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Baptiste Trotignon, retour au trio avec "Hit"

Le pianiste de jazz Baptiste Trotignon n’avait pas enregistré d'album en trio depuis les deux disques qui avaient lancé sa carrière en 2000 et 2001. C’est chose faite avec "Hit", son nouveau disque réalisé avec le batteur américain Jeff Ballard et le contrebassiste Thomas Bramerie. Il le présente à l'occasion d'une tournée qui passe à Paris, au Café de la Danse, le 17 novembre. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Baptiste Trotignon très zen, entouré du batteur Jeff Ballard et du contrebassiste Thomas Bramerie : un trio de choc pour "Hit" (Naïve, 2014)
 (Hélène Pambrun)

À 40 ans - depuis le 17 juin -, Baptiste Trotignon mène désormais une double carrière de compositeur dans le jazz ainsi que la musique classique, un domaine dans lequel il a reçu une nomination aux Victoires, l'hiver dernier, avec l'une de ses œuvres, Different Spaces.

Après une splendide ode à la voix (Song, song, song, en 2012) et une expérience en duo avec le saxophoniste Mark Turner (Dusk is a quiet place, en 2013), le pianiste renoue avec le trio, l'une des formules magiques du jazz. S’il s’adonnait de temps à autre à cet exercice en concert, il n’avait plus enregistré de disque en trio depuis 2001.

Dans son nouveau disque, Hit, sorti le 15 septembre 2014 chez Naïve, Baptiste Trotignon s'est entouré du batteur américain Jeff Ballard, l'un des piliers du trio du pianiste Brad Mehldau, et le contrebassiste Thomas Bramerie, un complice de longue date.

- Culturebox : D’où vous est venue l’envie de renouer avec la formule du trio ?
- Baptiste Trotignon : Si je n’ai effectivement pas fait de disque en trio ces dernières années, j'ai joué par exemple sur un disque en trio avec Aldo Romano, qui n’était pas sous mon nom, et j'ai donné beaucoup de concerts dans cette formule. Alors, pourquoi ce disque à ce moment-là... C’est un mélange de choses. D’abord, étant très gourmand d’aventures différentes, peut-être que j’ai eu besoin de passer par le piano solo, le quartet, le projet "Song, song, song" avec plein d’invités, les projets franco-américains, le duo avec Mark Turner... Ensuite, c’était surtout une question d’intuition : celle de se dire que c'était le bon moment. Dans un monde où tout est calculé, formaté, c’est bien d’essayer de sauvegarder une part d’intuition dans la façon dont on fait notre métier d’artiste.

- Et en trio, le piano occupe un rôle particulier...
- J’avais peut-être de nouveau envie de jouer les thèmes au piano. Quand on est en quartet ou en duo, c’est souvent un autre instrumentiste qui joue les mélodies du thème. À force de confier cette tâche - ce plaisir ! - à d’autres, j’avais envie de le re-manifester sur un enregistrement. C’est important pour moi de jouer les thèmes. Sur scène aussi, j’adore jouer les standards et leurs thèmes, c’est très apaisant, et j’avais donc envie de revenir à ça.

Quels sont les autres aspects agréables du jeu en trio ?
- C'est de jouer avec une masse sonore ouverte à plein de possibilités. Si cette forme trio piano-contrebasse-batterie existe depuis tant d’années, c’est parce qu’elle doit marcher ! Elle permet beaucoup de liberté. En même temps, c’est une architecture en triangle très équilibrée qui permet beaucoup de nuances entre des moments très denses, intenses en énergie, et des moments très aériens, épurés. Il y a une palette en trio qui est vraiment très large, très jouissive, pour ceux qui la pratiquent. On peut prendre l’image d’une discussion. Il y a un véritable échange avec différentes possibilités, c'est quelque chose de génial.
- L’album s’intitule "Hit". Le rapport à la frappe, à l’aspect percussif du piano, en est-il le fil conducteur ?
- Le piano est à la fois un instrument qui chante, qui fait de la mélodie, et un instrument de percussion. Depuis une dizaine d’années, j’ai souvent défendu volontairement l’aspect cantabile de l’instrument, cet aspect chantant qui est parfois un peu oublié dans le jazz, alors qu'il est plus magnifié par les pianistes classiques. Sur scène, par contre, j’utilise beaucoup de choses percussives. Dans ce disque, j’avais juste envie de signifier un peu plus cet aspect, sans oublier pour autant le côté mélodique.

- Dans le texte de présentation du disque, vous rappelez combien vous vous sentez lié à la tradition afro-américaine. En même temps, on entend dans votre musique beaucoup de références à la musique classique européenne.
- Tout à fait, c’est vrai que j’ai toujours eu "le cul entre deux chaises" ! Et encore plus maintenant que j’ai élargi mon spectre d’action. Je suis génétiquement profondément européen, je continue de beaucoup écouter les compositeurs européens, et en même temps, je suis profondément amoureux de la tradition afro-américaine dont j'essaye de garder les éléments identitaires. Donc c’est peut-être ça aussi qui fait mon identité, cette espèce d’alliage de ces deux pans, comme pour d’autres musiciens. Beaucoup de choses me viennent des compositeurs européens dans le langage harmonique, mélodique, mais aussi rythmique parfois.

- Quels compositeurs vous inspirent le plus ?
- Ça va des Français comme Ravel, Messiaen, Dutilleux, aux Russes comme Prokofiev, Chostakovitch, Stravinsky - un peu moins en ce qui le concerne - et aux musiques d’Europe centrale, avec Bartok… Et puis les anciens : Bach, Schubert, Beethoven et Haydn. J’ai écouté beaucoup de musique romantique à une époque, moins maintenant. En ce moment, c'est plutôt la période dite classique - avant la musique romantique - et la musique du XXe : Mahler, Strauss, Britten...

- Dans le disque, on entend aussi un clin d’œil aux Beatles avec le morceau Paul !
- Au départ, c’était un morceau que je jouais sur scène en solo, mais aussi en quartet dans un autre style, avec Jeanne Added qui avait mis des paroles dessus. Ce n’était pas du tout pensé comme un hommage à Paul McCartney. À mes yeux, un tel procédé serait fake, artificiel. La musique vient quand elle vient, et ensuite, on cherche des titres qui soient des clins d’œil, ou qui évoquent une image qui nous semble liée à la couleur du morceau, ou qui soient juste des prétextes, parfois.
Baptiste Trotignon et son piano, le 10 novembre 2014 en banlieue parisienne
 (Annie Yanbékian)
- Vous avez fait appel à Jeff Ballard, membre du célèbre trio de Brad Mehldau...
- Je le connaissais depuis quelques années, même si on ne faisait que se croiser. J’avais joué une ou deux fois avec lui. Il s’est plus ou moins installé en France, donc je lui ai un peu sauté dessus ! C’est un musicien extraordinaire, un batteur et un percussionniste incroyable. Quand je me suis dit que j’aimerais bien refaire un trio, j’ai spontanément pensé à Jeff. Quand je lui en ai parlé, il a m’a tout de suite dit : "Let’s go !"

- Avez-vous un morceau préféré dans cet album ?
- Peut-être "Spleen". Je suis assez content de la composition. Il me semble que c’est le plus abouti.

- Vous avez fêté vos 40 ans en juin. Avez-vous fait une sorte de bilan, de point sur votre carrière ?
- Non, pas de bilan musical. Mais par contre, un truc assez marrant. Je me suis dit : "Tiens, j’ai 40 ans, il est temps de ne plus faire ce qu’on ne veut pas faire !" Non pas que je sois angoissé par le temps qui passe où je ne sais quoi. C’est peut-être de la philosophie de comptoir, mais beaucoup de gens se plaignent de ne pas avoir le choix de faire ce qu'ils veulent, parce que la vie est dure, etc… Mais je pense qu’au fond de soi, on a plus le choix que ce qu’on dit, il faut simplement aller chercher un peu de courage. Il n’y a rien qui tombe du ciel. J’ai la chance d’exercer mon métier d’artiste avec uniquement les projets qui me tiennent à cœur - à 98% on va dire - mais ça ne tombe pas du ciel, c’est beaucoup d’efforts, de vigilance, de discipline, beaucoup de choix, et parfois un peu de courage, peut-être. Ça peut paraître prétentieux mais je le crois vraiment.

(Propos recueills le 10 novembre 2014 par A.Y.)

Baptiste Trotignon "Hit" en concert en France
Samedi 15 novembre 2014 à Vannes, Théâtre Anne de Bretagne
Lundi 17 novembre 2014 à Paris, Café de la Danse
Jeudi 20 novembre 2014 dans le cadre de Tourcoing Jazz 
Vendredi 21 novembre 2014 à Fontainebleau, Théâtre municipal
Mardi 25 novembre 2014 à Montélimar, auditorium Michel Petrucciani
> L'agenda concert de Baptiste Trotignon ici
Baptiste Trotignon : piano
Jeff Ballard : batterie
Thomas Bramerie : contrebasse

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