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Interview Avec "Radio Mediteran", le pianiste Omer Klein met du soleil dans le jazz

Brillant pianiste de jazz israélien installé en Allemagne, Omer Klein s'est inspiré des musiques du bassin méditerranéen pour composer son dernier album. Rencontre avant deux concerts en France.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Le pianiste Omer Klein (Peter Hönnemann)

Une douzaine d'années après ses débuts discographiques, Omer Klein, pianiste surdoué issu de la foisonnante scène jazz israélienne, fait un clin d'œil solaire et ludique à la bande-son de son enfance au bord de la mer. C'est le propos de Radio Mediteran, son dernier album en trio, sorti en mars chez Warner Music, et qu'il présente sur scène à Paris lundi 27 mai et à Toulouse mardi 28 mai

Né le 15 mai 1982, Omer Klein a commencé le piano à 7 ans et a grandi du côté de Netanya avant d'intégrer le collège des arts Thelma Yellin, près de Tel-Aviv. Les deux autres membres de son trio actuel, le bassiste Haggai Cohen-Milo et le batteur Amir Bresler, ont fréquenté la même école. Autant dire que ces trois musiciens avaient beaucoup à partager au moment de rendre hommage aux musiques de la Méditerranée. L'occasion pour Omer Klein de partager des souvenirs qui ont fait le terreau de Radio Mediteran.

Culturebox : Vous avez quitté Israël pour faire des études aux États-Unis où vous avez lancé votre carrière. Aujourd’hui, vous vivez à Francfort. Racontez-nous ce parcours.
Omer Klein : J'ai quitté Israël en 2005, à 23 ans. J'ai d’abord fait une école à Boston, le New England Conservatory. Je l’ai choisie parce que je voulais étudier avec Danilo Perez. Pas seulement parce que j'aimais - et aime toujours - son jeu, mais aussi parce qu'il me semblait qu'il faisait ce que j'avais envie de faire. Comme moi, il n'est pas nord-américain. Il vient de Panama, il a apporté le bagage de ses origines dans le jazz et il a inventé son propre langage. Je ne suis resté qu'un an à l'école. Très vite, j'ai joué à New York, entamé des collaborations, enregistré mes premiers disques. Alors j'ai déménagé.

À New York, vous avez été remarqué par John Zorn, célèbre musicien avant-gardiste et producteur...
Oui, il m'a proposé de faire un album pour son label Tzadik, c'est ainsi que j'ai fait Rockets on the Balcony [ndlr : en 2010]. C'était la première fois qu’une personnalité forte me guidait dans une direction qui avait sa préférence. Je n'en avais pas l'habitude et pour être honnête, je ne m'y suis jamais habitué ensuite. Mais c'était très intéressant. Il m'a mis au défi de réfléchir à ce qui, dans la musique sur laquelle nous travaillions, était juif et ce qui ne l'était pas. Je n'en ai pas tiré de réponse mais cette recherche m'a aidé à créer un certain disque qui sonnait pour lui comme ce qu'il voulait m'encourager à faire, et qui sonnait pour moi comme un bon résultat au regard de cette approche.

Mais ça m'a surtout montré que je n'éprouvais ni l’envie, ni le besoin de refaire ce genre d'album. Je souhaitais travailler avec des labels au sein desquels la musique pouvait prendre n'importe quelle direction, sans chercher à quoi elle pouvait se réduire. Mais j'admire Zorn pour ce qu'il fait. Il a une très forte personnalité et quand il fait ses propres trucs, il est extrêmement ouvert.

Je m’intéresse aux parallèles entre les genres musicaux, ce qu'ils ont en commun, ce qui les sépare. Mes goûts sont très éclectiques, j'ai grandi en Israël qui est un lieu éclectique. Mon authenticité, c'est l'éclectisme.

Je ne suis pas folkloriste, je suis moderne, donc si je veux faire de la musique qui m'est personnelle, je dois rechercher une expression de l'immensité des choses que j'apprécie.

Comment vous êtes-vous retrouvé en Allemagne ?
Après trois ou quatre ans, à la fin 2009, je suis parti à Düsseldorf pour suivre ma petite amie qui y avait reçu une offre de travail. Nous nous sommes séparés après quelques années. J'aurais pu repartir à New York ou m'installer ailleurs. Mais j'appréciais de vivre en Allemagne et je m'y étais constitué un public. J'avais démarré mon trio, commencé à donner de plus en plus de concerts, je travaillais avec des labels allemands. Si vous devenez populaire dans un grand pays d'Europe, ça peut vous ouvrir les portes pour les autres. Je me sens plus européen qu'américain, d'autant plus quand on pense à l'Amérique de Trump, même si les temps sont difficiles aussi en Europe.

De gauche à droite : Amir Bresler (batterie), Omer Klein (piano), Haggai Cohen-Milo (contrebasse) (Peter Hönnemann)
Quand est né votre trio avec le bassiste Haggai Cohen-Milo et le batteur Amir Bresler ?
Il y a au moins cinq ans et demi. La première fois que nous avons joué tous ensemble, c'était à Paris. Avant, le trio comprenait Haggai et le batteur Ziv Ravitz. Nous étions programmés trois soirs au Duc des Lombards. Ziv n'était pas disponible sur une des dates. Comme il était de plus en plus pris, nous lui cherchions un remplaçant. Nous avons invité Amir Bresler dont j'avais toujours apprécié le jeu. Il est le benjamin du groupe. Je n'avais joué avec lui qu'une ou deux fois mais j'en avais gardé une bonne impression. Il nous a rejoints à Paris. Ce soir-là, il a joué pour la première fois sur scène les morceaux du trio. Ça a été magique, un vrai coup de foudre. On a tous ressenti la même chose, comme si trois pièces s'imbriquaient naturellement. J'ai décidé qu'il serait notre batteur. Par la suite, quelque chose s'est ouvert dans nos échanges avec notre public, les réactions à notre musique, comme si la dernière pièce du puzzle s’était mise en place. Depuis, nous jouons ensemble. Radio Mediteran est notre troisième album. Haggai, qui vivait à New York, s'est installé à Berlin l'an passé. Amir vit à Tel-Aviv et nous rejoint  pour les tournées. Ce groupe est comme une famille pour moi. Il m'influence énormément dans ma façon de composer, penser, jouer.

Je crois que vous vous connaissiez longtemps avant de former le trio.
Nous avons étudié au lycée Thelma Yellin, une importante école qui enseigne les arts, dans la petite ville de Givatayim. Des gamins très talentueux font des heures de bus pour se rendre aux cours. C'est ce que j'ai fait. C'était l'endroit où je retrouvais les jeunes avec lesquels j'avais le plus d'affinités. Les enseignants sont merveilleux. Au département jazz, il y a des professeurs qui ont vécu, étudié et joué à Boston, New York, en Europe. C'est une ouverture sur le monde. Je suis l'aîné du trio, j'avais quelques classes d'avance sur Haggai mais nous jouions ensemble, je savais qu'il était très doué. Amir étant encore plus jeune, nous ne nous sommes pas connus à l'école. Mais Haggai et Amir y ont joué ensemble. J’ai entendu parler d'Amir, puis je l'ai vu de temps en temps en concert. Je savais qu'il avait quelque chose de spécial.

Comment est-il né le concept de Radio Mediteran ?
Notre précédent album, Sleepwalkers, que j'adore et dont je suis fier, possède un certain ton, une atmosphère et je m'étais dit que le suivant devait se situer à l'opposé. Sleepwalkers a un côté hivernal, nocturne. Je savais que le prochain serait ensoleillé et évoquerait l’été. Donc c'est parti d'une humeur, un sentiment que j'avais dans le cœur. Puis je me suis demandé : Qu'est-ce qui pourrait nous ancrer, nous être personnel tout en étant universel ? Qu'est-ce qui me connecterait à mon enfance, et qui dans le même temps m'inviterait à l'exploration de matériaux que je ne connaisse pas par cœur ? Je ne voulais pas faire un album avec dix morceaux que j'aimais quand j'avais cinq ans. Je voulais me connecter à mes cinq ans.

Soudain, la Méditerranée m'est venue comme la réponse parfaite à ces questions. Dans le trio, nous avons tous grandi au bord de la mer. Depuis mon école élémentaire, vous pouviez presque la sentir. Mes parents habitent à dix minutes de la plage mais n'y vont jamais. Si je passe une semaine chez eux, je vais à la plage tous les jours. Je me revois, enfant, quand je restais au bord de l'eau. Je me disais : "Il y a un garçon en Grèce, un autre en Italie, en Bulgarie, une fille à Chypre, quelqu'un en Afrique du Nord, et aussi les voisins d'Israël... Nous regardons tous la même eau. Peut-être qu'ils sont en train de se dire qu'il y a un autre gamin en Israël qui pense la même chose." C’est un souvenir fort. Israël était, et est toujours, dans une situation malheureuse où vous ne pouvez pas prendre votre voiture et partir visiter les pays voisins, y déjeuner, assister à un concert pour écouter leurs belles musiques et puis rentrer. La mer était une ouverture vers le monde pour moi, au moins pour l'imagination. Elle est restée dans mon cœur une possibilité imaginaire de connexion. J'ai pris cette idée comme un point de départ émotionnel.

Comment avez-vous bâti le répertoire du disque ?
J'ai écouté, étudié, beaucoup de musiques des pays arabes, d'Afrique du Nord, des musiques anciennes d'Italie et de France, des musiques espagnoles, balkaniques, turques, grecques... J'ai lu des livres sur la Méditerranée, son histoire, sa géographie… Mes recherches se sont étalées sur six mois, ça a été un grand plaisir. J'ai beaucoup appris. J'ai commencé à voir comment tous ces genres musicaux étaient connectés, comment, avec les guerres et le commerce, les gens autour de la Méditerranée s'influençaient mutuellement en termes de culture, d’alimentation... Je ne m'imposais qu'une règle simple : je ne suis pas musicologue, je n'apprends que ce que j'aime. J'ai trouvé bien assez de choses qui m'ont plu, des choses proches de mon cœur. J'avais l'impression que j'en apprenais davantage sur moi-même. Comme une exploration au sein de ma famille. Pendant les six mois suivants, j’ai composé intensément. J’ai écrit plus de trente-cinq morceaux et j’ai gardé ceux qui nous convenaient pour ce projet.

Le disque comporte-t-il des allusions autobiographiques ?
Oui. Par exemple, les parents de ma mère sont venus de Tunisie et de Libye. L’Afrique du Nord m'est spécialement proche. Dans l'album, un morceau y fait allusion, Tripoli. Il est basé sur une belle mélodie traditionnelle libyenne que j'ai dénichée durant mes recherches.

Y a-t-il des citations des morceaux qui vous ont inspiré ?
Outre Tripoli, il y a Sofia Baby qui est inspiré, lui, d'un morceau bulgare. Je jouais encore et encore ce morceau et celui qui a inspiré Tripoli jusqu'à les transformer, les déconstruire. Le résultat final ne sonne pas comme les originaux mais il y a une connexion, je peux entendre le processus par lequel je suis passé.

Les musiques que j'ai explorées m'ont inspiré de façons diverses. Parfois, j'écoutais un artiste et ça me poussait à composer quelque chose. Puis je réécoutais le morceau qui m'avait inspiré et je constatais que nul au monde à part moi ne pourrait deviner le lien entre les deux. C’est le cas de Our Sea. J'écoutais successivement un musicien tunisien et une musique des Balkans. Puis j'ai tout éteint et écrit quelque chose très vite, je savais que c'était le résultat du mélange des deux dans ma tête. Quand j'ai voulu les comparer, je ne retrouvais plus de connexion ! Pour Protest, qui a une couleur politique, j'écoutais la grande chanteuse folk turque Selda Bağcan. Je suis tombé amoureux de sa voix, de son message humaniste, de son courage. J'ai couru au piano et j'ai écrit cette musique. Si vous écoutez Protest, vous ne pouvez pas vraiment le relier à Selda Bağcan.

Protest a-t-il un message politique précis ?
Protest exprime ma colère à l'égard de n'importe quel régime dans le monde, qui opprime des innocents. Qu'importe qui commet ces actes, ce qui m'intéresse, c'est ce qui est perpétré. Je m'y oppose, je suis pour les droits de l'Homme, des droits égaux pour tout le monde, partout sur la planète. Je fais ce que je peux, j'essaye de soutenir des causes humanitaires mais je le fais en tant qu'individu, pas en tant qu'artiste. L'impulsion d’écrire ce morceau est vraiment venue de Selda Bağcan. À la base, ce n'est même pas une protest-song, c'est plus un hommage à cette artiste et à tout artiste engagé.

Votre album donne à entendre des synthétiseurs. D’ailleurs, ils peuvent parfois susciter une certaine surprise...
Au début du processus, je ne savais pas comment l'album sonnerait, je ne savais pas qu'il y aurait des synthétiseurs. Plus j'écoutais des musiques, plus je réalisais qu'il me faudrait utiliser davantage de couleurs que ce qu'apportent les instruments du trio. Je voulais des percussions, ce qui était simple puisqu'on adore en jouer même si on n'en avait jamais enregistré. Réfléchissant aux couleurs des instruments avec lesquels nous allions jouer des mélodies, faire un jeu de questions-réponses avec le piano, j'ai vite compris que je ne voulais pas d'oud, de clarinette, de violon...

Je ne voulais pas que le disque sonne comme de la world music où l’on ferait la même chose que les musiciens authentiques, mais en moins bien. Je voulais que l'album ait un son propre.

C'est ainsi que l’idée m’a frappé d’avoir recours au synthétiseur analogue. Dans le morceau-titre Radio Mediteran, je suis conscient que ça vous tape à l'œil. Quand on mixait, des gens dans la pièce, dont l'ingénieur, ont suggéré : "Mettons-le à tel volume..." Or ils suggéraient un volume qui ne dérangeait pas trop ! J'ai répondu : "Les gars, on n'a pas créé un album avec des synthétiseurs pour mettre le son à un niveau qui le cache !" C'était le bon choix, parce que c'est inattendu. Mais il n’y en a pas tant que ça dans l'album, et à chaque fois que ça surgit, il se peut que vous fassiez : "Wow !" Et j'adore ça !


Omer Klein Trio en concert en France
Lundi 27 mai 2019 à Paris, Studio de l'Ermitage, 20H30
Mardi 28 mai 2019 à Toulouse, Salle Nougaro, 20H30
Omer Klein : compositio, piano, claviers
Haggai Cohen-Milo : contrebasse
Amir Bresler : batterie, percussions

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