Brillant représentant de la nouvelle génération de pianistes cubains, Harold López-Nussa, 30 ans, a sorti récemment son cinquième album, « New Day », enregistré à La Havane. Il le présentait jeudi soir au New Morning, avant un passage ce vendredi soir au Tourcoing Jazz Festival, puis samedi à Poulx (Gard). Nous avons rencontré l'artiste à Paris, une ville qu'il connaît bien.
Pianiste de formation classique, Harold López-Nussa s'est tourné vers le jazz et le latin jazz il y a une quinzaine d'années, tout en conservant une activité dans son domaine musical d'origine.
Le 8 octobre, il a sorti son cinquième album en tant que leader, "New Day", sur le label Jazz Village. Un disque plein de lyrisme, de fraîcheur et d'énergie pour lequel il s'est entouré d’une équipe de fidèles, parmi lesquels le trompettiste Mayquel González, qui jouait déjà sur ses deux disques précédents, son frère Ruy Adrián López-Nussa, batteur, et le contrebassiste Gastón Joya, avec lequel il se produit régulièrement à La Havane.
La rencontre Simple, souriant, attentif, Harold López-Nussa parle bien le français pour avoir passé énormément de temps à Paris ces dernières années, nous a-t-il confié au soir du 10 octobre dernier lors d'un entretien à bâtons rompus dans un appartement parisien, à deux mètres d'un piano. L'occasion d'évoquer au passage, en toute retenue, des changements sociologiques à Cuba qui l'attristent, ainsi que des épreuves personnelles -qu'il a su transcender- dont le disque porte la trace.
- Culturebox : Avec un tel titre, l’album « New Day » comporte-il une dimension autobiographique ?
- Harold López-Nussa : J’ai écrit ce disque au cours des deux dernières années. Il incarne un nouveau départ, un nouvel état d’esprit aussi. J’ai changé d’appartement à La Havane. Un nouveau lieu de vie… Les jours qui ont suivi mon déménagement, je me suis mis au piano et c’est venu… L’esprit de l’album, c’est d’essayer de faire de son mieux chaque jour, nous vivons tous des choses difficiles mais il ne faut jamais se décourager, il faut apporter de la joie aux autres et à soi-même. Les musiques du disque sont associées à ma vie, et surtout, également, à mon pays, puisque j’ai tout composé là-bas. L’inspiration vient de Cuba. C’était important d’écrire et enregistrer cet album là-bas. Les deux précédents avaient été faits en France.
- Cela fait sûrement une grande différence…
- À Cuba, il y a toujours du bruit, de la fête, des problèmes ! Par exemple, on a besoin d’emmener des instruments au studio, et la voiture tombe en panne ! Il peut arriver n’importe quoi !
- Vous êtes à la base un pianiste classique, et vous jouez aujourd’hui du jazz et des musiques actuelles. Pouvez-vous me raconter votre cheminement ?
- Je viens en effet de la musique classique. Vers 18 ans, j’ai commencé à essayer de jouer du jazz, de la musique cubaine. C’était assez difficile, une aventure totale pour moi, en comparaison avec la musique classique où tout est écrit avec une partition et des indications très précises. Mais c’est pour ça que c’était très intéressant et excitant. Dans le jazz et certaines musiques populaires, on ne sait jamais ce qui va se passer sur scène le soir même, le lendemain soir... Ça m’a captivé et j’ai commencé à jouer de plus en plus avec des musiciens cubains.
- Qui vous a fait découvrir le jazz et la musique cubaine ?
- Le jazz vient de ma propre maison ! Mon père est batteur et joue avec beaucoup de groupes de latin jazz à Cuba. Mon oncle est également un pianiste de jazz très connu là-bas. Mais moi, je me suis mis au classique quand j’étais enfant car j’avais peur de jouer du jazz. J’avais très peur de l’improvisation ! (il rit) Maintenant, je vis comme quelque chose de merveilleux, d'incroyable, très excitant, le fait d’improviser en gardant toujours en tête la sensation du risque associé à cet exercice.
- Vous avez composé seul neuf des dix morceaux de votre nouvel album, sauf « New Day », le titre éponyme, qui est co-signé par le trompettiste Mayquel González. Pouvez-vous nous parler de ce titre ?
- Au début, « New Day », c’est une idée que j’ai eue par rapport à l’esprit que je voulais donner à ce morceau. J’ai joué les harmonies et le rythme aux musiciens qui m’accompagnent sur l’album. Mayquel a proposé une mélodie qui a plu à tout le groupe, on l’a donc gardée.
- On a envie d’en savoir plus sur certains morceaux et leurs titres très imagés ! Pouvez-vous nous parler de certaines musiques du disque ?
- « Fantasmas en caravana », par exemple, évoque des esprits qui voyagent dans un tempo, un pas rythmé. « Corriendo por los portales » fait allusion à une chose très caractéristique de La Havane, une construction architecturale héritée de l’Espagne. Un lieu ouvert, très animé, à l’entrée des maisons, où tous les enfants jouent. « Eso fue hace 20 » est une pièce que j’ai écrite pour un dessin animé, inspirée d’une chanson cubaine, « Veinte años ».
- Les deux premiers morceaux, « A Degüello » et « Cimarrón », sonnent assez impressionnistes…
- Cette influence ressort naturellement, de manière non préméditée, parce que j’adore Ravel, Debussy... « A Degüello » fait référence à une musique militaire jouée durant la Guerre d’indépendance de 1895 à Cuba. « Cimarrón » est un terme qui désignait les esclaves noirs en cavale qui se réfugiaient dans les montages, et que l'on traquait sans relâche.
- Et « Buenos Modales » ?
- Cela parle des bonnes manières. C'est quelque chose que l'on a perdu un peu, à Cuba, depuis une vingtaine, voire une dizaine d'années. Le niveau d'éducation a évolué, le système éducatif ne marche plus comme avant... Aujourd'hui, les gens s'expriment n'importe comment et écoutent des musiques pas géniales, voire franchement mauvaises, je peux dire. La situation s'est dégradée très progressivement.
- Le disque se conclut par un morceau très tendre, « Enero » (janvier)... De quoi parle-t-il ?
- C'est lié à un très mauvais moment de ma vie. Avec ma femme, j'ai perdu un enfant il y a un an et demi. C'est arrivé lors de l'accouchement. C'est une chanson de deuil pour lui, comme un message à son attention, où qu'il soit. Mais aujourd'hui, j'ai une petite fille, Paola, née il y a quinze jours, le 25 septembre. (large sourire) C'est pourquoi j'ai dit au début que ce disque reflétait les deux dernières années de ma vie. J'y ai mis mon coeur, c'est la chose la plus sincère que j'aie pu faire.
(propos recueillis par A.Y. le 10 octobre 2013)
Harold López-Nussa quartet en concert
> Au New Morning le jeudi 17 octobre 2013, 21H
> Au Tourcoing Jazz Festival le vendredi 18 octobre 2013, 18h30 > À Poulx (salle des fêtes) le samedi 19 octobre 2013, 20H30
Harold López-Nussa : piano, Fender Rhodes
Mayquel González : trompette, mélodica
Ruy Adrian López Nussa : batterie, percussions
Felipe Cabrera : contrebasse, basse électrique
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