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D'Jazz Nevers : "Running Backwards", la régression du monde selon Andy Emler

Mardi soir, le festival D'Jazz Nevers a proposé une soirée rock'n roll bannissant toute velléité de somnolence des neurones. Après la performance singulière et poétique de Josef Nadj et Joëlle Léandre, le quartet d'Andy Emler a fait trembler les murs de la Maison de la Culture de Nevers. Un moment fort. Les deux spectacles seront bientôt disponibles sur Culturebox.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Marc Ducret (guitare), Éric Échampard (batterie), Claude Tchamitchian (contrebasse) et Andy Emler (piano, composition, arrangement), le mardi 14 novembre 2017 à la Maison de la Culture de Nevers
 (Maxim François)

La soirée de mardi avait débuté, côté musique, dans un mystérieux minimalisme - juste une contrebasse, des percussions et, à certains moments, les voix de la musicienne de jazz Joëlle Léandre et du chorégraphe Josef Nadj - faisant la part belle aux effets visuels.

Une "course en arrière"

La seconde partie du concert a monté de plusieurs crans en termes de décibels avec quatre jazzmen - qui sont aussi quatre rockers - survoltés : le pianiste Andy Emler (compositeur et orchestrateur du projet), le guitariste Marc Ducret, le contrebassiste Claude Tchamitchian et le batteur Éric Échampard. Andy Emler a réuni ce quartet de choc pour enregistrer "Running Backwards", un répertoire créé à la Maison de la Radio en 2016. Le titre parle de "courir en arrière" : la musique a été inspirée par le "constat très pessimiste" de la "régression de l'humanité", explique Andy Emler au public. Pince-sans-rire, le pianiste, leader et porte-parole du quartet ponctuera régulièrement ses intermèdes au micro par l’expression "par les temps qui courent à reculons"…

Andy Emler a conçu une véritable suite dans laquelle plusieurs styles cohabitent : jazz, improvisation, rock, rock progressif, musique contemporaine. Ça démarre par une pièce pour guitare solo jouée par Marc Ducret, prologue avant la tempête qui surgit dès le deuxième morceau, le rageur "Running Backwards" qui  donne son titre à l'album. Il renferme un petit motif mélodique, leitmotiv sur un mode interrogatif, qui reviendra régulièrement au cours du concert, tel un fil conducteur, et le conclura.

Extrême concentration

À l'image de l'ensemble du disque, cette pièce nerveuse, au tempo rapide, d'une complexité tant rythmique que mélodique, exige une vigilance de tous les instants. On a déjà vu les quatre musiciens, habitués à jouer ensemble dans différents projets, plus joviaux sur scène. Mais dans l'après-midi, leur séance de balances, occasion d'ultimes réglages et d'une rapide répétition, a été écourtée par un problème de train d'un membre du groupe. Ce soir, le quartet joue avec une extrême concentration.

Ponctués de jeux de mots, les titres des morceaux - "Sad and beautiful", "Marche dans l'autre sens", "Turn around and don't look back" - trahissent à la fois la tristesse et l'ironie désabusée du compositeur. En écho au bruit absurde d’un monde en perdition, saturé d’informations, de donneurs de leçons, les musiciens se lancent dans une séquence alternant onomatopées vocales et phases instrumentales. Un peu plus tard, un crescendo tempétueux du groupe balaye les ultimes espoirs d'un mieux-être du monde.
De gauche à droite : Claude Tchamitchian, Andy Emler, Marc Ducret, Éric Échampard
 (Maxim François)

Virtuosité et générosité

Chaleureusement applaudi, le quartet propose en guise de rappel une improvisation "sur une base de mi, de cette façon on est libre de faire ce qu’on veut au-dessus", explique Andy Emler avant de faire diversion au piano, malicieux, avec les cinq premières notes de "Ne me quitte pas" et de lancer une ultime impro collective de la soirée.

On se souviendra de la virtuosité et de la générosité de quatre formidables musiciens sur la corde raide de bout en bout d'un répertoire exigeant, truffé de cassures de rythme, de variations de climats. Un répertoire qu'ils n'ont que trop rarement l'occasion de jouer sur scène dans une conjoncture où les programmateurs de salles et de festivals sont de plus en plus frileux. On se souviendra enfin de l’humour corrosif et désopilant d’Andy Emler. Car si le monde court à sa perte, ça n'est pas une raison pour se prendre au sérieux.

> À l'occasion d'une interview publiée le 22 juin 2017 sur Culturebox, Andy Emler avait présenté "Running Backwards".
> Les performances du concert du 14 novembre 2017 seront bientôt disponibles sur Culturebox en partenariat avec Oléo Production.

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