Il est partout avec son premier album "Hyper" : Hervé, la nouvelle voix sensible de la chanson française
Inconnu il y a encore six mois, le chanteur musicien fait aujourd'hui la Une des médias. Avec son premier album, "Hyper", Hervé affiche une sensibilité exacerbée qui peut charmer comme agacer. Mais sa voix est splendide, et sa personnalité entière.
L'arrivée est tonitruante. Avec tout son barda et un peu de retard, Hervé nous rejoint sur son gros scoot, trimballant son attirail pour son concert du soir. "Même chargé comme une mule, il ne prendra jamais le taxi", commente, flegmatique, son chargé de presse. Le rendez-vous était donné sur la péniche du Petit bain à Paris, face au ministère des Finances, où une "release party" est prévue, "fête de sortie d'album" pour les moins branchés.
Hyper est dans les bacs depuis trois semaines, mélange d'électro et de chanson française, le disque fait mouche. La critique enflammée affiche le garçon partout, même la plateforme Spotify a dégainé sa campagne de pub pour l'occasion. "Album Hyper Bien", peut-on lire en quatre mètres sur trois sur les panneaux JCDecaux. Le message est passé. Entre rythmes acérés et voix mélancolique, Hervé a trouvé son public.
On s'installe sur la terrasse. "Il fait chaud", soupire l'artiste. Il faut dire qu'il est en noir des pieds à la tête. Ce look "total black" tranche avec la blancheur de ses dents, et le bleu de ses yeux. Visage anguleux, teint pâle, il parle fort, souvent de profil, comme s'il était timide. "Je ne l'ai jamais été", se défend-il, tout sourire. Au vu de ses performances, on le croit sans problèmes. L'attaché de presse nous accorde une heure. On ne perd pas de temps, à 28 ans le garçon a déjà beaucoup à raconter.
Banlieue, foot et musique
Ses potes, le foot, le rap, son 9m2, sa "daronne", ses petits boulots... Tout y passe. Pas tout en fait non, car il élude pas mal. "Quand on dit certaines choses, les parents le lisent après...", se justifie-t-il comme un gosse. Il tourne ses quatre bagues aux doigts en parlant du chemin de sa mère, celui qu'il a pris en exemple, elle qui est partie de Bretagne, de rien, "pour arriver à Paname, faire du porte-à-porte et monter une famille". Un modèle qui lui a donné suffisamment d'assurance pour ne jamais s'auto-censurer. Petit, il ne rêvait pas de musique mais de foot. "C'était le lifestyle que je voulais", explique-t-il, surexcité en parlant du survêt du club, du maillot, tout ça. Il parle moins de son père, beaucoup plus âgé, "un ancien", lâche-t-il sans s'étendre.
Vers 15-16 ans, il laisse tomber le foot pour la musique sur ordinateur. "J'avais Audacity, Cubase, SX2, SX3...", explique-t-il, on ne saisit pas toutes les références mais on imagine l'ambiance. "J'avais aussi un synthé acheté 100 balles à Leclerc", les yeux grands ouverts il détaille son tableau de bord musical comme un fanatique. Sa culture n'est pas rock, "pas comme ceux qui jouent Nirvana à la fête de la musique".
Vrai autodidacte, il n'a pour autant jamais ressenti de complexe d'infériorité, "j'avais juste besoin d'un disque dur, d'un micro, et d'un clavier à 60 balles de toute façon... Avec une enceinte Bluetooth dans la chambre, t'es au complet". Forcément, c'était un ado à part, alors l'entourage s'inquiète un peu, mais sans plus. "Je rêvais tellement fort que je m'en foutais, pour moi j'allais monter à Paris, trouver du taf, et continuer le son". Sa mère ne l'a jamais freiné. Et on sent dans ses multiples allusions à elle toute la reconnaissance qu'il lui porte.
Génération Ed Banger
Crâne rasé, mâchoire carrée, Hervé n'a pas forcément l'air commode. Mais son expressivité naturelle lui donne des allures de gentil voyou. Le débit haché, pas particulièrement doux mais singulier, il se raconte sans frein, expédie les phrases, se coupe et se reprend en roue libre. L'attaché de presse l'interrompt : son scooter est mal garé, il ne faut pas traîner. Hervé acquiesce et reprend son fil. On est en 2009, il est viré du lycée pour avoir séché les cours. "Je faisais du son à la place, le modèle proposé par l'école me faisait chier". Il aura finalement son bac éco en candidat libre, mais ne se dit pas solitaire pour autant, le côté geek de la musique électro ne l'ayant jamais isolé : "après mes journées, j'allais en soirée faire écouter mes sons à mes potes", se souvient-t-il avec la banane.
La musique est le coeur de ma vie, je n'ai jamais attendu un feu vert pour en faire
HervéMusicien, Chanteur
Le semi-Breton monte à Paris vers 20 ans, après avoir été homme de ménage et vendeur de chaussures pour femmes au Chesnay. Il trouve un micro-logement rive gauche qu'il n'a jamais quitté, tout comme la musique : "c'est le coeur de ma vie, je n'attends pas un feu vert pour en faire". L'anonymat qu'il connaît dans la capitale lui plaît, les galères vont avec mais le garçon s'adapte vite, n'importe où, la musique lui suffit pour être tranquille. À Paris, il se sent au bon endroit,"c'est ici que tout se passe, à l'époque c'était la génération Ed Banger, il y avait du son partout, j'étais fou". Ed Banger, c'est ce label de musique électro qui a révélé Justice, Sebastian, Mr.Oizo, et d'autres. Tout une partie de la French Touch en somme. Un courant qui avait largement pris racine à Versailles, à deux pas de chez lui.
En duo puis en solo
Hervé s'appelle Le Sourd, drôle de patronyme pour celui qui a l'ouïe pour outil de travail. À Paris il s'imprime des CV, se trouve un boulot de glacier à la Contrescarpe et continue son bricolage musical en parallèle. Il finit par rencontrer un Anglais, Dennis Brown, dans une cave de Courcelles qui sert de studio. Il ne nous dit pas pourquoi l'alchimie se fait plus avec lui qu'avec un autre, "ce serait comme expliquer pourquoi ma meuf est ma meuf", commente-t-il en pompant sa cigarette électronique. Les deux garçons enregistrent un titre en une nuit et forment un duo, Postaal, qui tiendra quatre ans. Les démos, les démarches, les bidouilles, puis le label, les tournées, les salaires. Ils ont leur petit succès, outre-Manche surtout. Hervé se constitue un réseau et retourne finalement en solo. Il lâche Le Sourd et se fait connaître par son simple prénom. On est en 2018, le garçon se remet pleinement à ses projets personnels, "quand je fais quelque chose, j'y vais à 200, j'y vais à balle, j'y vais à fond", mitraille le chanteur. De ses amis d'enfance, Hervé est le seul à avoir concrétisé son rêve."C'est un truc de faiseur, mon chemin", analyse-t-il du tac au tac. Tout s'enchaîne ensuite, et ses phrases aussi mettent la gomme : l'attaché de presse rôde autour, on comprend qu'il faut faire fissa.
La musique me permet de dompter mon hypersensibilité, c'est comme un médoc
HervéMusicien, Chanteur
Le débit augmenté, Hervé conclut son histoire, passe en revue sa rencontre avec la manageuse Flavie Jaubert, le feeling qui passe et son contrat chez Initial. Eddy de Pretto, Clara Luciani et Angèle viennent de là et Hervé ne tarde pas pour son premier disque : Mélancolie F.C sort en 2019. Il emprunte le style Bashung qu'il avait dans le casque entre 17 et 20 ans, et reprend même un de ses titres peu connus, La peur des mots.
À fleur de peau
Fan de Patrick Dewaere (il cite Série noire et Coup de tête), il se dit lui aussi hypersensible, recevant toutes les émotions au curseur maximum. Il s'en est rendu compte tard mais n'a plus de doutes, "la première personne qui me le dit, c'est un médecin", raconte-t-il sans embarras. Mais de son récit, et de cette disposition, ne semble en ressortir qu'une force énorme, comme si un pan entier avait été escamoté. "Je ne raconte pas mes nuits blanches, je les exprime en musique, le son est mon médoc". On n'en saura pas plus. La "dark side" de son acteur fétiche ne l'intéresse pas non plus d'ailleurs, "j'aime quand la sensibilité est au service de l'art, je ne suis pas heureux de connaître le reste".
Si ça marche pour Hervé aujourd'hui, le garçon n'a pas peur de lendemains moins glorieux, "je suis indulgent avec moi-même, et puis la musique me rend heureux, je n'arrêterai jamais", tranche-t-il sûr de lui. Il décrit le son comme une échappatoire fantastique, une surface de jeu dans laquelle il est à l'aise, et parfaite pour dompter son caractère. Mais il parle aussi des sacrifices à faire pour atteindre ses rêves. On lui fait alors remarquer que son parcours semble être une ligne droite, sans cabosses ni détours, sans sacrifices au final... Une fois n'est pas coutume, il prend un temps pour répondre, et ses yeux se perdent sur la table en fer forgé sur laquelle il s'accoude : "c'est vrai, ce n'était pas des sacrifices pour moi... Mais je ne sais pas ce que ça représentait pour ma mère". L'attaché de presse revient... Le scooter doit partir.
"Hyper", Hervé, Initial/Universal. En concert le 21 septembre à la Maroquinerie (complet) et le 19 janvier 2021 à La Cigale, à Paris.
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