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Anne Paceo : "Circles", les voyages sonores d'une batteuse

Derrière sa batterie, allure d'étudiante et visage juvénile, elle a creusé son sillon sur la scène jazz. Cet hiver, Anne Paceo a sorti son quatrième album, "Circles", mélodieux et onirique, aux forts accents pop et électro, aux commandes d'un quartet éponyme haut de gamme formé avec la chanteuse Leïla Martial, le saxophoniste Émile Parisien et le claviériste Tony Paeleman. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 17min
Anne Paceo
 (Sylvain Gripoix)

Née à Niort le 17 septembre 1984, Anne Paceo a passé sa petite enfance en Côte d'Ivoire avant de rentrer en France où elle a débuté la batterie à dix ans. Ses années de formation l'amènent à côtoyer Charlie Haden, Billy Hart, Sunny Murray, Dianne Reeves ou Kenny Garrett.

Sa carrière décolle pendant ses années au CNSM. En 2005, Anne Paceo fonde le trio Triphase avec lequel elle sort deux albums en 2008, puis 2010. La même année, elle lance le quintet Yôkaï et livre deux ans plus tard un disque éponyme, carnet de voyage dans lequel elle s'essaye au chant. Entre-temps, elle accompagne de nombreux artistes de jazz, de Christian Escoudé à Alain Jean-Marie en passant par Rhoda Scott ou Raphaël Imbert.

Cercle musical élargi

Après une longue période au service des chanteuses Mélissa Laveaux et Jeanne Added, la batteure - elle préfère ce terme à "batteuse" - a fait son retour cet hiver en tant que leader d'un nouveau groupe, le quartet Circles. Il se compose d'artistes au lyrisme virtuose, Leïla Martial au chant et Émile Parisien au saxophone soprano, et du brillant touche-à-tout Tony Paeleman aux claviers, pour la touche électro et pop.

Le 29 janvier, l'album est sorti sur le label Laborie Jazz auquel Anne Paceo est fidèle depuis ses débuts, et qui a failli disparaître en 2015 (le label a survécu, pas la fondation). Invitation aux voyages intérieurs, truffé de paysages sonores, "Circles" est un disque poétique, mélodieux, imprégné d'émotions - il faut préciser qu'il a été enregistré dans la semaine des attaques terroristes de janvier 2015. Le quartet "Circles" se produit en concert ce vendredi soir au festival de jazz de Maisons-Laffitte, puis le 14 juin à La Défense Jazz Festival avant de participer à des festivals d'été.


- Culturebox : "Circles" est sorti trois ans et demi après "Yôkaï". Dans le jazz, actuellement, c’est long. Comment avez-vous vécu ces dernières années ?
- Anne Paceo : Après "Yôkaï", durant un long moment, je ne pouvais plus écrire de musique. Un an et demi après la sortie de "Yôkaï", j'ai connu une période assez tumultueuse avec de gros changements sur le plan personnel. Ça a bloqué mon inspiration, la source était à sec. Alors je me suis réfugiée dans le travail. Je me suis jetée à corps perdu dans les concerts en tant que sidewoman. C’est là que j’ai commencé à faire pas mal de pop, d’abord avec Mélissa Laveaux puis, plus tard, Jeanne Added. Durant cette période, j'ai découvert plein de musiques... et un tas de nouvelles inspirations. Avec Mélissa, on voyageait en camion et il y avait toujours quelqu’un qui ramenait de la musique : "Tiens, écoutez ça les gars !" C’était dingue, hyper excitant ! Je découvrais un nouveau monde, de nouveaux sons, de nouvelles manières de concevoir la musique. À ce moment, l’inspiration est réapparue. J’ai progressivement recommencé à composer. Dès lors, j’ai eu envie d’aborder ma musique différemment.

- Pour ce disque, l'inspiration est venue hors du jazz…
- Oui, complètement. À cette période, je n’écoutais plus de jazz, à l’exception d’artistes comme Dexter Gordon. La découverte de nombreux groupes qui travaillent dans l'électro a constitué une véritable révélation. Depuis quelque temps, un certain nombre d’artistes de jazz commencent à s’inspirer de la pop. En jazz, la manière d’approcher le son est très différente. Vous pouvez enregistrer un disque de jazz en trois jours. Vous enregistrez les morceaux dans les conditions du live, vous choisissez les meilleures prises, vous faites des petites retouches et c’est parti. Dans la pop, la démarche est différente. Faire un disque peut prendre plusieurs mois. Certains musiciens pop arrivent en studio avec des bouts de chansons et tous les arrangements se font en studio.

- Comment les choses se sont-elles passées pour "Circles" ?
- L'idée était de réaliser un objet un peu hybride. Le processus l'a été tout autant. Avec le quartet, on a fait une résidence d’une semaine pour travailler à la Fondation Laborie qui n’existe plus. On a enregistré le disque quatre ou cinq mois plus tard. Sur les disques précédents, je venais aux sessions avec une mélodie, des accords, une idée générale du morceau. Cette fois, je suis arrivée avec des démos plus avancées, et je savais vraiment où je voulais aller en termes de patte sonore sonore et de textures. J'ai amené plus de musique, on a choisi ainsi les morceaux les plus pertinents pour le disque. On disposait de six ou sept jours de studio. On avait déjà commencé à travailler les textures en amont. Puis on a fait énormément de post-production, on a beaucoup travaillé avec l’ingénieur du son pour se forger une patte qui ne soit pas jazz, même s’il y a de l’improvisation et des instruments propres au jazz comme le saxophone.


- L'album a été enregistré à la façon d'un disque pop...
- En entrant en studio, je me rappelle avoir dit au groupe : "On va y passer six ou sept jours." Ils avaient répondu : "Tu es folle, c’est bien trop ! On aura fini dans deux jours !" J'ai dit : "Attendez voir…" Résultat, je me souviens que j’étais au studio de 9 heures du matin à 3 heures du matin... Le dernier jour d’enregistrement, on s’amenait des plateaux-repas pour ne pas perdre de temps !

- Qu’est-ce qui a pris autant de temps ?
- On a cherché des sons en studio. On enregistrait, on réécoutait, je prenais du recul, et le soir-même ou le lendemain, je disais par exemple : "Là, il faudrait rajouter tel type de clavier…" Je devais expliquer avec précision ce que je cherchais. On a travaillé au niveau de la patte sonore, on a rajouté des voix… Et plus tard, on a pris énormément de temps pour mixer. Dans la pop, le mixage est primordial. Ça a été d'autant plus long qu’entre-temps, le label avait coulé, avant de finalement se sortir d’affaire. Avec l’ingénieur du son, on s’est dit : "On ne lâche pas, on avance." On a travaillé une semaine, puis j’ai réécouté, j’ai pointé les choses dont je n’étais pas tout à fait satisfaite, alors l'ingé-son m’a fait des propositions. Le travail de mixage s’est échelonné sur sept mois. On a travaillé chaque son, chaque morceau, traité les instruments différemment, mis des effets. Je sais qu’aujourd’hui, je ne pourrais plus agir différemment. En découvrant le résultat final, j’étais très contente. Ce qui a joué le plus dans "Circles", c’est une conscience du son, du travail de groupe, du travail de la texture, afin d'habiller au mieux les morceaux.

- Pourquoi le titre "Circles" pour l'album (c'est aussi le titre d'un des morceaux) ?
- C’est une réflexion sur les cycles. D'abord les notions de base : la naissance, la mort, les cycles du fonctionnement de notre Terre, les marées, la Lune qui fait place au Soleil... Il y a quelque chose de l'ordre de l'éternité, qui se reproduit. Ce titre faisait sens également par rapport à la période que j’avais vécue. Un nouveau cycle dans ma vie, après la sortie du marasme... À un moment, vous renaissez, vous êtes une nouvelle personne, même si votre passé reste présent. C’est aussi pourquoi il y a un morceau qui s’appelle "Birth and rebirth".

- J’ai lu que ce morceau avait été enregistré le 7 janvier, le jour de l'attentat contre Charlie-Hebdo !
- Oui. Ça a dû arriver au deuxième jour des prises au studio. On était choqués, sonnés. Du coup, je trouve que ce morceau a une tonalité particulière. Je ne trouve pas les mots pour exprimer la mosaïque des émotions, aussi la musique me semble le vecteur le plus direct. Et pour moi, ce qui fait un bon concert, un bon disque, c’est les tripes que vous mettez dedans. Si quelque chose se passe, les gens peuvent le ressentir. Durant cette semaine particulière, nous étions perdus au milieu de la campagne, à huis clos, sans télé. Entre les séances, on allait sur internet pour suivre l’évolution de la situation. On avait peur pour nos proches, pour tout le monde… Ça a créé quelque chose : "On est en vie, on est ensemble, on fait de la musique." Jouer de la musique était un exutoire.


- Comment s'est formé le carré magique de "Circles" ?
- J'avais d'abord envie d'une couleur électronique, d'un claviériste qui touche à d'autres musiques. Pour cela, Tony Paeleman était parfait. C'est en plus un improvisateur exceptionnel. Pour les solistes, j'avais envie de gens qui apportent une touche plus "sale" dans ma musique, dans le sens "moins lisse". Non pas que les musiciens de mes autres disques soient lisses ! Peut-être qu'à l'époque, je les avais dirigés dans ce sens-là car ma musique avait alors un côté très doux, optimiste. Je recherchais des gens à la fois capables de chanter de belles mélodies et de tordre un peu les choses... Émile et Leïla étaient parfaits : ils sont tous les deux des mélodistes incroyables, et dans le même temps, ils peuvent mettre un peu de gravier dans la machine ! "Circles" a un aspect un peu plus torturé, sombre par endroits, même s'il reste un disque optimiste.

- Depuis votre nouvel élan d'inspiration, avez-vous senti des changements dans votre façon de composer ?
- J’en ai l’impression. Et j’ai la même impression à propos de mon jeu à la batterie. Je vais davantage à l’essentiel. J’ai toujours aimé les mélodies assez chantantes, simples, les choses très directes, à l'image de ma façon d’aborder les relations aux gens. J’aime la franchise. À la batterie aussi, j’ai toujours cherché à jouer des choses simples, au bon endroit. Il y a des gens qui parlent beaucoup. Et il y en a d’autres, comme Alain Jean-Marie, qui parlent peu, mais quand ils disent quelque chose, c’est toujours très juste, profond, plein de sens. C’est ce que je cherche à faire de plus en plus. Par ailleurs, aujourd'hui, j'essaye d’écrire un maximum de musique en vue d'un futur projet, pour avoir beaucoup de matière, et de ne pas juger.

Percussions corporelles pour Anne Paceo
 (Sylvain Gripoix)

- L'écriture musicale vient-elle plus facilement aujourd'hui ?
- Ça dépend des jours. Parfois, je me mets devant un piano et il ne se passe rien. Et parfois, ça vient tout seul. Récemment, je rentrais de concert avec "Circles", je me suis mise au piano, j’avais plein d’idées, j’entendais plein de trucs ! J’ai l’impression que ça surgit dans des moments où mon esprit est libre. Je suis quelqu’un d’assez stressé, anxieux. L'inspiration arrive quand cette anxiété se calme. Quand je compose, j'entends des mélodies et j’utilise le piano pour m’aider avec l'harmonie, même si je ne suis pas une experte de la technique d'écriture. Tout ce que j'écris est instinctif. J'ai besoin de beaucoup de temps pour écrire. Quand je commence un morceau, je le laisse de côté, j'y reviens au bout d'une semaine, d'un mois… Je ne suis pas du tout pianiste, je suis même très mauvaise, c’est un désastre ! Mais j'ai besoin du piano car je n'utilise pas trop la batterie pour la composition.

Quand j’amène un morceau au groupe, je le travaille avec les musiciens, et finalement, ce que je vais jouer à la batterie est la dernière chose à laquelle je penserai. On répète ensemble, et au bout d’un moment, quand le groupe a pris la direction que je souhaitais, je "lâche" le morceau, je le donne à la collectivité, je me déleste de mon côté compositeur et je me mets au service de la musique.

Anne Paceo, une femme à la batterie

- Pourquoi avoir choisi la batterie ?
- Je ne sais pas. Un jour, j'ai dit à mes parents que je voulais jouer de la batterie. J'avais dû voir des batteurs à la télé... Cet instrument m'attirait beaucoup. C'est peut-être dû au fait que toute petite, en Côte d'Ivoire, j'avais été bercée par les percussions et la musique. Je suis revenue en France à l'âge de trois ans. Quand j'ai eu une battterie, j'ai adoré ça, je jouais par dessus des morceaux, j'essayais de reproduire le jeu que j'entendais dans le disque... Ce n'est pas un batteur en particulier qui m'a donné envie d'en jouer. De la même façon, je suis tombée dans le jazz par hasard.

J'ai commencé la batterie à dix ans. J'ai fait le conservatoire de Niort. Ensuite j'ai eu un professeur particulier. Au début, il me faisait faire de la caisse claire et du xylophone. Un jour, du haut de mes onze ans, je lui ai dit : "Écoutez Monsieur, si vous ne me faites pas faire de la batterie, j'arrête la musique." Il m'a mis à la batterie, et à partir de là, ça a été génial.

- Les batteuses, ça ne court pas les rues. Était-il compliqué de trouver votre place dans un milieu masculin, pendant vos études, et par la suite ?
- Enfant et adolescente, je n'ai jamais ressenti la moindre difficulté liée au fait que j'étais une fille. Jamais. Même au lycée. J'étais dans un lycée musique où je dirigeais l'orchestre de jazz, je n'ai jamais eu de problème. C'est en arrivant au conservatoire que j'ai ressenti ça pour la première fois. J'ai ressenti que si on était une femme, on n'était pas traitée d'égal à égal. Ça ne venait pas forcément des professeurs. Ça venait des étudiants. Plus je vieillis, plus je me rends compte à quel point ce machisme est ancré dans la société, dans notre vie de tous les jours. Dans ce que je fais, on me remarque plus vite, on se souvient mieux de moi, je pense que c'est un atout. Mais après, on ne vous laisse pas le droit à l'erreur.

Je pense que quand on est une femme, pour réussir dans la musique, et particulièrement en tant qu'instrumentiste, il ne faut rien lâcher, il faut se blinder, être très déterminée. Plus jeune, j'avais tendance à tout le temps m'excuser, à me dévaloriser. Puis je me suis rendu compte qu'on avait appris aux femmes à se comporter comme ça. Et je n'en ai plus envie ! Alors que j'étais au CNSM, je commençais à avoir un peu de presse, on parlait de moi. Certains disaient : "C'est parce que tu es une nana." En gros, ça voulait dire : "Tu ne mérites pas ce que tu as." Ils ne se permettraient pas de dire ça à un homme ! Alors, peut-être que oui, j'ai peut-être été médiatisée parce que j'étais un petit ovni, une nana de 19 ans qui faisait plein de choses. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, j'ai tendance à beaucoup mieux m'affirmer. Et si ça gêne, je m'en fiche.

> L'agenda-concert d'Anne Paceo

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