Comme l'annonce la présence du pianiste Abdullah Ibrahim ce vendredi en ouverture à Saint-Ouen (à guichets fermés), l'édition 2018 de Banlieues Bleues permettra d'entendre différents artistes sud-africains parmi lesquels le collectif de Soweto BCUC, afin de célébrer en musique le centenaire de Nelson Mandela.
La programmation du 35e festival invite à de multiples voyages, de l'Éthiopie aux Antilles, de l'Algérie au Brésil, de la France aux États-Unis, du Mali à Trinidad... "Il y a environ trente-huit groupes, la moitié d'entre eux présentent soit des créations, soit viennent pour la première fois en France", précise le directeur du festival Xavier Lemettre qui nous présente sept coups de cœur par ordre chronologique du déroulement du festival (une playlist du cru 2018 est en écoute en bas de l'article) :
1
Les Amazones d'Afrique et Tshegue (17 mars à Aubervilliers)
"Les
Amazones d'Afrique, c'est un super groupe féminin africain. C'est même un collectif un peu panafricain auquel plusieurs chanteuses ont participé. Pour le concert de Banlieues Bleues, il y a trois grandes voix, trois chanteuses maliennes formidables. Il y a Rokia Koné qui est un peu la découverte de ce projet, Mamani Keita et Awa Sangho, et il y a un beau groupe qui joue un genre d'afrogroove. L'intérêt, c'est ce pourquoi elles se sont réunies : défendre la cause des femmes. Elles s'adressent d'abord aux femmes africaines, mais pas seulement. Elles ont sorti le disque il y a un an mais l'aventure continue, Barack Obama les a mises dans sa playlist... C'est un très beau projet avec la musique comme force de persuasion, de remise en question de la société. Et elles sont écoutées. De notre côté, pour le festival, on étudie leurs textes, c'est très intéressant.
En première partie, il y aura
Tshegue, un groupe parisien qui joue une espèce d'afropunk qui a aussi un côté revendicatif, féminin et féministe, avec cette force d'émancipation que porte parfois la musique."
2
Jacob Desvarieux "Nanm Kann" (création, 23 mars à Gonesse)
"Jacob Desvarieux est le guitariste et le cofondateur de Kassav, le groupe français qui a eu le plus de succès à l'étranger, faisant mieux que Daft Punk et Johnny Hallyday ! Kassav, c'est le zouk de la musique antillaise. Pour Banlieues Bleues, je ne sais pas exactement ce qu'il va faire. Il va présenter un projet sous son nom où il va reprendre certaines chansons qu'il a écrites pour Kassav, avec d'autres titres, ce sera davantage du blues créole. C'est un très grand musicien qui nous fait l'honneur de la création de ce projet qui vivra sans doute plus tard dans d'autres festivals. Jacob Desvarieux s'est entouré d'un très beau groupe qui inclut Sonny Troupé, un formidable batteur. De plus, dans les chansons qu'il écrit pour cette création, il parle de l'esclavage. Le blues venait des champs de coton. Aux Antilles, c'était les champs de canne à sucre, d'où le titre de son projet, Nanm Kann."
3
Anthony Joseph "People of the Sun" (création, 30 mars à Tremblay-en-France)
"On reste dans l'arc caraïbe avec
Anthony Joseph, Trinidadien installé en Angleterre, un artiste qu'on a déjà vu à plusieurs reprises à Banlieues Bleues. Cette fois, il vient présenter son futur disque "People of the Sun", qui est un portrait du carnaval de Port-of-Spain, sur son île natale de Trinidad. Le carnaval est mis en avant ici dans sa dimension revendicative. Anthony Joseph mélange le jazz, le funk, le spoken word ["mot parlé", manière d'oraliser un texte dans un contexte associant musique, danse, théâtre...], les musiques de Trinidad, il est également poète. Dans son disque, il a invité Brother Resistance, le fondateur du rapso - le mélange du rap et du calypso - et qui viendra spécialement pour Banlieues Bleues.
En plus, en première partie, on a le groupe
Delgres, qui était aux Transmusicales et qui fait du blues créole. Cette fois, la base c'est la Guadeloupe avec un peu l'esprit de la Nouvelle-Orléans. Delgres sort également un nouveau disque qui arrive bientôt."
4
Theo Parrish et Sylvain Daniel, soirée "A Night in Detroit" (3 avril à Montreuil)
"Toujours dans mes coups de cœur personnels, j'attends évidemment la soirée "A Night in Detroit". D'abord, il y aura une grande personnalité, Theo Parrish. Ce n'est pas du jazz mais c'est le pionnier de la deep house de Detroit. En même temps, c'est un grand amoureux des musiques noires et notamment du jazz. Il va faire un DJ-set d'environ trois heures. Ses DJ-sets sont passionnants, il y mélange tellement de choses, ce sera un événement.
En première partie, il y a le très beau projet
"Palimpseste" de Sylvain Daniel, le bassiste de l'Orchestre national du jazz (ONJ). Il n'a jamais mis les pieds à Detroit mais il a consacré un projet à cette ville. La musique qu'il aime vient de là-bas, qu'il s'agisse de jazz, de soul, de funk, de rap ou de techno. Il a conçu un portrait musical de cette ville à partir des photos d'un grand livre réalisé par deux photographes français [ndlr : "
Detroit, vestiges du rêve américain", d'Yves Marchand et Romain Meffre]. Detroit, c'est le symbole de la grande ville américaine qui, tout à coup, tombe en ruine à la suite de la crise."
5
Sofiane Saidi & Mazalda (5 avril à Épinay-sur-Seine)
"Mazalda, c'est un groupe super intéressant qui vit à Lyon, qui a une culture jazz entre autres et qui trafique un peu le son. Il y a une chose qu'ils aiment : le raï. Cette musique venue d'Algérie a été hyper exposée en France à partir de la fin des années 80. Elle a fait le tour du monde. Mais la société a beaucoup changé et depuis un moment, on n'en entend plus parler, elle s'est un peu affadie et a été oubliée.
Sofiane Saidi, qui vit à Paris depuis longtemps, est un vrai chanteur de raï à l'ancienne, tout en étant passionné par les musiques nouvelles, y compris la techno. Il a rencontré
Mazalda. Ensemble, ils sortent un disque superbe, "El Ndjoum". Le 5 avril sera la soirée de lancement de l'album. Ce qu'ils font est très puissant, j'espère que ça va marquer le grand retour du raï. C'est le raï d'aujourd'hui. On surnomme Sofiane Saidi "le prince du raï 2.0". C'est vrai qu'ensemble, avec Mazalda, ils ont trouvé un nouveau son. Et il y a toujours cette musique chaleureuse et dansante qu'on n'a plus vue sur scène depuis longtemps. Pour moi, c'est l'un des grands événements et coups de cœur de la prochaine édition."
6
"Home" : Papanosh avec Roy Nathanson et Napoleon Maddox (création, 11 avril à Clichy-sous-Bois)
"
Papanosh est un groupe de jazz français,
Roy Nathanson un saxophoniste, poète et monteur de projets très important de la scène new-yorkaise depuis plus de vingt ans,
Napoleon Maddox est un rappeur originaire de Cincinnati. "Home", ce n'est pas forcément facile à traduire. En français, on va dire que c'est la maison, le foyer, le chez-soi... Ces artistes ont travaillé ensemble sur ce concept et ils en ont fait un album. Pour Banlieues Bleues, ils ont pris la musique du disque comme matrice, mais ils ont conçu aussi un autre projet avec des habitants de Clichy-sous-Bois, des jeunes rappeurs, des collégiens qui ont écrit des textes. Ils ont réfléchi aux concepts "qu'est-ce que c'est, le chez-soi ? Quelle est la maison de nos rêves quand on est gamin ?" Les artistes travaillent aussi avec un foyer de travailleurs immigrés qui, eux, ont une autre problématique avec le chez-soi. Ils vont mettre tout ça sur scène. Ce sera un spectacle participatif, à la fois un concert, avec des textes, du rap. C'est le genre de projet très ambitieux qui demande des mois de travail, que l'on monte à Banlieues Bleues. C'est une vraie aventure partagée par une quarantaine de personnes."
7
"Éthiopiques Encore !" : Mahmoud Ahmed, Girma Bèyènè, Eténèsh Wassié et Akalé Wubé (création, 13 avril à Bobigny)
"Le dernier coup de cœur, c'est la clôture et ça va être un événement. C'est le vingtième anniversaire du label Éthiopiques, fondé par Francis Falceto. C'est un Français qui s'est lancé dans des rééditions de toute cette musique éthiopienne qui était passée un peu inaperçue. L'Éthiopie n'a jamais été colonisée et sa musique était restée cantonnée à l'intérieur de ses frontières. Or, elle renferme des trésors de la musique africaine. Quand le label a commencé à les rééditer, ça a influencé beaucoup de monde. La musique éthiopienne, tellement étonnante et différente, est devenue la coqueluche des milieux musicaux et artistiques. Même Jim Jarmusch en a mis dans ses films. Le label compte aujourd'hui trente volumes, essentiellement des anciens enregistrements.
Ça a inspiré plein de groupes en Europe, aux États-Unis, qui ont essayé de la jouer, de la faire revivre. Du coup, ça a ramené sur le devant de la scène des grands musiciens éthiopiens qui avaient été un peu oubliés. Au concert du 13 avril à la MC 93, le groupe de base sera Akalé Wubé, une formation française qui fait revivre la musique éthiopienne de façon moderne, très bien digérée et régénénée. À ses côtés, il y aura trois grandes voix. D'abord, la chanteuse
Eténesh Wassié. Ensuite, Girma Bèyènè, l'arrangeur et le pianiste de toute la musique éthiopienne des années 70. Il s'est exilé aux États-Unis où, pour vivre, il a fait des petits boulots pendant trente ans et a arrêté la musique. Akalé Wubé lui a proposé de faire un disque. Il a environ 80 ans, il chante encore mieux qu'avant et il renaît à la musique, c'est magnifique. Enfin, la dernière voix sera
Mahmoud Ahmed qui est un peu le Sinatra, le James Brown de la musique éthiopienne."
La playlist 2018 :
On trouve aussi un CD spécial Banlieues Bleues 2018 dans le magazine "Jazz News" de février (encore en kiosque).
Festival Banlieues Bleues, du 16 mars au 13 avril 2018
À la Dynamo (Pantin), en Seine-Saint-Denis (93), Paris (75) et dans le Val-d'Oise (95)
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Tout le calendrier (sur trois pages)
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Le site de Banlieues Bleues
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