David Linx, Paolo Fresu, Diederik Wissels, le retour d'un trio d'exception
Quinze ans après "Heartland", "The Whistleblowers" (les lanceurs d'alerte) réunit le trio passionnant animé par le vocaliste de jazz David Linx, le trompettiste Paolo Fresu et le pianiste Diederik Wissels. Au sein de ce trio, on retrouve un duo confirmé, celui que forment depuis de nombreuses années le chanteur belge et le pianiste néerlandais.
Dans le nouvel opus, les trois musiciens ont apporté leur contribution à un répertoire inédit, le disque comprenant une seule reprise. Mélodies somptueuses, textes tournés vers l'introspection et les relations humaines, arrangements délicats renforcés par un quatuor à cordes, font de cet album un pur moment de grâce.
Par une sombre ironie du sort, "The Whistleblowers", au titre en résonnance avec un monde tourmenté et qui compte un morceau intitulé "Paris", est sorti en France le 13 novembre… Le concert parisien qui devait suivre a été reporté à la suite des attentats qui ont frappé la capitale française. Un nouveau rendez-vous est pris pour le 14 avril à Paris, au Café de la Danse.
- Culturebox : Quinze ans après "Heartland", pourquoi avoir reformé le trio Linx Fresu Wissels ?
- David Linx : On ne s'est jamais perdus de vue au fil des ans. On se retrouve fréquemment.
- Diederik Wissels : On a régulièrement travaillé ensemble, on a écrit par exemple de la musique de film.
- David : Dix ans après "Heartland", l'idée d'une suite a commencé à germer dans nos têtes.
- Paolo Fresu : "Heartland" était un projet important pour nous. À chaque fois qu'on se voyait, on se disait : "Pourquoi ne pas faire un autre disque ?"
- Diederik : "Heartland" ayant eu beaucoup d'écho en Europe, il était temps. Toutes les énergies, tout le monde était disponible dans sa tête, alors on s'est rendus disponibles dans nos agendas aussi.
- Paolo : L'idée d'origine était de faire ce nouveau disque avec des cordes, "Heartland" ayant déjà été marqué par le son des cordes dû aux arrangements de Diederik. À un moment on s'est lancé. On a commencé à composer des choses.
- Diederik : On a d'abord pensé à enregistrer en trio avec le seul renfort de cordes (le quartetto Alborada, ndlr). Puis on a décidé d'ajouter un percussionniste, Helge Andreas Norbakken, avec lequel on travaille sur un autre projet. On ne voulait pas de bassiste, mais notre cher bassiste Christophe Wallemme nous a suppliés de pouvoir participer au disque !
- Comment vous-êtes vous partagé l'écriture du disque ?
- David : Ça s'est passé comme avec "Heartland". Chacun a essayé d'apporter environ un tiers du répertoire. Paolo a amené ses compositions. J'ai composé trois morceaux, Diederik a composé le reste. Ensuite, j'ai écrit tous les textes. "Le Tue Mani" est un standard italien, Mina l'a chanté dans les années 60. Pour l'album "Heartland" toutefois, j'avais envoyé certains textes aux musiciens afin qu'ils composent de la musique dessus.
- Diederik : Il y a un morceau de "The Whistleblowers", "December", sur lequel on a communiqué par internet. J'avais envoyé une idée de musique à David, mais il m'a demandé de la retravailler car il trouvait qu'elle n'était pas tout à fait aboutie.
- David : Je ne m'en souvenais pas. Mais pour moi, la composition est un travail qui se fait toujours seul. Je ne crois pas aux gens qui composent à deux ou trois, ça affaiblit le propos. Dans le rock, ça se fait beaucoup plus et c'est plus concevable car c'est une musique harmoniquement plus simple. Mais la vraie composition est solitaire. Et quand un dilemme survient, ça devient intéressant !
- Qui s'est occupé des arrangements ?
- David : Diederik s'est occupé des arrangements pour cordes.
- Diederik : Le premier morceau du disque, "As One", a été arrangé par une de mes élèves, Margaux Vranken. C'était un genre de devoir de fin d'études. Elle était ravie. Elle a bien travaillé, je n'ai rien eu à changer. Il faut passer le flambeau aux jeunes !
- Pourquoi le titre et la thématique des "Whistleblowers" ?
- David : Le whistleblower, c'est un donneur d'alerte. Quand les gouvernements ne sont pas d'accord avec eux, ils les accusent d'être des espions. C'est quelqu'un qui, tout seul, sans l'aide ni du gouvernement ni de la population, va détecter un problème. Récemment, j'ai pensé aussi à ce que nous faisions tous les trois musicalement. Nous n'évoluons pas dans le jazz américain, nous ne sommes pas non plus dans un jazz qui essaye de plaire. On se plaît d'abord à nous-mêmes. C'est une démarche, une décision assez solitaire que de construire quelque chose et d'espérer que ça pourra plaire à d'autres. Ce que nous faisons aujourd'hui, ensemble ou séparément, est un peu à contre-courant. Le jazz vocal se situe dans une nostalgie... C'est un constat, pas un jugement. Dans le jazz instrumental, il y a davantage d'évolution et le public suit. Dans le jazz vocal, je me sens un peu à part.
J'ai pensé par ailleurs à tout ce que Paolo faisait depuis tant d'années, lui qui vient d'un petit village de Sardaigne, Berchidda. Aujourd'hui, il organise des stages pour les jeunes. C'est important pour les jeunes de réaliser que d'où que l'on vienne, on peut accomplir des choses.
- Paolo : J'essaye de faire le même travail avec mon label (Tǔk Music, ndlr). Il faut ouvrir des fenêtres pour les autres.
- Qu'avez-vous ressenti au moment où vous avez de nouveau travaillé en trio, en termes d'interaction, d'improvisation ?
- Diederik : Une globalité. La musique que nous jouons n'est plus axée sur les solistes. Les chorus (phases d'improvisations, ndlr) sont tout à fait intégrés dans la musique.
- David : Ça ne se présente plus sous le mode habituel "thème puis chorus".
- Paolo : Je pense que "Heartland" était un peu plus traditionnel. Il y avait des thèmes, il y avait des solos. Cette fois, il n'y a presque jamais de vrais solos, la musique est collective. Pour ma part, dans "The Whistleblowers", je joue beaucoup avec des sons électroniques alors que "Heartland" était complètement acoustique.
- Diederik : Et le travail du percussionniste Helge Andreas Norbakken s'accorde très bien avec les sonorités électro de Paolo.
- En studio, le feeling a-t-il été immédiat ?
- Paolo : Oui, ça a été très simple, on s'est régalé. Il n'y a eu aucun problème entre nous, les choses se décidaient vite, on était toujours d'accord. Il n'y avait pas de leadership, on se partageait totalement l'esprit du disque. Ensuite, on est partis en Italie pour enregistrer les cordes et faire le mixage.
- David : C'était tellement facile, agréable. Ça faisait très longtemps que je n'avais pas vécu quelque chose comme ça, au vu de la façon dont le métier a évolué. Le métier n'est pas très agréable, on ne sait plus quoi vendre, comment vendre, cet aspect constitue une source de pression. Avec le trio, tout le travail se fait ensemble.
- Paolo : Je me suis occupé de l'illustration et du graphisme du disque, c'est d'ailleurs la philosophie de mon label. Je cherche sur internet des choses susceptibles de me plaire, ensuite je contacte les illustrateurs pour demander la permission d'utiliser leur travail. C'est ainsi que j'ai découvert l'image du CD. Elle a été réalisée par une jeune Italienne qui est une superstar en Amérique, Olimpia Zagnoli. Je lui ai expliqué dans un mail qu'on allait faire un disque intitulé "The Whistleblowers" et que j'aimerais bien utiliser son œuvre. Elle m'a répondu : "C'est bizarre ! Ça s'appelle justement comme ça !" (l'artiste a réalisé une série d'illustrations sur ce thème, ndlr)
- David : On n'en savait rien ! Ça a été la pochette la plus facile à faire !
- Dans l'histoire du trio, il y a une autre histoire, celle du duo Linx-Wissels...
- David : On se connaît depuis 1977. Au début, je jouais de la batterie avec Diederik et le contrebassiste Hein Van de Geyn. On accompagnait des Américains qui passaient (en Belgique et aux Pays-Bas, ndlr), au début des années 80. La première fois que j'ai chanté avec Diederik, c'était en 1988. Notre premier album remonte à 1992. Récemment, en 2013, on a sorti "Winds of Change". Pour "Follow the Songlines" (2010), avec Maria João, on faisait un peu le même travail, mais à trois. On fait toujours des disques et j'ai l'impression que ça va continuer. À une certaine époque, des agents nous ont dit : "Il faudrait arrêter le duo parce que vous n'avez plus rien à vous dire."
- Paolo : Je pense la même chose… (rires) Mais quand même, il est bien, votre duo !
- Dernière question sur votre trio : à quand un troisième volet de l'aventure "Heartland" ?
- Diederik : Jamais deux sans trois... Je crois qu'entre nous, il y a un lien qui demeure permanent.
- Paolo : J'espère que le prochain disque ne se fera pas dans 15 ans ! Je serai trop vieux !
David Linx, Paolo Fresu, Diederik Wissels, Heartland / "The Whistleblowers" en concert
Jeudi 14 avril 2016 à Paris, 20H
Café de la Danse
5, passage Louis-Philippe 11e
Tél : 01 47 00 57 59
Première partie : Dino Rubino (piano)
La vidéo officielle de présentation de l'album "The Whistleblowers" :
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