France Info aux Nuits Sonores
NUITS SONORES EPISODE 3
Météo: ciel dégagé. Vent faible est/ouest. Température 18 à 24°. Tension artérielle: 2 Les conditions sont donc (presque) optimales pour attaquer la soirée spéciale consacrée aux Nuits Sonores sur l’antenne de France Info ( à écouter plus bas). L’occasion d’une rencontre étonnante avec Bernard Fèvre, alias Black Devil Disco Club, un diable noir venu nous raconter son incroyable histoire: celle d’un pionnier de l’électro, auteur d’un album culte « The Strange World of Bernard Fèvre », sorti d’abord en 78 dans l’indifférence la plus totale ( « on peut le dire, ç’a été un flop », nous dit Bernard avec sa bonne humeur tranquille), et redécouvert dans une brocante par Aphex Twin, l’une des stars du label exigent Warp, et qui décidait alors de le remettre en circulation.
Dès lors, une nouvelle génération de fans de musique électronique fait connaissance avec l’énergumène: 68 ans (qui en fait dix de moins), coupe au bol noir de jais et chemisette à motifs aventureux. L’homme a tellement d’anecdotes en poche qu’on y passerait des heures: «Y en a des trucs à raconter. Quand Afrika Bambaataa a débarqué à la maison, par exemple. J’avais l’impression de recevoir la visite de gamins, alors que c’était quand même des p.. de rappeurs américains, quoi. En général, les journalistes viennent plutot à la maison, on prend le café, on discute pendant trois heures, et après on devient copains ». Pourquoi pas, mais faut-il encore tenir son rythme. Il est 21h, le gaillard a passé, nous-dit-on discrètement dans l’oreillette, l’après midi entier dans un bouchon lyonnais, et aborde, de fait, l’entretien (à écouter plus bas) dans une détente absolument totale et une légère euphorie. Quand il repart, le soleil qui descend lentement derrière la colline de Fourvière offre une lumière mordorée à sa grande silhouette qui lance: « Tu viens me voir ce soir ? Oui ? Et si je te vois pas danser, je te préviens, ça va ch… ». Ok, ok, Bernard.
Une pause saucisson-pistaché, et hop, direction le Marché Gare, de nouveau en pleine effervescence, qui permet aussi d’apprécier le must de l’accessoire fashion de la saison en festival: le serre-tête «bois de renne » en mousse, les oreilles de lapin ou le chapeau de sorcière (option perruque verte incluse), pour mieux retrouver tes amis dans la foule. La casquette, aussi, a sa place devant le set d’Assassin, groupe de rap français mythique et radical, dont le seul Rockin Squat perpétue la mémoire, dans une session qui mêle hip-hop et souljazz, balancement cool qui n’allège pas pour autant son discours bravache et revanchard : «faites du bruit pour Rockin Squat, celui qu’on joue jamais en radio, qui passe pas à la télé, et à qui on ferme le compte Facebook!». Mais qui passe, donc, aux Nuits Sonores, donc on va arrêter se plaindre, hein.
Chez Craig Richards, en revanche, pas de blabla, de l’efficace, du style, du concret : le DJ anglais qui officie comme directeur artistique et DJ résident dans les murs de la célébrissime Fabric (LE club londonien) joue la légèreté, la bonne humeur et une politesse toute britannique dans un set cool, tranquille mais dansant. D’ailleurs, sur la scène à droite, deux groupies, qui le regardent mixer, montrent l’exemple, dont un grand gaillard sensible avec un joli polo qui colle à ses gros biceps, mains en l’air et qui glapit à chaque changement de rythme. Craig Richards aussi nous montre le mode d’emploi avec, quand il peut (normalement, il a quand même les mains collées aux manettes), ses petits poings serrés qui s’agitent en l’air. Du coup tout le monde l’imite et on frôle les crevaisons d’œil par jetés de coudes, c’est finalement assez dangereux.
Sans doute pas autant que le « jeté de corps entier sur scène» pratiqué par Franz Treichler, le chanteur des Young Gods, dans une transe fascinante. Dans ce concert à l’ambiance dark façon « fin du monde », les quatre suisses, loin d'être neutres, cultivent leur style à mi-chemin entre le punk et le vampire, avec un minimum d’accessoires: t-shirt noir, jean noir, cheveux gris, lumière fantomatique verte ou bleue. Le frontman, qui ressemble à un vieil indien sans qu’on discerne jamais ses traits derrière les longues mèches, a placé un projecteur sur son pied de micro, éclairant de cette façon son visage par le bas, genre « Blair Witch Project », pas de quoi rassurer les enfants.
Les djeun’s, sont, de toute façon, déjà passé à autre chose: une grande partie chez les quatre garçons de Caribou, parvenu à créer une tension frénétique chez leur public avec un concert bien mené mais sans aspérité, sans doute trop frais pour qui a respiré les odeurs de vieux caveaux des Young Gods auparavant. L’autre frange de la population « kids » de cette nuit préfère profiter du DJ-mix à quatre mains de DJ Medhi et Brodinski, capable de nous faire respirer, eux, l’odeur des ghettos new-yorkais ou des dance-floor de Detroit, pendant que l’euphorique Pedro Winter (patron du label de DJ Medhi, Ed Banger) joue les agents d’ambiance sur scène, quitte à arroser les premiers rangs avec une bouteille de liquide transparent (mais pas de l’eau minérale: du Panach’, sans doute).
Et puis revoilà notre Bernard «Black Devil Disco Club» Fèvre, qui s’est fait beau pour son concert, avec son plus joli t-shirt en lycra graphique noir et blanc (#audace). Fèvre s’installe tranquillement derrière sa table, une manette de mixage, un laptop, de jolis visuels assortis aux couleurs de son t-shirt, et hop, embarquement immédiat pour une heure de set tour à tour étrange, dansant, et touchant. «Ca va les enfants ? Bon, c’est bien ». Pince-moi, je rêve, c’est l’électro «Ecole des Fans ». Le garçon en a sous la pédale, qu’il verse dans les boucles hypnotiques ou dans les refrains aériens, chanté dans un micro qui modifie la voix, avec un vocoder (Air et Kanye West n’ont rien inventé). En plus, il bouge, le diable: saute de temps en temps de son tabouret pour se jeter sur un bouton, lève une patte, puis l’autre, balance, son corps, et sourit, tout le temps. « C’est bien, vous avez bien chanté, bien tapé des mains ».
On s’attend presque à la distribution de bon point, en imaginant, l’espace de quelques secondes, un monde plus beau où Bernard Fèvre aurait remplacé Jacques Martin chaque dimanche au « Théatre de l’Empire »…
Pour finir nous avons demandé à Bernard Fèvre de nous citer son disque préféré...
Emission spéciale en direct des Nuits Sonores vendredi soir à Lyon.
Avec le directeur du festival, Vincent Carry pour évoquer cette 9ème édition des Nuits Sonores. Invités également, Bernard Fèvre alias "Black Devil Disco Club" (pionnier français de la musique électronique), le Rémois Brodinski, en résidence spéciale le jeudi à la Piscine du Rhône, Pedro Winter du label Ed Banger, Chilly Gonzales chargé du concert de clotûre, mais aussi les DJs Blundetto et Hugo Mendez pour la session "Soul Passage" du vendredi après-midi, passage Thiaffait à Lyon, qui résonnait des pépites soul, afro-funk et tropicales du collectif Sofrito ( compilation Tumbélé sur le label Soundway)
NUITS SONORES EPISODE 2
Jamais une piscine n’aura connu autant d’affluence sous un ciel aussi moche. 15 h l’après-midi, c’est un peu l’aube qui pointe pour les festivaliers avachis sur les transats, sans même profiter des jolis logos France Info écrits dessus (à cause de la fatigue ou des lunettes de soleil qu’ils ont gardé sur le nez, ces étourdis). Aux platines, Sound Pellegrino (duo de Teki Latex et DJ Orgasmic) réveille gentiment l’assemblée dans un set facétieux et sans à-coups, qui planque une rythmique de Michael Jackson, un couplet par Wendy René, et le Day-O de Harry Belafonte, entre deux bastonnades électroniques.
_ Brodinski et sa frénésie de "geek-dj" s’en tire aussi très bien, le jeune homme est par ailleurs charmant, gominé de frais, bagouzé de partout et avoue, en bon "digital native", n’avoir jamais acheté un vinyle de sa vie : la génération mp3 s’assume sans problème.
Nous lui avons d'ailleurs demandé ci-dessous les références des albums qu'il écoute en ce moment:
Mais, coté set, le maître des lieux est anglais, d’origine turque chypriote et il a un nom de prince oriental : Erol Alkan, habitué des Nuits Sonores, capable en 2009 de bluffer son audience avec un premier set, là aussi à la Piscine, puis seulement quelques heures plus tard au Marché Gare, remplaçant au pied levé Dizzee Rascal, déclaré forfait. Ceux qui étaient alors au premier rang ont été frappés, cette année-là, de deux révélations lumineuses : 1/ il faut des bouchons d’oreilles quand on est au premier rang à 4 h du matin au Marché Gare devant un set furieux, 2/ce garçon a beaucoup de talent.
_ Et c’est vrai: Erol Alkan est DJ (partout dans le monde), producteur ( des Klaxons ou Late of The Pier), et patron de label ( il a signé le psychédélique Connan Mockasin). Et, comme son emploi du temps est très chargé, il ne doit pas beaucoup dormir, parce que c’est vrai qu’il a la mine un peu chiffonnée (mais ne m’en veux pas Erol, tu as toujours ce magnétisme animal). C’est aussi pour ça qu’il préfère éviter les vidéos qu’on lui propose de faire pour ce site : à cause des cernes. La prochaine fois, on pensera à la crème "contours des yeux". En attendant, coté dance-floor, rien à redire. La preuve quand votre voisin de droite hurle "HEY, MAIS CA TE DONNE PAS ENVIE DE BOUGER DU C…?!". Si, mais du calme, la soirée n’est pas finie.
Direction le Musée d’Art Contemporain, où a lieu la projection d’un documentaire de 20 minutes, Fields of Experiments, par Madjid El Ayari, une plongée au cœur de l’édition 2010 des Nuits Sonores. Et derrière, un set (entre autres) de Mondkopf, le premier de sa nuit, puisqu’on l’attend plus tard sur une autre scène de la ville. On a déjà évoqué ce jeune toulousain au visage d’ange, capable de vous mettre une baffe maximum avec son électro martiale. Mis en valeur par les projections vidéos du collectif Trafik, un jeu graphique sur une base de lignes noires et blanches, ambiance code-barres, le chérubin se transforme en seigneur de guerre assoiffé de violence, autrement dit : ça tabasse (et on aime ça).
Petit détour, ensuite, par les Circuits Electroniques, étape traditionnelle du jeudi aux Nuits Sonores : d’abord au Transbordeur tout proche (qui montre que Villeurbanne n’est qu’à un jet de pierre du très chic Hilton de Lyon), où la soirée est encore timide mais où Perkid et le dijonnais Isotroph font monter doucement les basses sur fond de visuel qui évoque de petits donuts colorés (aucun rapport avec des hallucinations dues à la malnutrition du festivalier).
Dernier effort, à la salle du Marché Gare, proche des entrepôts qui accueillent le gros de la foule les autres soirées de festival : l’annexe est destinée, ce soir, aux fans de musiques afro-funk, de rythmes caribéens et tropicaux pour une Palmwine Afro Party, du nom du collectif lyonnais Palmwine Records.
_ Évidemment, l’ambiance se réchauffe, le danseur d’afro-funk est moins inhibé que le fan de dubstep. Revient alors, comme un mantra, cette sentence entendue plus tôt dans la journée : "HEY MAIS CA TE DONNE PAS ENVIE DE BOUGER DU C…?!". Ben si, évidemment.
Le diaporama de la Nuit 2, réalisé par Antoine Ecalle.
NUITS SONORES EPISODE 1
Transats vides, ciel couvert, températures polaires: c’est en se collant à la foule chamarrée du public de la Piscine du Rhône qu’il faut tenter de trouver un peu de chaleur pour ce coup d’envoi des Nuits Sonores. Sur les bords de la piste, verre à la main, les huiles locales sont quand même venues s’encanailler au rendez-vous désormais incontournable de l’avant-garde lyonnaise. John des « Battles » s’évertue tout seul aux platines, Laurent Garnier, le cheveu court et l’œil rieur, est venu faire un saut après son Mini-Sonore de l’après-midi (set destiné au 4-10 ans), et le régional de l’étape Jean-Michel Jarre, en grande forme capillaire, distille volontiers la bonne parole électronique.
Et puis Acid Washed est venu remettre de l’ordre dans tout ça , avec son set malin, mi-tambours du Bronx/ mi-disco new-yorkaise époque Studio 54: « Dansez, je le veux » semblent nous dire les deux français, qui gardent quand même assez d’humour pour se faire des oreilles de Mickey avec leurs vinyles.
A 22h, atteindre la sortie située pas très loin du bar, c’est se frayer un chemin à grands coups d’épaule et surtout, pour les moins de 1,60m , risquer l’étouffement. Vaille que vaille, de belles choses nous attendent encore au Marché Gare.
Le set des 5,6,7,8’s, par exemple, ce groupe de japonaises versée dans la musique garage tendance psycho-billy, devenue des stars mondiales depuis que Quentin Tarantino les a choisies pour jouer dans « Kill Bill » (la scène où Uma Thurman en combi jaune s’apprête à zigouiller tout le monde à coup de sabre dans une auberge). Malheureusement, le froid, la grippe de la batteuse et une sonorisation franchement approximative auront raison de l’énergie de ces amazones de Tokyo toutes en choucroute et robes à franges.
Filons vers DJ Shadow, dont le set a commencé, selon mes voisins, assez mollement. Changement de ton rapide : le DJ est planqué dans une grande boule creuse, qui tourne, et qui selon sa disposition et les images qui sont projetées dessus, nous rèvele ou nous cache Shadow et ses platines. Elle sert aussi de prétexte, cette « ShadowSphère » à un show visuel époustouflant, qui permet, grâce aux projections de film en version caméra subjective, d’en faire une boule de flipper (qui roule), une boule à facette ou un globe terrestre. Shadow, s’il cultive son goût du secret et garde ses distances (malgré son gentil « bonswaar Laïonnn »), livre une prestation à couper le souffle, qui tend parfois à effacer le ronronnement d’un mix très (trop) bien huilé.
Envie d’un peu de sueur? Direction le set généreux et instinctif de Kyle Hall. Ce jeune DJ de Detroit est aussi agile dans ses mix qu’élastique avec son corps derrière les platines: hop je disparais sous la table sans lâcher mes boutons, hop je réapparais et je bondis au bon moment, parce que là PERSONNE ne peut résister au beat Dance 90’s qui se propage dans la salle sous une nuées de hurlements et de mains levées. Le garçon, qui a déjà monté son propre label Wild Oats, a son idée de la house, tonique et festive : irrésistible.
Changement de style radical avec le set des Sonics, sorte de AC/DC du rockabilly: cinq gaillards plus tout jeunes qui ont démarré dans les années 60, et surtout ce chanteur court sur pattes, remonté comme un coucou, et capable de hurler une heure durant comme un chat écorché, le blouson en cuir sur les épaules, et le visage tout rouge collé au micro. En tous cas, les vétérans ont envie d’en découdre, et ne vont pas se laisser impressionner par la set électro brutal de l’américain Lorn, le petit jeunot doué de la scène d’à coté qui balance ses basses comme des scuds. Son successeur, Scuba, tentera ses montées tout en délicatesse et avec doigté, mais à cause des hurlements de ses voisins rockers, et de visuels pâlots, seuls les danseurs les plus concentrés auront le privilège d’apprécier l’élégance du set.
Les déhanchements dans la foule se font plus chaloupés, décomplexés par les beats, l’heure avancée et les tickets boissons dans la poche arrière du jean. Il est temps de repasser la porte gigantesque imaginée par le collectif United Visual Art, installée à l’entrée du site, qui change de couleur ( bleu, blanc, rouge, signe d’une électro évidemment patriote) et surtout qui crépite de manière inquiétante , comme si chaque passage de visiteur provoquait une décharge électrique. Bon résumé de l’endroit, en somme.
Marion Bernard
Le diaporama de la Nuit 1, réalisé à la Piscine du Rhône et au Marché Gare par Antoine Ecalle.
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