Airelle Besson, une création audacieuse pour dire au revoir à Coutances
Ces trois dernières années, la trompettiste, compositrice et arrangeuse Airelle Besson a multiplié les rencontres et expériences musicales occasionnées par une résidence intense à Coutances, ville bastion de Jazz sous les pommiers, festival normand aussi convivial qu’incontournable. La musicienne a enchaîné les projets de composition, dirigé des orchestres, animé des projets dans des écoles… En parallèle, Airelle Besson a gagné en notoriété et en visibilité, remportant coup sur coup, en 2015, le prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz puis une Victoire du Jazz, et recevant de plus en plus de sollicitations.
Mercredi après-midi à Coutances, lors d’un point presse, entre sourires et mélancolie, elle a évoqué la création du nouvel objet musical et scénique hors norme qu’elle offre à la ville normande en cadeau d’au revoir : un concert-création avec Clémence Colin, comédienne sourde spécialiste du « chansigne », qui consiste à retranscrire sur scène toute sensation musicale, mais aussi des paroles de chanson par exemple, par la langue des signes. Une performance retransmise sur Culturebox ce jeudi après-midi dès 16H30 depuis le Théâtre municipal de Coutances, qui affiche complet. Mardi, ce partenariat a été expérimenté une première fois avec les élèves d’une école coutançaise. Ce jeudi, la trompettiste et son trio allemand, composé du pianiste Sebastian Sternal et du batteur Jonas Burgwinkel, sont les seuls interlocuteurs de Clémence Colin.
- Comment avez-vous connu la comédienne Clémence Colin ?
- Airelle Besson : Clémence est un exemple parfait des nombreuses rencontres rendues possibles par une résidence au long cours comme celle de Coutances. Je l’ai connue lors de ma première année. Un soir, au théâtre municipal, j’ai assisté presque par hasard au spectacle « L’Empereur c’est moi ». Clémence ne faisait pas partie de la mise en scène, mais elle « signait », c’est-à-dire qu’elle s’y exprimait dans la langue des signes à l’attention des sourds et malentendants présents dans la salle. Quand j’ai vu ce petit bout de femme si rayonnant, lumineux, je me suis dit que j’adorerais réaliser quelque chose avec elle. L’idée a fait son chemin dans ma tête. C’est ainsi que l’on a proposé, pour la troisième année, un projet de création avec mon trio. L’idée, c’était que Clémence « signe » la musique à travers les vibrations qu’elle ressentait. Ce mélange, qui pouvait sembler un peu absurde ou du moins hardi, m’intéressait énormément. Parallèlement, je l’ai associée à une action culturelle pédagogique.
Clémence se produit elle-même en concert. Je suis allée l’écouter sur scène. Elle joue en duo avec un guitariste. Celui-ci chante, tandis qu’elle traduit les paroles dans la langue des signes. Bien que ne comprenant pas ce langage, j’ai trouvé ce spectacle incroyable, très beau : quand elle signe, vous avez l’impression qu’elle danse.
- Comment s’est façonné ce projet ?
- Suite au premier contact au théâtre de Coutances, on s’est rencontrées. Je lui ai simplement proposé de venir « signer », donc exprimer par ses mots, en langue des signes, ce qu’elle ressent par les vibrations d’un concert. Je ne crois pas que cela ait été expérilenté auparavant. Ce projet est mené avec le trio que j’ai formé avec les musiciens allemands Sebastian Sternal et Jonas Burgwinkel. Ce jeudi, on joue d’ailleurs pour la première fois en France. Quand je leur ai présenté le projet, j’avais peur qu’ils me croient un peu folle ! Mais ils ont été très ouverts d’esprit ! Sebastian était très intéressé par cette expérience. Jonas avait plus de mal à concevoir à quoi ça pouvait ressembler. Il m’a demandé : « De toute façon, nous, nous continuons de jouer, n’est-ce pas ? Cela ne change rien ? » Quand ils ont rencontré Clémence en mars, le courant est bien passé. Non seulement elle sait lire sur les lèvres, mais elle oralise.
- Comment se sont passées les répétitions ?
- On a fait deux jours de répétitions à Paris. Le mode de travail est totalement différent, parce que Clémence a besoin de mots pour pouvoir « signer ». Donc, le trio jouait le morceau, et elle nous demandait : « Alors, à quoi ça vous fait penser ? » Normalement, avec les musiciens, quand on joue, on ne se dit jamais ce genre de choses ! Or, cette fois, il fallait sortir des mots… C’était drôle parce que nous avions trois versions différentes ! On se disait : « Ah ouais, toi, tu penses à ça sur ce morceau ? Moi, pas du tout ! » Chacun de nous trois a apporté des compositions pour ce projet. Et à chaque fois, le compositeur était étonné de ce que ses morceaux inspiraient aux autres… Ce jeudi, on va jouer un tout nouveau morceau, « The Sound of your voice ».
- Clémence Colin fréquente-elle régulièrement les salles de concerts en tant que simple spectatrice ?
- Oh oui ! Elle est ultra active ! Quand elle va aux concerts, elle apporte une bouée : cela permet une meilleure transmission des vibrations. Elle adore les concerts. Et comme toutes les personnes privées d’un sens, elle en développe d’autres. Donc le visuel est extrêmement important chez elle. D’ailleurs, elle s’habille toujours avec des couleurs très vives. Elle a assisté à beaucoup de concerts que j’ai donnés avec mon quartet, afin de s’imprégner de la musique. Elle m’a dit qu’elle reconnaissait les morceaux… C’est incroyable. Si jamais il y a une déficience au niveau de la vibration, le seul fait de voir le batteur, d'observer notre jeu, est riche d’informations pour elle. Parfois, elle vient à un concert et à la fin, elle vient dire à propos d’un morceau : « La version que vous avez jouée ce soir était différente ! »
L'après-Coutances d'Airelle Besson
- Comment vivez-vous ces journées qui constituent la dernière ligne droite de votre résidence ?
- [Emue et cherchant ses mots] J’essaye de ne pas trop y penser… et de profiter de ces moments. Cela fait un moment que j’y pense. J’ai commencé à évoquer cette fin de résidence dès janvier, février... Cela passe très vite ! Et pourtant, trois ans, c’est une durée énorme !
- Que retiendrez-vous de cette expérience ?
- D’abord, il s’agit de mes trois années les plus prolifiques en matière de composition. C’est peut-être lié au dispositif particulier de cette résidence, avec le ministère de la Culture, la Sacem… Il y a eu beaucoup de créations, davantage que ce qui était fixé dans le cahier des charges. J’en retiendrai beaucoup d’échanges et un accompagnement incroyable de la part de toute l’équipe dirigée par Denis Lebas, un ultra passionné, un travailleur incroyable qui met tout en place pour que les projets soient réalisables. Et cela déteint sur tout le monde… Coutances, c’est à la fois une seconde maison et une famille… [émue] Bon, ça fait beaucoup ! J’ai aussi de la famille à Paris ! Ensuite, il y a eu toutes les rencontres, les opportunités uniques de jouer avec des musiciens comme Youn Sun Nah, Baptiste Trotignon ou les musiciens de l’Orchestre régional de Normandie. J’ai pu aussi mener à bien un projet avec Rhoda Scott qui me tenait à cœur.
- Qu’allez-vous faire quand votre résidence sera terminée ?
- Je vais pleurer ! Pour la suite, beaucoup de choses se profilent déjà. On m’a demandé d’être la marraine d’une nouvelle classe d’orchestre à l’école, qui s’est ouverte à Saint-Dié-des-Vosges. J’ai aussi une commande de Radio France pour composer une musique pour l’Euroradio Jazz Orchestra. Chaque pays invite un compositeur et un chef d’orchestre à cet effet. Cette année, Radio France m’a choisie. Je reviendrai à Coutances pour présenter ce projet le 12 novembre.
- Quels conseils donneriez-vous à Anne Paceo, qui vous succède en tant qu’artiste de résidence à Coutances ?
- Justement, je n’ai pas de conseil ! Je reste neutre. Qu’elle vive son expérience…
Jeudi 25 mai 2017, 16H30, Théâtre municipal de Coutances (complet)
Concert retransmis sur Culturebox au bout de ce lien (et disponible en replay)
Airelle Besson (trompette), Sebastian Sternal (piano) et Jonas Burgwinkel (batterie), Clémence Colin (chansigne)
> Toute l’actu d’Airelle Besson sur son site
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