Le monde rayonnant d'Olivier Bogé, jazzman multi-instrumentiste
Le disque a été intitulé « The World begins today » en hommage à un livre de Jacques Lusseyran. Il a été enregistré dans une période difficile de la vie du musicien trentenaire. Un album comme un baume guérisseur, avec l’aide virtuose et délicate de ses amis.
Une belle histoire d’amitié
Petit entretien téléphonique, lundi 16 décembre, avec Olivier Bogé, jeune homme pétri de sensibilité et de simplicité. Autant de qualités que nous avions déjà décelées quelques mois plus tôt lors d’un concert sur la péniche parisienne de L’Improviste. Le musicien y avait révélé des extraits du répertoire de "The World begins today". Baptiste Trotignon et Nicolas Moreaux y remplaçaient alors Tigran Hamasyan et Sam Minaie.
- Culturebox : « The World begins today » est votre deuxième album en tant que leader. Comment est né ce projet ?
- Olivier Bogé : Le vrai point de départ a été Tigran (Hamasyan, ndlr), mon meilleur ami. Il a changé ma vie. Nous sommes très proches depuis l’époque où il vivait à Paris. Il y a passé huit ans. J'allais jouer chez lui, et il m’a invité quelques fois à jouer sur scène. Depuis très longtemps, j’avais en tête de faire un album avec lui. J’attendais le bon moment. Le déclic s’est produit lors d’un concert de Tigran au Vésinet, le 24 mai 2012. Il m’a invité à le rejoindre sur scène pour quelques morceaux. Il y a eu beaucoup d’émotions, c’était un moment très fort de ma vie.
- Dans le dossier de presse, on lit que votre album a été écrit lors d’une période difficile et que la musique a servi à «transformer l’obscurité en lumière». Pouvez-vous nous en dire plus ?
- L’enregistrement du disque était quelque chose de prévu depuis des années. Mais le jour-même où j’ai appris qu’il se ferait, où j’ai eu le feu vert que j’attendais, j’ai été confronté à la rupture avec la personne qui partageait ma vie depuis cinq ans. L’urgence à faire ce disque est née de là. Cela s’est passé de manière presque pulsionnelle. Je me levais le matin et je n’avais pas le choix, c'était irrépressible. C’est ainsi que la plus grande partie de l’album a été écrite en trois mois. Ça allait pouvoir me sauver. J’ai commencé à me reconstruire avec ce disque. Mais je ne veux pas que l’on rattache cet album à cet événement de ma vie. Ce qui est le plus génial pour moi, c’est d’avoir pu l'enregistrer avec des gens dont je suis très proche d’un point de vue humain. J’ai été bouleversé par toute l’amitié, tout l’amour, que mes amis ont mis dans cette musique. Toute ma vie, je me souviendrai de ça.
- Pouvez-vous revenir sur cette belle équipe qui vous entoure sur le disque, et qui sera à vos côtés au New Morning, à commencer par Tigran ?
- Tigran, je l’ai connu quand j’habitais à Marseille. Il y a débarqué à l’âge de 13 ans. Un jour, il est venu me voir jouer et il a demandé à se mettre au piano. Je me demandais d’où sortait ce garçon si petit et chétif, avant d’être frappé par son talent. On s’est retrouvé quelques années plus tard, quand il s’est installé à Paris. Je connais Tigran par cœur, humainement et musicalement. Mon histoire personnelle m’ayant lié à l’Arménie, il m’appelle « Bogékian » ! Depuis deux ans, il ne vit plus à Paris. Il se partage entre New York et Erevan, ce qui est essentiel pour lui. Il me manque beaucoup.
- Il y a enfin le contrebassiste Sam Minaie et le batteur Jeff Ballard…
- Sam est un de mes meilleurs amis, cela fait très longtemps que nous voulions enregistrer un disque ensemble. Jeff, je le connais depuis trois ans. J’avais joué avec lui à une session de Tigran en quartet. J’avais bien envie de le voir participer à mon projet. Je me suis dit : « Pourquoi ne pas lui demander ? » Il a accepté ! Et par la suite, nous sommes également devenus proches humainement.
- Comment s’est passé l’enregistrement du disque ?
- J’ai enregistré tout l’album au piano, et j’ai envoyé cette version à tout le monde. J’ai aussi beaucoup communiqué avec les musiciens par téléphone. Quand nous nous sommes réunis pour répéter le temps d’une journée à New York, à la veille de l'entrée en studio, ils connaissaient déjà tout par cœur ! L’enregistrement du disque s’est fait sur deux jours à Brooklyn, à la mi-janvier. C’était un moment incroyable, je ne savais plus où j’en étais ! La semaine dernière, quand on s’est retrouvé pour répéter en vue du concert au New Morning, ils connaissaient mieux la musique que moi… Jeff a tout joué sans partition ! Moi qui étais tellement stressé, ça m’a apaisé !
- Vous avez intitulé le disque (ainsi qu’un morceau) « The World begins today », traduction du titre du livre « Le Monde commence aujourd’hui » de l’ancien résistant Jacques Lusseyran (1924-1971), que vous citez dans le livret du CD, tout comme un autre livre, « Les Sept plumes de l’Aigle » de Henri Gougaud…
- J’avais d’abord été marqué par « Les Sept plumes de l’Aigle ». L'un des morceaux du disque en porte le titre traduit en anglais. Puis j’ai entendu parler du livre « Le Monde commence aujourd’hui » dans une émission sur France Inter. Le jour de Noël, alors que je partais retrouver mes parents dans le Sud et que je n’étais pas en grande forme, j’ai commencé à lire le livre. Je l’ai dévoré en quatre heures pendant le trajet. Dans ce livre, Jacques Lusseyran, aveugle depuis l’âge de huit ans, raconte son parcours de résistant, puis de déporté. Dans les camps, il a dû son salut au fait qu’il parlait plusieurs langues et pouvait servir d’interprète. Il parle de sa vie d’une manière pudique et très belle. Malgré ce qu'il a enduré, il est resté plein de compassion. Après la lecture de ce livre, plus aucun événement ne nous paraît dramatique, on en ressort rempli de lumière.
- Dans votre disque, vous jouez non seulement du saxophone, mais aussi du piano. Comment vous organisez-vous pour pratiquer deux instruments à un niveau professionnel ? Et d’ailleurs, doit-on vous appeler plutôt saxophoniste ou pianiste ?
- J’ai toujours détesté au plus haut point les étiquettes. Je me considère simplement comme quelqu’un qui fait de son mieux avec ses deux moyens d’expression, le saxophone et le piano. Mais une journée sans pratiquer ces deux instruments, c’est une journée où je ne me sentirais pas complet. Bien sûr, cela prend tout mon temps libre... Surtout que je travaille aussi la musique classique et la guitare folk… Après le New Morning, j’espère avoir un peu de temps pour moi. Le lendemain du concert sera mon premier jour de congé depuis la mi-août. Je vais enfin me balader, voir des expos !
(Propos recueillis par A.Y.)
Olivier Bogé, feat. Tigran Hamasyan, Sam Minaie et Jeff Ballard
Concert de sortie de l’album « The World begins today » (Naïve)
Mardi 17 décembre 2013 à Paris, 20H30
New Morning
7 & 9, rue des Petits-Écuries
75010 Paris
Infos au 01 45 23 51 41 ou ici
Olivier Bogé (saxophone, piano)
Tigran Hamasyan (piano)
Sam Minaie (contrebasse)
Jeff Ballard (batterie)
En concert également le samedi 11 janvier 2014, près de Paris
Espace Daniel-Sorano, 20H30
16, rue Charles-Pathé
94300 Vincennes
Infos au 01 43 74 73 74 ou ici
Olivier Bogé (saxophone, piano)
Baptiste Trotignon (piano)
Nicolas Moreaux (contrebasse)
Dré Pallemaerts (batterie)
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