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Didier Lockwood improvise sur France 2

Didier Lockwood a pris goût aux planches. Parallèlement à "Improvisible", spectacle 100% improvisé qu'il anime le week-end au Théâtre des Bouffes Parisiens (jusqu'au 14 mars), le violoniste glisse des intermèdes musicaux dans la pièce d'Alain Sachs "Vous êtes mon sujet", avec Gérard Darmon. À découvrir ce mardi soir en direct sur France 2. Le jazzman évoque cette double activité musico-théâtrale.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Didier Lockwood
 (Bernard Martinez)

Ce n'est pas tout à fait un hasard si Didier Lockwood joue à la fois dans le spectacle "Improvisible", créé le 22 novembre aux Bouffes Parisiens, et dans le thriller théâtral "Vous êtes mon sujet", dont Didier Van Cauwelaert est l'auteur (avec Gérard Darmon, Julie-Marie Parmentier, Philippe Lellouche...), créé au théâtre de la Garenne-Colombes. Les deux spectacles sont mis en scène par Alain Sachs. La troisième et dernière représentation de la pièce est retransmise ce mardi soir en direct sur France 2.

- Culturebox : De quelle manière participez-vous à la pièce "Vous êtes mon sujet" ?
- Didier Lockwood : J'assure le fil rouge musical. J’improvise une quinzaine de fois au moment des changements de décor. Cette pièce de théâtre est un thriller qui en comporte un certain nombre. Comme j’ai une flexibilité au niveau de l’improvisation, si un changement de décor demande dix ou vingt secondes de plus que prévu, je ne suis pas pris au dépourvu ! Si un musicien intervenait avec quelque chose d'écrit, de millimétré, ce ne serait pas possible !

- On vous voit donc sur scène durant ces intermèdes.
- Oui. Pendant ce temps, des comédiens en rollers effectuent les changements de décor. Tous les décors sont sur roulettes, ça va vite, les changements font 30, 40 secondes, au pire 50 secondes à une minute. Pendant ce temps, je joue et j’annonce musicalement l’ambiance de la scène qui va suivre…

- Même pendant ces intermèdes, le spectacle continue !
- Oui. C’était le principe, parce qu’à la télé, s’il y a une baisse de tension, les producteurs ont toujours peur… (il rit)

- … que les gens aillent voir ailleurs !
- Ce qui est bien dans cette pièce, c’est que ces choses que l'on ajoute amènent une autre dimension d’un point de vue artistique. Je peux improviser, ça apporte un défi quelque part, une aventure, ce n’est pas du travail mâché.

- On va voir ça ce soir sur France 2. Parlons d'"Improvisible", le spectacle dans lequel vous mettez le public à contribution et invitez des gens à monter sur scène, à improviser avec vous... D’où en est née l’idée ?
- C’était mon idée. J’ai appelé Alain Sachs et je lui ai dit : "J’aimerais faire un spectacle improvisé. Complètement. Qu’est-ce que tu en penses ?" Il m’a dit qu’il y avait un défi à tenir. Un spectacle improvisé, c’est un non-spectacle puisqu’il s’improvise tous les soirs. J’ai fait appel à Alain parce que je savais qu’il me permettrait de me structurer dans cette approche, parce que ça peut aussi donner n’importe quoi… Il a établi des règles. Il m’a fait parler pendant quatre, cinq jours, sur les divers sujets qui m’importaient. Le système des chapeaux dans lesquels on pioche des thèmes, des noms de compositeurs à partir desquels on va improviser, me permet de survoler mon univers de manière spontanée.
Dans le chapeau, une spectatrice est chargée de piocher un bout de papier dont le contenu déterminera l'improvisation suivante...
 (NW)
- Quelle était la motivation première du show ? Quel message aviez-vous envie de faire passer au public ?
- J'avais envie de faire comprendre aux gens que notre société, notre système, nous empêchaient de travailler à développer la vigilance nécessaire - aujourd’hui surtout - pour surmonter les défis de la vie. Aujourd’hui, on est obligé de régler les problèmes avant qu’ils n’arrivent. Le principe était simplement de pouvoir être le plus réactif possible. Un improvisateur, c’est quelqu’un qui se donne des outils pour pouvoir traiter de l’instant présent. C’est la grande difficulté aujourd’hui. Je suis parti aussi du principe que scientifiquement, l’improvisation faisait partie des sept paramètres indispensables à la réalisation de la vie.

- Quels sont les six autres ?
- Vous avez par exemple la physique, la chimie, l’oxygène, l’eau, les principes qui tiennent plus à la nature des choses. Mais l’improvisation, c’est la première loi de l’évolution. Il faut s’adapter, pouvoir rapidement évaluer les choses. Il existe une loi, la loi de Bayes, dont on se sert en météorologie, dans les diagnostics médicaux... C’est une loi de probabilité. L’improvisation est basée sur la loi de probabilité en temps réel. Quand j’improvise, je ne préconçois pas. Je joue une note au hasard, deux notes au hasard et je dois être capable de calculer la probabilité de ce qui pourrait être la meilleure troisième note dans l’état d’esprit dans lequel je suis à cet instant, calculer intuitivement ce qui doit arriver après. Ce principe d’anticipation est salutaire. Il s’adapte à n’importe quel geste vital. Avoir la lucidité et la vigilance, savoir rétablir des équilibres. Quand on improvise, on ne fait que ça. Et l’erreur doit produire cette réparation d’équilibre.

- Vous aimez en effet défendre le principe de l’erreur quand vous parlez de ce spectacle...
- Oui, parce que je trouve que dans notre société, le refus de l’erreur pose un gros problème. Ça nous entraîne dans une inaction, puisque ça nous plonge dans le doute. Tout geste salutaire ne peut se faire que dans l’action. La vie elle-même n’évolue que par expérimentation. Si on expérimente quelque chose qui n’est pas suffisant, la vie va trouver une solution encore meilleure et un meilleur équilibre.
- Je me rappelle du premier spectacle en novembre. Je me souviens de vos difficultés à faire monter, parfois, les gens sur scène. Pour les convaincre d'oser, vous avez dit qu'ils se verraient offrir la vidéo de leur passage sur scène. Cette première a dû être épuisante !
- Non, ce n’est pas épuisant. Le premier spectacle était un peu compliqué mais les choses ont évolué. Quand on est dans la bonne énergie, on n’est pas fatigué, c’est seulement quand on est à contre-courant... Pour moi, ce spectacle est une manière de me mettre dans le courant. Je n’ai à lutter contre rien puisque je suis dans la totale liberté. Ce que j’adore dans ce spectacle, c’est que le courant passe à 200%. Par moment, j’ai réussi à faire observer deux minutes de silence. Le mot tiré au sort était "silence" et il fallait l’expérimenter. Ces moments de silence sont extraordinaires. Ils sont habités.

Est-ce que le spectacle a évolué depuis sa création ?
- Il s’est affiné. J’ai trouvé d’autres trucs au gré des improvisations, comme la marelle musicale. Ça marche très bien pour faire chanter les gens. Selon le public, ce que je vais faire va être différent d’un jour à l’autre. Je figure les notes de musique à chanter par des espaces sur scène, je saute d’un endroit à un autre, et ça signifie des notes spécifiques, des intervalles. Quant au public, il réagit, il intervient de plus en plus. Si ce n'est pas toujours facile de faire monter les gens sur scène, j'arrive maintenant à engager le spectacle de telle manière que très vite, ils se sentent en confiance. Ils sont prêts à participer, à tenter l’aventure. Le spectacle, ils le font avec moi.
- Pouvez-vous nous raconter quelques belles surprises ?
- Tous les soirs, c’est une surprise, une approche différente, c’est comme si je recommençais toujours au début. Et ça, c’est génial. Les grandes surprises, c'est par exemple de voir des gamins, des gamines, venir dire des poèmes. Je leur fais dire des petits poèmes, puis je leur enlève le texte et je dis : "Maintenant, c’est à vous !" Je leur explique le principe d’improvisation : "Laissez échapper tout ce qui doit s'échapper de vous, ce n’est pas grave, il n’y a aucun problème." Au début, les premiers mots sont très contraints, restreints, parce qu’ils ont peur. Et tout d’un coup, il y a un mot qui sort, et il permet d’en sortir d’autres. Ils ouvrent la porte. C’est extraordinaire. J’ai vu un jeune qui a commencé à improviser des poèmes, c’était fantastique ! La salle était médusée.

- Et du côté des adultes ?
- Une dame est montée sur scène. Comme elle ne joue pas du tout de piano, je lui ai donné deux ou trois explications pour qu’elle ne panique pas, puis on a fait quelque chose de formidable. Ça touche beaucoup le public qui se rend compte qu’on a tous cette vocation, cette possibilité, ce talent…J'ai vu des personnes qui étaient venues jouer du piano pleurer après leur passage, émues de s’apercevoir qu’elles n’étaient pas des nulles comme on essaye toujours de leur faire croire.
Dans le spectacle "Improvisible", Didier Lockwood accueille sur scène une jeune mélomane...
 (NW)
- Quel avenir pour ce spectacle après le 14 mars ? Et qu'auriez-vous envie de dire à ceux qui ne sont pas encore venus ?
- Je pense que c’est un spectacle qui devrait continuer. J'aimerais le poursuivre une fois par mois à Paris, et pouvoir, à cette occasion, inviter d’autres artistes. On est en train d’y penser. Quant aux gens qui ne l'ont pas encore vu, qu’ils viennent s’amuser avec moi ! Qu’ils prennent un risque et qu’ils sortent de l’habitude qui est mortifère. Et je crois que c’est vraiment important pour les enfants de venir voir le spectacle. Ils viennent de plus en plus nombreux. Eux, ils n’ont pas de complexe ! Je suis sûr que chez les gamins et les gamines qui sont montés sur scène, il y en a à qui ça va déclencher ou développer une motivation pour la création, la créativité, l’imaginaire. Ça peut vraiment leur provoquer des étincelles.

(Propos recueillis par A.Y. le 16 février 2015)

"Improvisible", à Paris, aux Bouffes Parisiens
Dernières représentations les samedis 28 février, 7 mars et 14 mars 2015
4, rue Monsigny, Paris 2e
Réservations : 01 42 96 92 42 ou sur le site

> L'agenda de Didier Lockwood ici

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