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"On a l'impression d'être tout seuls" : le festival post-confinement imaginé par la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand tombe à l'eau

Le directeur de la Coopérative de Mai raconte les difficultés d'une salle de concerts de musiques actuelles pour continuer à vivre malgré les incertitudes.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un concert à la Coopérative de mai, SMAC (Scène de Musiques Actuelles) sise à Clermont-Ferrand. (YANN CABELLO)

Les salles de concerts de musiques actuelles sont, avec les discothèques, les grandes oubliées de la reprise progressive post-confinement. Les directeurs de ces salles, en configuration debout pour la plupart, attendent en vain depuis des semaines un signe de la part du ministère pour y voir plus clair. 

Hyperactif et connu pour sa générosité, Didier Veillault, 65 ans, directeur et programmateur de la Coopérative de Mai, la salle phare des musiques actuelles de Clermont-Ferrand (Auvergne), avait eu l'idée d'organiser, "en attendant des jours meilleurs", un mini festival gratuit en extérieur cet été, respectueux des consignes sanitaires et des gestes barrière, avec une jauge très réduite. Un festival mort-né qui devait débuter ce mercredi 24 juin avec un concert pour les enfants de The Wackids.

Le crash d'une belle idée de festival

L'histoire de ce projet est un crève-cœur. C'est celle d'un événement créé grâce à l'engagement de quelques-uns pour faire vivre la musique et donner un peu de bonheur aux gens au sortir du confinement, qui termine à la corbeille comme un vulgaire papier gras, faute d'écoute et d'engagement de la part des autorités.

Lorsque Didier Veillault a jeté l'éponge le 19 juin a après un mois de travail de son équipe, nous avons voulu en savoir plus. Savoir comment une si belle idée, si bien pensée, avait pu se naufrager, et sur quels rochers. Nous en avons profité pour l'interroger sur les perspectives d'une salle comme la sienne : une Smac (Scène de musiques actuelles) de 1 500 personnes, autofinancée à 70% grâce à la billetterie et au bar, employant 20 salariés, sans compter les intermittents et les vacataires.

Didier Veillault, directeur et programmateur de la Coopérative de mai, salle de concerts de musiques actuelles de Clermont-Ferrand. (FRED MARQUET)

Comment est né et en quoi consistait le festival "Coopérative de Mai en été" ?

Didier Veillault : Lorsqu'a été annoncée la réouverture des bars et des restaurants, je me suis dit que puisque nous disposons d'un grand parvis, nous allions proposer une terrasse d'été en respectant tous les protocoles sanitaires, sur une jauge réduite. Il ne s'agissait pas d'un retour à la normale, j'insiste là-dessus. Nous avons eu dans un premier temps l'autorisation de principe de la mairie pour 158 personnes dans le public et 30 personnes pour le personnel et les artistes. Nous étions donc très contraints mais c'était malgré tout une ouverture, une façon de retrouver un peu de vie, un peu de live, parce qu'on en a ras le bol du virtuel et des écrans. L'idée pour nous c'était aussi d'apprendre à gérer ces contraintes, parce qu'il va falloir vivre avec encore un moment.

Cela devait durer tout l'été ?

Nous avions prévu douze soirées de concerts en juin et juillet, les jeudis, vendredis et samedis, puis une pause et à nouveau douze jours en août. Nous avons contacté un certain nombre d'artistes qui ont vraiment joué le jeu : Inspector Cluzo, Limiñanas, Sanseverino ont tout de suite dit oui, avec des cachets qui n'avaient rien à voir avec ce qu'ils touchent habituellement. Nous avions Cali aussi et Dick Annegarn. Benjamin Biolay m'a même appelé pour dire "je viens". Même si l'événement était gratuit, on voulait avoir une belle affiche. Sur les réseaux sociaux, le public était enthousiaste. On avait beaucoup travaillé sur le décor du parvis pour rendre l'endroit chaleureux.

On voulait tout faire pour donner envie aux gens de venir et pour les rassurer au plan sanitaire. Et puis ça permettait de remotiver l'équipe, c'était bien d'avoir un projet parce que là on n'a aucune perspective.

Didier Veillault

à France Info Culture

Mais alors, que s'est-il passé ?

Il s'est passé que tout est devenu hyper compliqué. Le maire de Clermont-Ferrand Olivier Bianchi a autorisé la manifestation mais au lendemain du discours du président Macron où la culture a attendu en vain qu'il dise quelque chose, un décret est paru en vertu duquel c'est la préfecture qui décide désormais des manifestations de plus de 10 personnes. Et là on a dû ré-enclencher des dossiers de 15 kilomètres de long. La préfecture n'a pas dit non mais elle a ajouté toujours plus de contraintes, de sas, de barrières et des choses compliquées. Il fallait encore convaincre de nouvelles personnes. Et puis on est en pleine période électorale avec les municipales. Au point que j'ai dit "en fait vous n'avez pas envie que ça se fasse". En réalité, personne dans l'administration n'ose s'engager. Pourtant ça aurait été une belle opportunité pour la ville d'avoir quelque chose cet été, même pour les touristes.

Qu'attendiez-vous de la part des autorités ?

Je trouve que dans une période difficile on devrait nous faire confiance plutôt que l'inverse. Et puis qu'on arrête de nous infantiliser. J'organise des concerts depuis plus de 30 ans. Contrairement à ce que j'ai vu à la télé pour la Fête de la musique à Paris, nous on ne proposait pas n'importe quoi. On est des gens responsables, pas des fous furieux. Dans notre projet, tout avait été pensé pour l'accueil du public, la distanciation, la circulation, les flèches, les toilettes, avec des panneaux préventifs rappelant les gestes barrière. Il n'y avait pas de problèmes de nuisances puisqu'il n'y a plus rien autour du parvis à partir de 18 heures. Je pense qu'on aurait pu nous encourager, nous aider, faire preuve de solidarité.

En fait, on a l'impression d'être tout seuls. Tout le monde fait l'autruche. La préfecture profite du Covid-19 pour serrer les boulons, les élus et les décideurs ne prennent aucun risque, personne ne veut servir de fusible.

Didier Veillault

à France Info Culture


Les cinémas, les théâtres rouvrent, les concerts de musique classique aussi. Avez-vous l'impression que les musiques actuelles sont négligées ?

Cela fait de la peine de voir comment nos musiques et nos publics sont maltraités. Déjà on ne parle pas de la même chose que les cinémas et les théâtres puisque nos concerts se passent avant tout debout. C'est quelque chose qu'on a vraiment du mal à faire entendre au ministère de la Culture. Je le dis : la Coopérative de Mai ne rouvrira que lorsqu'on nous permettra de reprendre les concerts debout et avec une jauge normale (1 500 personnes), sans distanciation. En revanche, nous sommes prêts pour le gel, le lavage des mains, la circulation et les messages de prévention. Là on ne parle que de l'intérieur de la salle. Mais comment faites-vous pour la queue dehors avec un mètre de distanciation ? Ce que je ne comprends pas c'est que les stades ont l'autorisation de rouvrir avec 5 000 personnes mais pas nous.

On va être les derniers à rouvrir avec les boîtes de nuit. Ce n'est pas juste. Ce n'est pas normal vu ce que les musiques actuelles représentent, vu le lien social qu'elles créent et l'envie énorme qu'ont les jeunes, comme on a pu le constater lors de la Fête de la musique.

Didier Veillault

à France Info Culture

Vous pariez sur le retour des gens aux concerts de musiques actuelles dès que les salles pourront rouvrir ?

Non, je ne suis sûr de rien. Les gens sortent d'une période difficile mais je pense que beaucoup n'en peuvent plus, ils ont vraiment envie de sortir. C'est un truc vital pour les mômes qui ont vécu tout ça tout seuls, enfermés avec leur musique au casque pendant des mois. Ce que je remarque c'est que pendant des semaines la billetterie a été au point mort et que là ça repart. Depuis une dizaine de jours, les gens achètent à nouveau des billets, et je ne parle pas des gros concerts comme Iggy Pop reportés parce que là les gens ont gardé leurs billets, mais des concerts programmés en octobre. Les groupes américains, on n'est pas prêts de les revoir : tant qu'il n'y aura pas de vaccin ils ne reviendront pas. Les groupes européens ont tous décalé leur venue mais certains recommencent à envisager de reprendre leur tournée dès le mois d'octobre, comme les Irlandais de Fontaines DC qui m'ont proposé une date. 

Quelles sont les perspectives dans les mois à venir pour vous ?

C'est flou. Personne ne sait rien, tout le monde a peur. On se croirait au Moyen-Âge. Au départ, on pensait qu'on allait rouvrir à la rentrée et qu'on aurait trois ou quatre mois difficiles. Maintenant, on table plutôt sur une reprise en janvier. Financièrement on ne sait pas non plus. On a fait un emprunt garanti par l'Etat pour tenir jusqu'à la fin de l'année. Mais là on est en stand by. Moi et mes collègues on attend des informations. On a prévu de redémarrer en septembre avec des groupes régionaux en résidence chez nous qui peuvent attirer 150 à 200 personnes : dans la grande salle, ils auront de la place. En temps normal on fait 130 dates par an mais en 2021 on devrait en faire 200 si tous les reports se font comme prévu. Sauf si on doit re-confiner cet hiver : là on est dead.

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