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"Faire des albums solo, c’était un but" : rencontre avec Denys Lable, guitariste de Cabrel, Jonasz et Berger, qui sort son cinquième album

A l'occasion de la sortie de son cinquième album "Dédoublé" , le guitariste Denys Lable qui a accompagné les plus grands artistes français a répondu à nos questions.
Article rédigé par Jean-François Convert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Denys Lable (Capture écran Zycopolis / Patrick Savey)

Son nom ne vous dit sans doute rien, mais vous l’avez forcément entendu de nombreuses fois au travers de ses collaborations avec les plus grands artistes français. Il a accompagné entre autres Francis Cabrel, Michel Berger et France Gall, Julien Clerc, Serge Gainsbourg ou encore Michel Jonasz. Et son visage ne vous est peut-être pas inconnu car vous avez pu l’apercevoir dans des clips comme Laissez passer les rêves ou Petite Marie. A l’occasion de la sortie de son cinquième album solo Dédoublé il y a quelques mois, Denys Lable nous a raconté plusieurs moments qui ont émaillé sa carrière intense.

Un parcours riche et dense

Dresser la liste des enregistrements où figure Denys Lable reviendrait à établir un who’s who de la variété française de qualité de ces 50 dernières années. Parmi ses meilleurs souvenirs musicaux, il cite sa collaboration avec Gabriel Yared sur les disques de Michel Jonasz. "On enregistrait tout en direct et on avait l’impression de faire un disque Blue Note des années 60 !" Il évoque aussi entre autres Françoise Hardy ou Michel Berger, qui avait "une façon très américaine de travailler, tous ensemble autour d’un projet." Beaucoup de ses solos ont illustré des morceaux ultra-connus, comme par exemple Only the very best de Peter Kingsbery, qui est l'adapation anglaise de S.O.S. d'un terrien en détresse, tiré de Starmania.

 

Après des études d’arts à l’école Boulle, sa passion pour la musique le pousse à se lancer dans un milieu qui le fascine à travers les disques. "Je dois avoir entre 300 et 400 vinyles. J’avais un budget mensuel dédié aux disques. Le fait de voir les musiciens qui jouaient dessus déterminait souvent l’achat."

Etre musicien de studio, c’était pour moi un but à atteindre

Denys Lable

Et quand on lui demande s'il s'est parfois posé la question de tenter l'aventure en solo, il répond sans hésiter : "Ne pas faire de choses personnelles aurait été un non-sens pour moi. Mais il n’y a jamais eu trop de décalage entre ce que je faisais et le style de guitare que j’aime. C’est-à-dire la guitare d’outre-Atlantique pour résumer."  En parallèle de son rôle d’accompagnateur, il a conduit plusieurs projets dont notamment Autour du blues qui réunit la fine fleur bluesy de l’hexagone.

 

Il ajoute : "J’ai eu la chance d’accompagner les artistes français parmi les plus grands, et j’arrivais à jouer comme j’avais envie. Faire des albums solo c’était aussi un but quelque part, et la carrière que j’ai eue en accompagnant les artistes m’a permis de le faire".

C’est d’ailleurs son premier album solo Crystal Hotel en 1988 qui favorise sa rencontre avec un artiste qu’il va accompagner pendant plus de vingt ans.

Une collaboration étroite avec Cabrel

Denys Lable raconte : "Quand j'ai rencontré Francis Cabrel, il m'a dit 'je l'ai !' en parlant de mon disque qu'il avait acheté et visiblement beaucoup apprécié". S'ensuit une longue complicité entre les deux hommes. Après Photos de voyage en 1985, c’est surtout à partir de Sarbacane que Denys et Francis ne vont plus se quitter. Depuis, le guitariste a participé à tous les albums du chanteur, sauf les deux derniers. En 1990, ils enregistrent le Rock n Roll Show au Bataclan, un spectacle composé uniquement de rock n roll des années 50, avec la participation de Dick Rivers. A la mort du chanteur yé-yé en 2019, Cabrel a demandé à Denys Lable de rééditer ce concert.

En 1991, la chanson Petite Marie connait un second souffle avec sa version sur l'album en public D'une ombre à l'autre. Une nouvelle génération découvre ce morceau qui date à l'origine de 1977. Denys y signe un superbe solo. Il explique : "avec ces arrangements acoustiques, on était dans la mouvance des concerts 'Unplugged' sur MTV". Eric Clapton connaitra un énorme succès avec cette formule l’année suivante.

Et Francis Cabrel apparait justement sur ce nouvel album solo de Denys Lable, Dédoublé, sorti il y a quelques mois. "J’avais composé une musique" explique le guitariste, "et j’ai demandé à Cabrel d’écrire un texte dessus. Ça a été un challenge pour lui, parce que d’habitude, il écrit d’abord les paroles et cherche les mélodies ensuite."  Il en ressort cette chanson mélancolique Boire seul, chantée par Francis Cabrel et Denys Lable, lequel contrebalance la voix claire du chanteur d’Astafort par des intonations éraillées. Ce choix est délibéré et rappelle la voix de celui qui devait au départ chanter le morceau, le regretté Patrick Verbeke.

Le dernier enregistrement de Patrick Verbeke

Le bluesman français figure néanmoins sur l’album avec Hi-heel Sneakers, un blues des sixties repris maintes fois, notamment par Stevie Wonder, et surtout Blues for Pipa. Dans ce texte, Patrick Verbeke parle de son grand-père "qui travaillait sur les premières machines à vapeur sur le trajet Rouen-Strasbourg entre les deux guerres", nous précise Denys Lable. Mais le chanteur n'a pas eu le temps de terminer la chanson. "Il a enregistré la majeure partie du morceau, et puis il était fatigué" raconte le guitariste. "il m’a dit 'il me manque des paroles, on reprendra la semaine prochaine'. Je l’ai appelé pour qu’on recale une autre date, et il est sans douté décédé pendant notre conversation, puisqu’il a été retrouvé mort dans sa voiture le lendemain de mon appel."

Patrick Verbeke en concert à Strasbourg le 06/09/2002 (P. SEITZ / MAXPPP)

Cet album Dédoublé prend ainsi une forme d’hommage à ce grand bluesman français. Et le disque est également dédié à deux autres personnes disparues récemment : le mandoliniste Stéphane Vilar, et le pianiste-chanteur Richard Lable, propre frère de Denys, et ayant sorti deux albums en 1977 et 1983.

Un disque avec la famille et les amis

"Mon frère a composé 'Mon beau nuage' qui figurait sur son premier album et je l'ai réarrangé en ajoutant notamment la partie cordes" explique Denys. "Je lui en ai parlé mais je n’ai malheureusement pas eu le temps de lui faire écouter."  Le fils du guitariste a illustré le dessin hommage dans le livret de l'album, tandis que sa fille assure la deuxième voix et les chœurs sur deux morceaux.

Un projet en quelque sorte familial, mais aussi avec des amis de longue date. On retrouve ainsi Christian Padovan, bassiste qui lui aussi a accompagné les plus grands. Quand on sait qu’il tient la basse sur entre autres Les Cactus et Il est 5h Paris s'éveille, tout est dit.

Au chant, c'est Olivier Constantin qui tient le micro sur trois morceaux, et la batterie est assurée par Claude Salmieri, un autre musicien émérite. Denys résume : "Dans les grands batteurs français, il y a Manu Katché et Claude Salmieri."

Denys Lable (guitare), Olivier Constantin (chant), Claude Salmiéri (batterie) et Christian Padovan (basse) dans le clip "Never Enough" (Capture écran Zycopolis / Patrick Savey)

L'émotion plutôt que la technique

Les 12 titres de l'album alternent instrumentaux et chansons. Trois reprises dont l'intemporel Pet Sounds des Beach Boys, et le standard du jazz Willow weep for me. Des atmosphères entre blues élégant et ballades délicatement jazzy. Le banjo bucolique de For good times' sake côtoie les cuivres feutrés de Sophisticated boogie, et un accordéon mélancolique accompagne Cabrel sur Boire seul. Le son des guitares reste toujours doux et subtil, jamais agressif. Plutôt que la virtuosité technique de Jeff Beck et l’excentricité de Jimmy Page, Denys Lable a toujours préféré le feeling bluesy d’un Eric Clapton ou d’un Ry Cooder. Dans ses autres références il aime aussi citer Steve Cropper et B.B. King.

Ce qui m’intéresse c’est le discours, pas l’effet

Denys Lable

Et quand on sait que le guitariste s’adonne également à la peinture avec une prédilection pour l’impressionnisme, on comprend mieux pourquoi ses morceaux évoquent instantanément des images de paysages sereins. "J’ai plein de guitares comme j’ai plein de pinceaux. C’est pas la collection pour la collection, l’idée c’est de les jouer." 

 

L'album Dédoublé semble illustrer parfaitement l'adage de JJ Cale qui disait "j'aime la musique où je peux allonger mes jambes". Un disque à écouter dans un rocking chair un verre à la main, en contemplant le coucher de soleil. Et Always with us nous plonge dans une atmosphère typique sixties avec guitare slide aérienne et voix nonchalantes. Un album qui sonne un peu comme une synthèse de la carrière de Denys Lable et Christian Padovan à travers les différentes influences qui ont émaillé leurs parcours si riches.

Si vous aimez les guitares au son chaleureux, les mélodies ciselées, et la musique pour allonger vos jambes, alors vous devriez facilement vous dédoubler et vous retrouver dans un ailleurs paradisiaque en écoutant ces 12 morceaux.

La pochette de l'album "Dédoublé" (César Potel / Aztec Musique / Pias)

L'album Dédoublé est sorti fin 2022 chez Aztec Musique sous l'égide d'Eric Basset et est disponible sur toutes les plateformes

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