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Laurent de Wilde et Otisto 23, l'électro show

Parallèlement à une belle carrière de pianiste de jazz, Laurent de Wilde a entamé il y a plusieurs années une collaboration avec Otisto 23, magicien de la fusion entre électro et musique acoustique. Ils ont sorti un troisième album en duo, "Fly Superfly", qu'ils présentent vendredi à Paris, au New Morning, avant des passages à Lyon et Meylan. Laurent de Wilde revient sur la genèse de ce disque.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Laurent de Wilde et Otisto 23
 (Sylvain Gripoix)

"Fly Superfly", sorti le 13 octobre chez Gazebo, est le troisième album né d'un partenariat artistique de longue date entre Laurent de Wilde, compositeur, pianiste, mais aussi écrivain, et Otisto 23 (de son vrai nom Dominique Poutet), musicien, producteur, ingénieur du son, expert en fusion électro-instrumentale. Leurs précédents opus s'intitulaient "PC Pieces" (2007) et "Fly" (2010).

Dans le nouveau disque, trois invités confrontent leur univers à celui du tandem Wilde/Otisto : le saxophoniste Guillaume Perret, qui les a déjà accompagnés par le passé, le percussionniste franco-iranien Bijan Chemirani et le beat-boxer Nico Giemza "Tiko". Ils seront présents sur la scène du New Morning, avec le troisième homme du duo : le vidéaste Nico Ticot, dont la scénographie donne une dimension supplémentaire à une musique sophistiquée, spatiale, envoûtante, et qui ne manque pas de swing. "Fly N'Lips" (version radio), extrait de l'album "Fly Superfly"


- Culturebox : Après le beau succès de votre album jazz "Over the clouds", vous voilà de retour dans l'électro !
- Laurent de Wilde : Je n'y retourne pas, je continue ! Je fais les deux choses de front, elles avancent en même temps. Une journée l'une, une journée l'autre. Un disque, c'est juste un truc qui sort et devient public, mais au quotidien, les deux mondes se côtoient tout le temps. Avec Otisto, on se voit régulièrement, c'est un travail à deux, jamais fini, comme une conversation.

- Avec une troisième concrétisation discographique...
- Le deuxième album, "Fly", nous avait donné envie de continuer. On a fait de la scène avec ce répertoire. On a expérimenté des idées, on s'est aperçu de ce qui marchait ou pas, de ce qui nous manquait. Ça nous a donné envie d'aller au bout de la démarche. Ça signifiait laisser tomber des règles qu'on s'était imposées au départ.

- Quelles étaient ces règles ?
- La plus importante : le tout fabriqué en temps réel. Ça demande beaucoup de virtuosité, on est tout de suite dans la musique. Mais ça posait un problème : ça impliquait un peu toujours les mêmes formes, j'enregistrais une boucle, et puis une autre, et une autre... On devenait progressivement prisonniers de la forme. Pour le troisième album, on a décidé de suivre la deuxième règle, la plus importante : que tous les sons proviennent du piano. S'il y a toujours des sons qu'on va créer sur scène, d'autres préexisteront déjà dans l'ordi : des petits riffs, des beats, des choses efficaces, d'une couleur agréable. Tout ce monde nous appartient, on n'est plus forcé de le recréer en temps réel.

- J'imagine que ça vous a libérés !
- Oui, ça donne beaucoup plus de liberté et la possibilité de naviguer dans des eaux plus faciles pour nous. On peut déclencher dès le départ les grandes foudres sans avoir à les fabriquer, à tourner la dynamo pendant des heures avant d'avoir du jus pour envoyer un éclair ! C'est surtout pour répondre à ce besoin que ce disque existe. De plus, on a joué devant des publics nombreux, dans des festivals électro, et on s'est aperçu qu'il nous manquait quelque chose qu'on aimait beaucoup : un répertoire un peu plus dance, avec du beat un peu plus appuyé. On avait envie de se faire plaisir là-dedans !

Laurent de Wilde (en haut de l'image) et Otisto 23 au travail
 (Renaud Baur)
- L'album "Fly Superfly" bénéficie-t-il de nouveaux outils technologiques ?
- De ma part, il y a eu l'intégration d'un outil qui est le PianoBar, une invention de Don Buchla, et qui a été fabriqué par Moog. C'est en fait un capteur optique qu'on pose sur le clavier, il permet de transformer le clavier de piano en contrôleur Midi. C'est un truc magnifique qui permet de faire plein de choses en live. Ça nous a beaucoup débloqués. Quant à Otisto, il maîtrise de mieux en mieux son instrument. On arrive à un niveau où on se sent confortable dans notre technique, sans les grosses gouttes de sueur du temps du premier disque "PC Pieces", où on avait peur de planter toutes les secondes !

- J'ai lu qu'il y avait eu des plantages à l'époque...
- Absolument, il y en a eu quelques-uns, historiques ! Ne remuons pas les mauvais souvenirs !

- Comment s'est passé le processus d'écriture des morceaux avec Otisto 23 ?
- On s'est vu plusieurs fois. On s'est fait une session de dix jours où on essayait des idées, tout ce qui nous venait en tête, très instinctivement. On allait au plus vite vers ce qui se rapprochait de l'idée de départ, qu'on habillerait plus tard. Cette intuition de départ est ce qu'il y a de plus important, il ne faut jamais la lâcher. On avait une vingtaine d'idées : un rythme, un son du piano, une idée mélodique ou harmonique, croisés avec deux ou trois éléments qui faisaient qu'on avait une petite sauce à nous, qui fonctionnait bien !

- Et par la suite ?
- On a eu une deuxième session d'une petite semaine où on a fait le tri, élagué, préparé le matériel qu'on allait utiliser. Ça prend du temps, malheureusement. Souvent, comme on est pressé de poser les premières idées, on ne fait pas très attention à la façon dont on a procédé. Après, il faut retracer le chemin de façon logique. En informatique, c'est toujours très long, très méthodique, un peu contre-intuitif, on va dire. Donc, on a passé ce temps à remonter nos intuitions, à les rendre pragmatiques.

- Et vous avez enfin enregistré ?
- On a fait dix jours de sessions d'enregistrement à Vannes avec les invités. Là, par contre, on savait à peu près ce qu'on allait faire, mais rien n'était prêt. C'est le moment le plus dur. C'est là que les morceaux commencent vraiment à naître, sachant qu'il y aurait des invités, chacun présent une journée. Il y avait un jour de préparation de la session, un jour de session et le lendemain, du debriefing... Soit neuf jours, et le dixième, on a quand même trouvé le moyen de faire un morceau ! On a fait une deuxième session chez moi où on a écrit trois nouveaux morceaux. Après ça, il y a eu une semaine de mix. Bout à bout, il y en a pour un mois et demi de travail.

- C'est énorme, par rapport à un album de jazz !
- Oui, énorme. C'est un travail monumental.
Laurent de Wilde et Otisto 23 dans leur bulle, grâce à la scénographie de Nico Ticot
 (Renaud Baur)
- Qu'avez-vous appris au contact d'Otisto 23, en tant qu'artiste et musicien ?
- Énormément de choses, parce que c'est quelqu'un d'hyper méthodique, exigeant. Alors que moi, je suis un peu l'intuitif... Parfois, ça va dans l'autre sens, Otisto a des intuitions et je les pose brique à brique. La maîtrise qu'il a de son instrument est pour moi un émerveillement permanent. J'essaye de grappiller un peu d'infos, de temps en temps, je me poste derrière son épaule pour essayer de suivre ce qu'il fait. C'est incroyable, la vitesse à laquelle il bosse ! Il analyse la situation en temps réel et la modifie avec un nombre de paramètres hallucinant. C'est très inspirant pour moi.

- Est-ce que les parties improvisées représentent la touche jazz de ce votre répertoire ?
- Oui, bien sûr. J'ai essayé de limiter au maximum la reconstitution artificielle de live. C'est pour ça aussi qu'on avait envie d'avoir des invités. Ça me permettait aussi de jouer en background, d'avoir des sons qui ne soient pas des sons de solo mais d'accompagnement, de créer des textures qui ne soient pas des choses artificielles. Jouer en vrai, en réaction... C'est une dimension très importante parce qu'il ne faut pas que l'ordinateur soit l'ordonnateur ! Il ne faut pas que la machine reprenne le pouvoir. Il faut que ce soit un instrument comme les autres, qui improvise comme les autres.

- Vous n'avez plus peur de désorienter d'éventuels puristes du jazz ?
- Pour moi, c'est une problématique vieille de dix ans, je ne me la pose plus. Maintenant, les gens sont habitués, ils savent qu'il y a du jazz et de l'électro, qu'ils doivent faire attention, et qu'on ne peut pas acheter Laurent de Wilde les yeux bandés !

- Quelques mots sur votre scénographie signée Nico Ticot...
- On a toujours eu de la vidéo, on a essayé différents dispositifs. Avec Nico, on a vraiment trouvé notre troisième homme, le gars sur la même longueur d'onde que nous. Sur scène, il y a cette espèce de bulle en tulle qui nous entoure. Comme nous, Nico improvise, il nous suit, on forme un vrai trio. Il est très inventif, très ouvert, il a beaucoup d'expérience dans les musiques qu'on aime. Je trouve que la formation prend tout son sens en live. C'est vraiment un spectacle multi-sensoriel. Mais c'est difficile car il n'y a pas beaucoup de programmateurs qui sont convaincus de ça. Je pense qu'il y a eu beaucoup d'expériences ratées dans le domaine, qui ont refroidi les gens... C'est dommage, mais on y croit.

(Propos recueillis le 17 novembre 2014 à Paris par A.Y.)

> Laurent de Wilde et Otisto 23 "Fly Superfly" en concert
Vendredi 28 novembre 2014 à Paris, au New Morning (infos ici)
Samedi 29 novembre 2014 à Lyon, au Périscope (infos ici)
Mardi 16 décembre 2014 à Meylan, à L'Hexagone (infos ici)
> Tout l'agenda de Laurent de Wilde ici

Laurent de Wilde : Fender Rhodes, piano
Otisto 23 : programmation
Nico Ticot : vidéo

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