Cet article date de plus de sept ans.

Académie du Jazz: Fred Nardin, Michele Hendricks, Laurent Courthaliac distingués

Le pianiste Fred Nardin, 29 ans, a remporté dimanche soir à Paris le prestigieux Prix Django Reinhardt de l'Académie du Jazz. Parmi les autres lauréats de la soirée, la chanteuse Michele Hendricks a reçu le Prix du Jazz vocal, le pianiste Laurent Courthaliac celui du Disque français de l'année, alors que le trompettiste israélien Avishai Cohen a été distingué par le Grand Prix de l'Académie.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
De gauche à droite, Laurent Courthaliac, Fred Nardin, Michele Hendricks et, au 2e plan, de profil, François Lacharme, président de l'Académie du Jazz, sur la scène du Pan Piper à la fin de la cérémonie de remise des trophées de l'Académie, le 22 janvier 2017 à Paris
 (Annie Yanbékian / Culturebox)

Fred Nardin, heureux Prix Django Reinhardt

Fred Nardin, originaire de Saône-et-Loire, en Bourgogne, est récompensé pour une activité débordante qui l'a rendu incontournable, ces derniers temps, sur la scène jazz française. Le jeune homme, qui multiplie les projets, est l'un des piliers du Amazing Keystone Jazz Big Band (AKBB) qui revisite des grands classiques avec un franc succès populaire, touchant beaucoup le jeune public, le dernier disque en date étant consacré au "Carnaval des animaux" de Saint-Saëns avec Edouard Baer comme récitant. Le groupe va ensuite se pencher sur le répertoire de... Django Reinhardt. L'Académie fait donc un joli clin d'œil au jeune artiste. Le pianiste s'est également illustré par l'album "Watt's" (Gaya Music / Socadisc) réalisé en co-leader avec le saxophoniste Jon Boutellier, l'un des chefs de l'AKBB.
Au palmarès du prestigieux Prix Django Reinhardt, Fred Nardin succède à un autre pianiste de la même génération, le bouillonnant Paul Lay, qui s'apprête de son côté à sortir deux albums.

4 questions à Fred Nardin

- Votre réaction à ce trophée ?
- Très heureux. On est toujours un peu surpris de recevoir un tel prix, mais en même temps très honoré de faire partie de cette liste de lauréats qui, depuis soixante ans, constitue un exemple pour le jazz français. Il y a énormément de lauréats que j'ai écoutés, réécoutés... comme René Urtreger qui était présent à la cérémonie, Michel Petrucciani, Eddy Louiss, Martial Solal, Pierre de Bethmann, Hervé Sellin qui était mon professeur...
- Ce prix récompense votre activité dense sur la scène jazz et vos multiples casquettes : pianiste, organiste, compositeur, arrangeur, leader, co-leader, sideman... Comment vous organisez-vous ?
- Je pense en effet que cette récompense englobe la totalité de ce que j'ai pu faire ces derniers temps. Je suis très content que des gens me fassent confiance et m'appellent pour jouer. Le jazz, c'est une grosse part de ma vie et j'essaye de faire au mieux. Parmi les projets sortis en 2016, il y a évidemment l'Amazing Keystone qui a été très bien reçu, le disque "Watt's" aussi. Mais j'ai enregistré sept ou huit albums avec des gens d'esthétiques différentes. Il y a un album en quartet avec le saxophoniste Gaël Horellou, dans lequel je joue de l'orgue Hammond. J'ai enregistré un nouveau disque pour Leon Parker (percussionniste américain, ndlr), un autre avec le guitariste Alex Freiman pour le label Gaya, ils vont sortir bientôt. Il y a aussi le disque du saxophoniste Jean-Philippe Scali qui est sorti récemment, avec le tromboniste Glenn Ferris [ndlr : "Low Down"].
- Prochains projets en vue ?
- Le troisième disque du Keystone Big Band, autour de Django Reinhardt, va être enregistré début février. Et en avril, je vais enregistrer mon disque en trio avec Leon Parker et Or Bareket (contrebassiste américain, ndlr).
- Chez vous, où allez-vous poser votre trophée ?
- Je pense que je vais le poser sur mon piano. Ça sera sa meilleure place.

Fred Nardin sur la scène du Pan Piper (22 janvier 2017)
 (Philippe Marchin / Académie du Jazz)

 

Michele Hendricks et Ella, une reconnaissance à retardement

À la fin des années 90, la chanteuse américaine Michele Hendricks, fille du célèbre vocaliste Jon Hendricks, a enregistré un album en hommage à Ella Fitzgerald, disparue en 1996. Cette relecture du répertoire de la géante du jazz vocal fut réalisée avec le pianiste Tommy Flanagan (1930-2001) qui fut son grand collaborateur. L'hommage de Michele Hendricks, qui mène en France une carrière de chanteuse et de pédagogue depuis de nombreuses années, est sorti en janvier 2016 sous le titre "A Little Bit of Ella" (Cristal / Harmonia Mundi).

5 questions à Michele Hendricks

- Votre réaction à ce trophée ?
- Je suis énormément flattée que l'Académie, qui est à mes yeux une institution très prestigieuse, m'ait remis ce titre ! Je suis bien contente qu'on m'ait choisie. C'était une belle surprise.
- Quelques mots pour présenter le disque "A Little Bit of Ella" ?
- Il a été enregistré peu de temps après la mort d'Ella Fitzgerald. C'était un rêve de faire un disque avec Tommy Flanagan, surtout pour un hommage à Ella ! J'étais vraiment émerveillée. Au début, il ne voulait pas travailler sur un tel hommage. Il disait que tous les chanteurs et chanteuses le contactaient dans ce but, avec toujours les mêmes idées... Je crois aussi que la mort d'Ella l'avait vraiment affecté. Et un jour, je ne sais pas pourquoi, il m'a appelée et m'a dit : "Écoute, finalement j'ai pris une décision. J'aimerais bien faire cet hommage, et j'aimerais bien le faire avec toi." J'étais très contente, et en même temps, j'ai eu tout de suite peur ! "Ouh la la, je vais enregistrer avec Tommy Flanagan !" Il a été très généreux, prêt à essayer plein de choses. Si le disque comprend des standards enregistrés par Ella, ils ne sont pas du tout interprétés et arrangés à sa manière. J'ai fait la plupart des arrangements, Au début, Tommy était un peu surpris, un peu timide aussi, surtout pour les arrangements un peu funky, reggae, très différents de ce qu'il avait l'habitude de jouer. Il disait : "Je ne sais pas quoi faire !" Je lui répondais : "Vas-y, essaye !" Sur "Sweet Georgia Brown", par exemple, il ne devait faire qu'un chorus (ndlr : grille d'improvisation) de solo, or il en a fait finalement trois ou quatre. Il a adoré ça, il était ravi !
- Prochains projets en vue ?
- Cette année, j'aimerais bien tourner avec ce projet. 2017, c'est l'année du centenaire d'Ella Fitzgerald. Le timing est parfait. Le prochain projet en termes de disque se fera avec des compositions originales, écrites par moi ou par les musiciens avec qui je travaille. J'en ai beaucoup en réserve depuis que je suis en France. J'ai écrit les paroles de toutes ces musiques.
- Comment va Jon Hendricks, votre père ?
- Mon père va très bien physiquement. Il a 95 ans et il est en pleine santé ! Mais mentalement, il est dans son monde... Mais c'est normal à son âge. Pendant dix ans, on a travaillé avec une chorale anglaise sur un projet autour du disque "Miles Ahead" que Miles Davis avait réalisé avec Gil Evans. Mon père a écrit tous les textes. En février, la chorale va venir à New York pour présenter ce projet en l'honneur de mon père. J'y participerai.
- Chez vous, où allez-vous poser votre trophée ?
- [Elle rit] Je n'en ai aucune idée ! J'imagine que je le mettrai quelque part dans le salon...

Michele Hendricks reçoit son Prix du Jazz vocal (22 janvier 2017)
 (Philippe Marchin / Académie du Jazz)

 

Laurent Courthaliac, l'hommage à Woody Allen

De son côté, le pianiste Laurent Courthaliac, originaire du Puy-en-Velay, est récompensé par le Prix du Disque français de l'année pour "All my Life", dans lequel il se replonge dans le répertoire jazz dont Woody Allen imprègne ses films. Cette récompense distingue au passage le label participatif Jazz&People lancé par Vincent Bessières, journaliste, président du Paris Jazz Club et commissaire de diverses expositions.

4 questions à Laurent Courthaliac

- Votre réaction à ce trophée ?
- Je suis très heureux. Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai été extrêmement surpris.
- Quelques mots pour présenter "All my Life", votre hommage à Woody Allen ?
- Depuis des années, je joue du jazz, de la musique de Broadway aussi, et je suis très amateur du cinéma classique. Woody Allen, c'est le dernier réalisateur qui met en scène, dans ses films, la musique de Broadway. Depuis quinze ans, à chaque fois que je vais voir un de ses films, j'apprends une nouvelle chanson, ou plusieurs. Tout d'un coup, je me suis rendu compte que 40% de mon répertoire venait de chez Woody. Alors, je me suis dit : "Et si je jouais sur un disque tout ce qu'il m'a apporté, par la musique, par l'image ?" Ça s'est fait d'une façon très naturelle. Après deux disques en trio, j'ai choisi de jouer en octet, de façon orchestrale, afin de mettre une espèce de largeur... Il m'aurait semblé bizarre de jouer Woody Allen en trio.
- Prochains projets en vue ?
- Déjà, jouer beaucoup avec ce groupe. Par ailleurs, dans mon appartement près du canal Saint-Martin, mon accordeur de piano Bastien Herbin a mis un Steinway dans mon salon. Mes voisins ayant été très cool, on a fait un disque en solo de dix pianistes qu'on a choisis, et qui constitue une photographie du pianiste français et parisien. Ça va sortir en deux coffrets sous le titre de "Solo at Barloyd's", Barloyd étant mon surnom dans le milieu - qui n'en est pas un... ou qui pourrait le devenir - du jazz.
- Chez vous, où allez-vous poser votre trophée ?
- [Taquin] Je ne sais pas où je vais le poser, mais je sais à quoi il va me servir... et ça, ça ne vous regarde pas !

Laurent Courthaliac sur la scène du Pan Piper (22 janvier 2017)
 (Philippe Marchin / Académie du Jazz)

 

Avishai Cohen, au nom du père

Le trompettiste israélien Avishai Cohen a été recompensé vendredi soir par le Grand Prix de l'Académie, qui récompense traditionnellement les disques d'artistes étrangers ne résidant pas en France. Son album "Into the Silence" (ECM), l'un des très beaux disques de l'année 2016, a été écrit et enregistré en hommage à son père qu'il venait de perdre, comme il l'a rappelé dans un message vidéo envoyé depuis l'Inde, n'ayant pas pu assister à la cérémonie dimanche soir à Paris.

Parmi les autres lauréats, on citera le chanteur-guitariste Corey Dennison, Prix Blues de l'Académie, qui a enflammé le public présent au Pan Piper - où la cérémonie était organisée pour la première fois - en chantant essentiellement a cappella tout en sollicitant la participation de l'assistance. On se souviendra aussi du flegmatique et chaleureux Andy Sheppard, saxophoniste anglais distingué par le Prix du Musicien européen pour son disque "Surrounded by Sea" (ECM), venu partager la scène avec le contrebassiste Michel Benita et le guitariste Nguyên Lê.

Le bluesman Corey Dennison fait le show en descendant poursuivre son tour de chant (entamé sans micro) au pied de la scène du Pan Piper, à la plus grande joie de l'assistance...
 (Philippe Marchin / Académie du Jazz)

Créée dans les années 50, l'Académie du Jazz compte aujourd'hui une petite soixantaine de membres, journalistes, musicologues, photographes, programmateurs de festivals, producteurs et animateurs radio, patrons de clubs de jazz, écrivains... Début décembre, les discussions autour des votes ont été passionnées, parfois virulentes.

Le palmarès complet

Les Prix attribués en Assemblée générale :
- Prix Django Reinhardt : Fred Nardin
- Grand Prix : Avishai Cohen "Into the Silence" (ECM)
- Prix du Disque Français : Laurent Courthaliac "All My Life" (Jazz & People)
- Prix du Jazz Vocal : Michele Hendricks "A Little Bit of Ella" (Cristal Records)

Les Prix attribués par des commissions spéciales de l'Académie :
- Prix du Livre de Jazz : Duke Ellington "Music is my Mistress" (Editions Slatkine)
- Prix du Musicien Européen : Andy Sheppard
- Prix de la Meilleure Réédition ou du Meilleur Inédit : Thad Jones / Mel Lewis Orchestra "All My Yesterdays, The Debut 1966 Recordings at the Village Vanguard" (Resonance)
- Mention Spéciale : François Rilhac "It's Only a Paper Moon" (Black & Blue)
- Prix du Jazz Classique : Jérôme Etcheberry / Michel Pastre / Louis Mazetier "7:33 Bayonne" (Jazz aux Remparts)
- Prix Soul : William Bell "This Is Where I Live" (Stax)
- Prix Blues : Corey Dennison "Corey Dennison Band" (Delmark)

> Palmarès 2015 (cérémonie du soixantenaire, 8 février 2016)
Palmarès 2014 (cérémonie du 19 janvier 2015)
> Palmarès 2013 (cérémonie du 14 janvier 2014)
> Palmarès 2012 (cérémonie du 15 janvier 2013)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.