinaves. Nils Petter Molvær, né sur la petite île norvégienne de Sula le 18 septembre 1960, a étudié le jazz au conservatoire de Trondheim. Il a fait partie du groupe Masqualero, qui a enregistré quelques disques pour le célèbre label allemand ECM, avant de se lancer en solo.

En 1997, "Khmer", son deuxième album en leader, également paru chez ECM, a marqué fortement les esprits. Le trompettiste alors âgé de 37 ans y associait jazz et rock, climats électro et rythmes hip-hop, une démarche dont le label allemand n'avait guère l'habitude. "Solid Ether" a suivi en 2000, toujours chez ECM. Nils Petter Molvær a ensuite quitté le label mais a poursuivi ses expériences sonores.

Récemment, il a enregistré deux albums en quartette, une formule qui lui convient à merveille, pour le label Okeh. "Switch" en 2014, et enfin "Buoyancy", paru le 2 septembre. Le guitariste Geir Sundstøl et le batteur Erland Dahlen jouent sur les deux projets. Le bassiste Jo Berger Myhre, présent sur quelques titres de "Switch", fait partie intégrante du quartette de "Buoyancy". Au sein d'un groupe soudé par une heureuse complicité musicale, Nils Petter Molvær nous convie à une immersion sonore planante et brillante. Un très bon cru qu'il présente à guichets fermés à Jazz à La Villette.


- Culturebox : Ce qui vous a rendu célèbre à partir de l'album "Khmer" en 1997, et qui caractérise toujours votre musique, c'est un mélange audacieux de jazz, d'électro, de rock... Pour beaucoup, vous avez été un pionnier dans ce domaine. Qu'est-ce qui vous a inspiré à l'époque ?
- Nils Petter Molvær : Il y a eu beaucoup de pionniers avant moi dans ces mélanges, même s'il ne s'agissait peut-être pas spécifiquement de mélange d'électro et de jazz. Quand j'ai voulu réaliser "Khmer", j'ai eu envie de prendre toutes les choses que j'aimais et avec lesquelles je me sentais à l'aise. J'ai cherché un moyen très organique de combiner ces langages musicaux et de les faire miens, dans un certain sens. Ce processus a été long. Beaucoup de choses m'ont inspiré : des musiques traditionnelles, de la musique "ambient" comme en faisait Brian Eno, ainsi que Jon Hassell, un fantastique trompettiste américain qui a eu recours à l'électronique et qui est à mes yeux le véritable pionnier dans ce domaine. À cette époque, je me rappelle aussi avoir beaucoup écouté le duo français d'électro Motorbass et d'autres groupes du même genre.

- Vous avez assimilé toutes ces influences pour créer votre propre griffe, votre univers.
- Il n'était pas question pour autant de refaire "Khmer" n°2, n°3, etc... J'ai toujours beaucoup aimé les contrastes, dans la musique comme dans la vie. Ils génèrent une sorte d'énergie. Si vous prenez un disque ou un roman dans sa globalité, c'est toujours constitué de grands contrastes. C'est quelque chose que je recherche. De plus, j'essaye de trouver des paysages sonores et des instruments qui vont me permettre de les façonner. Depuis très longtemps, j'avais envie d'utiliser une pedal steel guitar, un instrument que j'aime beaucoup. J'ai essayé d'apprendre à en jouer pour l'album précédent, "Switch", mais c'était vraiment très compliqué ! Par chance, j'ai pu engager dans le groupe le meilleur spécialiste de cet instrument, du moins en Norvège, Geir Sundstøl.


"Buoyancy" est véritablement l'album d'un groupe.

Nils Petter Molvær
- Geir Sundstøl continue l'aventure avec "Buoyancy"...
- Oui. Le précédent album reposait sur des bases très électroniques. Mais le nouveau est réellement le disque d'un groupe. Le bassiste Jo Berger Myhre s'est énormément impliqué dans le projet. Il m'a aidé à le produire. Très créatif, il a participé également au travail sur les structures harmoniques. C'est un travail collectif, je voulais vraiment qu'il en soit ainsi : que "Buoyancy" soit l'album d'un groupe au sein duquel les musiciens se sentent libres et où je me sente moi-même à l'aise. Ce sont des musiciens vraiment fantastiques et nous évoluons dans la même direction. J'ai beaucoup de chance d'avoir ce groupe à mes côtés.

- Plusieurs compositions sont signées en effet par tous les membres du groupe... Comment les morceaux ont-ils été écrits ?
- Nous sommes partis en studio sur une toute petite île proche de l'île dont je suis originaire, en Norvège. Pendant une semaine, nous avons échangé des idées. Nous avons construit des morceaux à partir de structures et rythmiques paires, impaires... Jo a apporté des idées, on a érigé tout cela ensemble. Certains morceaux étaient davantage le fruit de l'écriture d'une seule personne, mais nous avons fait en sorte que tout le monde soit crédité... et payé !

- L'album possède-t-il un concept, un fil conducteur ? Son titre, "Buoyancy", signifie "flottabilité", une thématique très aquatique. 
- J'ai pensé à l'eau en tant qu'élément. Mais j'ai aussi pensé à l'idée de l'équilibre. Quand vous faites de la plongée, le terme "buoyancy" a une signification particulière. Si vous descendez à 25 mètres sous la surface de l'eau et que vous mettez un peu d'air dans votre gilet de plongée, vous respirez, vous bougez un peu vers le haut et vers le bas et vous vous retrouvez presque en état d'apesanteur. Là, vous avez trouvé ce qui s'appelle en anglais "buoyancy", terme marin qui désigne l'équilibre. Dès lors, vous pouvez respirer de manière très détendue, lente, et en battant légèrement des pieds, vous vous sentez glisser dans des paysages sous-marins extraordinaires autour de vous... De la même manière, je recherche une sorte d'équilibre dans ma musique, et dans ma vie. Si on devait parler en terme de mantra, l'équilibre est quelque chose d'absolument essentiel.
Nils Petter Molvær
 (Johannes Lovund)
- Les morceaux de l'album sont-ils liés à cette même thématique ?
- Les titres font allusion à différents sites de plongée, à travers le monde, où j'ai effectué des plongées sous-marines. Mais c'est simplement des titres autour d'un même thème. Quand vous faites de la musique instrumentale, vous essayez de trouver des titres, les morceaux n'ayant pas de paroles. Dans ce disque, les titres des morceaux ne font pas écho à leur structure ou à leur climat. J'ai eu cette idée de thème en pensant à tous ces sites sous-marins très beaux et menacés. L'un d'eux, "Lamna Reef", ne se situe pas très loin de Lesbos, cette île grecque aux abords de laquelle beaucoup de réfugiés se noient. Un autre morceau, "Amed", porte le titre d'un petit village situé sur la côté Est de Bali. Une incroyable épave d'un navire de guerre allemand repose au fond de la mer. Le morceau d'ouverture, "Ras Mohammad" porte le nom d'un parc national égyptien sensationnel et menacé par tout ce que nous infligeons à cette planète.

- J'ignorais que vous pratiquiez la plongée sous-marine.
- Ce n'est plus le cas. Je n'ai pas plongé depuis 2004. Cette année, je me trouvais en Thaïlande au moment du tsunami. J'étais sous l'eau. On n'a pas été frappé directement. Le tsunami a touché l'autre côté de la petite île où j'effectuais ma plongée. Ça a provoqué énormément de courant marin, puis subitement, tout est devenu blanc... Sur le moment, je n'ai pas compris ce qui était en train de se passer. On est sorti de l'eau en catastrophe, puis j'ai découvert que j'avais reçu un tas d'appels sur mon téléphone. Plusieurs musiciens avec qui je jouais se trouvaient en vacances sur différentes îles environnantes, afin de fuir la folie de Noël en Europe... Ils ont été frappés de plein fouet par la vague. Un de mes amis est mort, ainsi que son fils. Je n'ai plus jamais replongé après ça. Mais j'aimerais beaucoup recommencer. Or, ça demanderait beaucoup d'entraînement et je n'ai pas vraiment le temps pour le moment. Je devrais peut-être me mettre à la plongée libre (en apnée, ndlr), qui est fantastique aussi, pour peu que vous appreniez à retenir votre respiration pendant cinq minutes...


Nils Petter Molvær Quartet en concert
Vendredi 9 septembre 2016, 20H, Jazz à La Villette, Cité de la Musique
Nils Petter Molvaer : trompette, voix, électronique
Geir Sundstøl : guitares, pedal steel guitar...
Jo Berger Myhre : basse, contrebasse, guitare 12 cordes...
Erland Dahlen - batterie, électronique...

> L'actualité de Nils Petter Molvær sur sa page Facebook (son site web n'étant pas actualisé depuis "Switch")

Première partie : Tigran Hamasyan (piano), Jan Bang (électronique), Eivind Aarset (guitare) & Arve Henriksen (trompette)

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