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Interview Thomas de Pourquery sonne le retour de Supersonic

Trois ans après le succès de l’album "Play Sun Ra", distingué par une Victoire du Jazz, le saxophoniste-chanteur Thomas de Pourquery est de retour à la tête de Supersonic, son sidérant groupe sidéral. Dans son nouvel album "Sons of Love", il s’émancipe avec éclat de Sun ra, le compositeur qui lui avait inspiré son premier disque en leader. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Thomas de Pourquery
 (Flavien Prioreau)

Supersonic ne devait être qu’une association éphémère. Un groupe haut de gamme réuni pour une exploration ponctuelle du vaste univers de Sun Ra (1914-1993), jazzman américain aussi mystique et connecté que prolifique. En plus de combiner puissance, virtuosité, énergie, humour et irrévérence sur scène, le groupe a remporté la Victoire de l’album jazz de l’année 2014.

En 2016, Thomas de Pourquery, ex-rugbyman, barbu exubérant, jazzman multipliant les projets, chanteur pop chez VKNG, acteur à ses (rares) heures perdues, a sollicité les membres de Supersonic : Laurent Bardainne (saxophones), Frederick Galiay (basse), Fabrice Martinez (trompette), Edward Perraud (batterie) et Arnaud Roullin (claviers). Ils ont répondu présent et ont enregistré "Sons of Love", presque exclusivement constitué de musiques de Pourquery.

Le saxophoniste chanteur a réussi la prouesse de conserver l’esprit du premier disque tout en s’aventurant cette fois dans son propre imaginaire, nous entraînant généreusement dans un voyage envoûtant, accessible à tout un chacun, peuplé de jazz, de pop, de rock progressif et d’humanité. Supersonic présente ce nouveau répertoire le 25 avril à Paris, à la Gaîté-Lyrique, avant d’autres dates à suivre.


- Culturebox : À la base, Supersonic a été fondé pour un projet ponctuel autour de Sun Ra, avec le succès que l’on sait, critique et public. À quel moment a émergé l’idée d’une suite ?
- Thomas de Pourquery : Il s’est passé un truc assez fou. Au départ en effet, je n’imaginais pas jouer un "Play Sun Ra volume 2". On n’est pas un groupe de covers… On n’est même pas un tribute band, puisqu’on aborde ces musiques comme des standards [ndlr : avec des arrangements propres aux interprètes]. Mais on jouait la musique d’un compositeur, Sun Ra. Et moi, entre syndrome de la page blanche et auto-flagellation, je me disais : "Mais qui suis-je pour écrire de la musique après ce mec ?" Jusqu’à ce rêve que j’ai fait, une nuit de février 2016. Je ne fais jamais de rêves musicaux. Cette nuit-là, je rêve que je suis dans un immense hangar désaffecté, au milieu duquel joue Supersonic. Je reconnais le son du groupe. Et moi, je suis une espèce de petite souris volante et je peux aller me poser sur la cymbale, être à deux centimètres de l’œil du pianiste, me balader… Je suis émerveillé par ce son, je me dis "c’est génial !" et je suis enchanté de pouvoir y rentrer d’aussi près, comme dans un microscope… Quand je me suis réveillé, c’était une évidence. Ça paraît fou, mais j’avais identifié le son de ce groupe.

Un son qui existait par lui-même, même sans Sun Ra…
- Un son qui a existé après tout ce mélange. Dans ce rêve, je n’entendais pas de mélodie, de musique particulière, mais j’entendais l’essence du son. En me réveillant, je me suis dit : "En fait, il suffit d’écrire des prétextes pour faire sonner le groupe." Je n’ai donc pas envisagé cela en termes de composition mais en termes de son, un peu de la même manière que pour le premier répertoire qu’on a joué, constitué de transes, de moteurs, de chevaux sur lesquels on montait tous ! J’ai commencé à écrire, complètement libéré de toute espèce de troisième œil… Pensant toujours au son du groupe, je partais de choses excessivement simples, d’une rythmique, d'une racine pour chaque morceau, et des mélodies me venaient. Ce rêve a libéré quelque chose. Il m’a ouvert une porte à travers laquelle j’ai pu entrer, tout entier. Du coup, je pense que tout mon bagage a suivi, tout ce que je peux être… Le rêve m’a permis d’envisager un truc juste sous forme de prétexte au sens noble du terme, l’écriture comme terrain de jeu... C'est fondamental pour la musique, et à plus forte raison pour le jazz, puisqu’on improvise. Il faut qu’on s’amuse avec de beaux prétextes !

Supersonic de gauche à droite : Laurent Bardainne, Frederick Galiay, Thomas de Pourquery, Arnaud Roullin, Fabrice Martinez, Edward Perraud
 (Edward Perraud & Thomas de Pourquery)

- Quand on se souvient que Supersonic avait failli ne jamais voir le jour, votre ordinateur avec vos arrangements ayant été volé, vous en aviez réécrit de nouveaux dans une transe mystique alors que vous abandonné ce projet… Et voilà que vous faites un rêve qui relance Supersonic… Vous avez un lien presque métaphysique avec Sun Ra et ce projet !
- Avec la musique, avec la vie… Je crois que je n’ai jamais fait de disque sans qu’il y ait un déclencheur important. Je n’ai jamais fonctionné sur le mode : "Je vais faire un autre disque parce que ça fait deux ans qu’on n’en a pas fait." À chaque fois, il a fallu qu’une évidence surgisse. Peut-être que sans ce rêve, il se serait passé quelque chose d’autre.

- Comment les membres de Supersonic, qui sont tous très pris par leurs propres projets et groupes, ont-ils réagi à l’idée de continuer l’aventure ?
- J’ai écrit la musique en février 2016, dans la foulée de mon rêve. J’ai attendu d’avoir suffisamment de matière pour leur présenter le projet. J’ai commencé par leur dire : "Les gars, ça y est, on va enregistrer un deuxième disque." Ils étaient très contents. Après, je leur ai fait écouter des choses. J’étais quand même dans mes petits souliers ! La musique était vraiment écrite pour eux. Pour le groupe.

- Comment ont-ils réagi à l’écoute des premières musiques du nouveau projet ?
- Un peu au-delà de mes espérances. Il y avait un truc qui était évident. C’était clairement la suite du premier album. Je pense que Supersonic possède une identité suffisamment forte pour qu’on continue à développer ce son. C’est le premier album pour lequel j’écris toute la musique, à l’exception d’un morceau de Sun Ra [ndlr : "We travel the Space Ways"] qui fait le lien avec le premier disque, et qui, dans le nouvel album, précède "From planet to planet". J'ai pensé ce morceau comme une suite à la composition de Sun Ra.


- Quand on écoute vos compositions et vos arrangements, on a la sensation que toute votre musique est taillée, pensée, pour la scène…
- Bien sûr, avec toujours cette notion de transe, de musique lancinante, même sur des balades. Dans cet album, on trouve une musique assez modale. Dans chaque morceau, il y a un moteur, une rythmique, une idée autour de laquelle gravitent des développements, des planètes…

- Y a-t-il un morceau dont vous soyez particulièrement fier ?
- "Slow Down" [ndlr : voir vidéo en haut de l'article], qui est la seule "vraie chanson", c’est-à-dire la plus développée, avec des couplets, un refrain, et qui a une histoire particulière. C’est une chanson sur la nécessité à la fois de se poser, se calmer, et de retenir l’instant grisant, de réussir à ralentir le temps quand ce frisson, quel qu’il soit, vous étreint.

- C’est un peu le rêve de tout le monde…
- Oui, mais c’est possible ! Grâce à cette chanson, notamment ! [il rit] C’est possible grâce à la musique. La musique est le seul vaisseau spatial connu, ou en tout cas, la seule machine à voyager dans le temps. C’est extraordinaire, c’est une réalité et c’est sous nos yeux, puisque la musique, c’est le découpage du temps.


- "Sons of love", c’est à la fois le titre de votre album et celui d’un des morceaux. Qui sont ces "fils de l’amour" ?
- Au risque de paraître démagogique, il faut parler d’amour. C’est aussi pour cela que j’ai donné ce titre à l’album. La problématique universelle, c’est d’aimer, sous toutes ses formes, l’amour des autres, de vous-même, de votre travail, de la vie, de réussir à voir la beauté exceptionnelle de notre monde. Ce qui nous tient en vie, ce qui nous fait envie, c’est l’amour. Il n’y a rien d’autre. Bien sûr, ce n'est que de la musique, mais s’il devait y avoir un message dans cet album, ce serait celui-là, qui est très simple mais dit haut et fort. Il y a l’idée de crier l’amour et de fermer leur gueule aux rabat-joie, comme un bouclier intersidéral ! Ce disque, c’est aussi un hommage à mon groupe, à cette amitié qui nous lie et cet amour qui nous unit dans la musique. On est des amis dans la vie et on est fous amoureux quand on joue ensemble.


Thomas de Pourquery & Supersonic en concert
> Mardi 25 avril 2017 à Paris, 20H, à la Gaîté-Lyrique
> Jeudi 15 juin à Lille, 20H, à l'Aéronef
> D'autres dates suivront...

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