H5, le studio de design au cœur de la French Touch musicale, objet d'une exposition à Versailles

Leurs pochettes de disques audacieuses ont façonné l'image de la French Touch électronique originelle. Puis, ils ont réalisé des clips, et la pub a suivi. Une exposition, présentée à Versailles jusqu'au 5 mai, raconte le foisonnant parcours du studio de design parisien H5.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
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Temps de lecture : 13min
Un des murs de pochettes signées H5, exposées à l'Espace Richaud de Versailles, avril 2024. (LAURE NARLIAN)

La French Touch électronique originelle, au tournant des années 1990 et 2000, fut aussi une révolution esthétique. C'est ce que montre en filigrane une exposition à Versailles qui propose, jusqu'au 5 mai, de Voir la French Touch. Elle met à l'honneur un studio de design et de graphisme qui a particulièrement marqué ce mouvement musical hexagonal : H5. Dans un charmant monument historique, l'Espace Richaud, des dizaines de pochettes de disques qu'ils ont signées ornent les murs sur deux vastes étages, ce qui permet d'embrasser trente ans de travail.

Si une unité se dégage label par label, le style maison de H5 est loin d'être uniforme. Il explore différentes approches, mais toutes ces pochettes ont frappé et frappent encore la rétine et l'imagination. Certaines, surtout les premières, sont cultes : celles de Air, Étienne de Crécy, Alex Gopher, Vitalic, Cosmo Vitelli ou DeMon. Les murs ont beau palpiter de couleurs et d'idées, avec les explications de Ludovic Houplain, l'un des deux fondateurs de H5, c'est encore mieux. Visite guidée, donc, en bonne compagnie.

Inventivité graphique plutôt que photos des artistes

L'histoire commence dans les années 1990, à l'école Penninghen (école supérieure d'arts graphiques et d'architecture intérieure, à Paris) où se rencontrent Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet, qui est lui originaire de Versailles, et fera la connexion avec ses amis de lycée comme Étienne de Crécy. À Penninghen, les deux jeunes graphistes côtoient leurs futurs rivaux dans la création de l'identité graphique et visuelle de gros noms de la French Touch : Tom Kan (Daft Punk), Alexandre Courtès (Cassius) et Sylvia Tournerie (Bosco).

"L'émulation avec eux et quelques autres comme M/M qui venaient des arts déco, c'était notre moteur principal", se souvient Ludovic Houplain, qui a de qui tenir puisque son père était designer et travaillait avec Philippe Starck. "Chaque label ou chaque groupe avait ses graphistes attitrés, comme l'avait fait Joy Division avec Peter Saville. On s'épiait tous et c'était chaque fois la surenchère : comment faire encore mieux ? Je pense que c'est ça qui nous a tous fait remarquer à l'international."

Le fameux album d'Étienne de Crécy "Super Discount", constitué de quatre maxis qui s'assemblent comme un puzzle, a été reconstitué en taille géante pour l'exposition H5 à l'Espace Richaud de Versailles. Avril 2024. (LAURE NARLIAN)

Au moment de l'éclosion de la French Touch musicale, le graphisme n'était pas prépondérant dans l'industrie musicale, en France : la plupart des pochettes étaient ornées de photos des artistes. C'était le règne des photographes stars comme Jean-Baptiste Mondino.

Or, organiser des séances photo coûtait cher et les nouveaux laborantins électroniques avaient peu de moyens. Est-ce pour cela qu'ils étaient opposés au fait d'afficher leur visage sur les pochettes, ou plutôt pour coller au culte de l'anonymat des tenants de la techno américaine ? Un peu des deux, si l'on en croit Ludovic Houplain. "En tout cas, on s'est dit : faisons en sorte que ce manque de moyens devienne une force plutôt qu'une faiblesse."

Le bricolage des premières pochettes

Les graphistes de la French Touch avaient non seulement le même âge que les musiciens dont ils travaillaient l'image, mais ils avaient aussi le même matériel. Minimal.

"J'ai des photos d'Étienne (de Crécy) dans sa cuisine, avec son ordi et sa mixette. Avec Antoine, on se partageait exactement le même ordi, le même outil. Et on apprenait en même temps que les musiciens : c'était le home studio à l'état pur pour nous aussi. On a appris sur le tas, avec Illustrator 1 et Photoshop 1. Quand je dis ça, j'ai l'impression d'avoir mille ans !" (rires)

"On faisait la même chose que les musiciens : on mixait toutes nos influences. Comme eux, on a beaucoup samplé. Sauf qu'on ne pouvait pas réutiliser les images, on était obligés de les réinterpréter."

Ludovic Houplain, cofondateur de H5

à France Info Culture

Ce qu'il nous dévoile au sujet des premières pochettes réalisées par H5 est réjouissant et confirme cette économie de moyens où la créativité fait son maximum avec très peu. Le duo a d'abord exploité abondamment un stock de photos prises par le père de Ludovic à l'Hasselblad. La pochette dans les tons bleus du maxi Casanova 70 de Air (1996) est une photo, à peine retravaillée, de la mère et de la tante de Ludovic, avec son oncle au loin. "On cherchait une photo qui fasse années 1970, et celle-ci, totalement cliché, correspondait bien à la tonalité de la musique. Ensuite, on a travaillé la typo comme celle d'une compagnie aérienne de l'époque", rembobine-t-il.

Une photo prise, toujours par son père, lors d'une course automobile, est aussi à la source (insoupçonnable) de trois pochettes différentes : celle de Gordini Mix d'Alex Gopher, celle de Le Soleil est près de moi de Air (1997) – "On a utilisé une autre partie de la photo, où on l'on voit encore les bandes au sol, qu'on a hyper solarisée pour sentir la chaleur" , et celle de Cosmo Vitelli 98 – "C'est le casque du pilote avec ses lunettes, et le mécanicien en bleu de travail, travaillés avec une approche op'art. On jouait sans arrêt pour voir ce qu'on pouvait trouver. On essayait tout et on poussait toujours plus loin notre réflexion", souligne Ludovic Houplain.

Les pochettes de "Gordini Mix" d'Alex Gopher, "Le Soleil est près de moi" de Air et de Cosmo Vitalli 98 sont toutes issues d'une même photo. (STUDIO H5)

"Avec Air et Alex Gopher, c'est la musique qui nous portait. Mais Étienne de Crécy, lui, savait exactement ce qu'il voulait. Étienne, il a des concepts. Pour la pochette de son projet Super Discount [devenue un classique], il voulait se réfèrer à l'hyper-consumérisme, il voulait vendre le disque comme un produit de la grande distribution. Pour le traduire visuellement, on a d'abord suggéré un truc très Leclerc, orange et bleu. Mais il voulait quelque chose de plus radical, avec des couleurs franches, modernes. Ça nous a amenés vers le jaune, noir et blanc qu'on connait."

Quant à l'idée des quatres maxis de Super Discount, qui forment un album une fois réunies, c'est encore une idée d'Étienne. Un puzzle que l'on peut admirer sous forme de cube géant dans une majestueuse salle circulaire à l'exposition.

Des clips hyper narratifs qui ont fait date

Le sens du détail est une des marques de fabrique de H5. "J'ai eu la chance de faire des pochettes comme des objets manufacturés. Je ne veux pas en avoir honte dans dix ans. Alors le produit doit être nickel, identifiable. Il faut qu'il soit aussi beau sur le rond du vinyle que sur le dos de la pochette. Tout est travaillé au même niveau, tout est ciselé." Dans une petite salle immersive de l'exposition, on voit tourner sur écrans 55 de ces ronds de vinyles, synchronisés avec la musique de chacun.

Mais H5 ne s'est pas arrêté aux pochettes dans son accompagnement visuel des artistes. Il est aussi connu pour ses clips. "Nos clips étaient eux aussi graphiques. Je pense que nous avons réussi à faire un emballage hyper cohérent, en rupture avec ce qui se faisait. Auparavant, les clips, surtout de rap, étaient incarnés par les groupes. Nous sommes arrivés en mode : il n'y a plus de groupe, il n'y a plus personne. Du coup, nos clips étaient hyper narratifs. On racontait des histoires, comme de petits court-métrages. Il fallait attirer l'œil, se démarquer, au milieu du flux de clips MTV."

Ce sera le petit robot danseur de Number One de Playgroup, ou Audrey Marney, mise en scène comme une construction chimérique, dans le clip de How Does it Makes You Feel de Air. On se souvient aussi de la fabrique de deux clones en laboratoire qui finissent par se rencontrer dans Special Cases de Massive Attack et 24h de la vie d'une Londonienne racontée par ses data pour Remind Me de Röyksopp, avec lequel H5 décroche le Meilleur clip de l'année en 2002 aux European MTV Awards.

Ces deux derniers clips, particulièrement critiques de la société (le clonage et la surveillance de masse), attirent l'attention des Britanniques et de l'un des plus illustres sujets de sa Majesté, George Harrison en personne. Sa requête va les mener au firmament.

La folle aventure du court-métrage oscarisé "Logorama"

Lors d'un voyage mystère à Londres, où ils ignorent jusqu'au bout quel artiste les a convoqués, le tandem à la tête de H5 rencontre l'ancien Beatles. "Il voulait que nous travaillions sur un clip pour son nouvel (et dernier) album, Brainwashed."

"George Harrison nous a dit : faites-moi un clip qui dit que la nature va reprendre le dessus sur la société de consommation. On a eu l'idée d'une sorte de ville américaine uniquement constituée de logos, qui se ferait balayer par un cataclysme. Sauf que George Harrison est mort peu après."

Ludovic Houplain, cofondateur du studio de design H5

à Franceinfo Culture

H5 tient son idée et n'a pas l'intention de la jeter aux oubliettes. Mais le projet coûte très cher à réaliser. "On est en 2003, et le basculement se fait là. On décide pour la première fois d'accepter de faire des publicités et de mettre de l'argent de côté pour financer Logorama." Ce court-métrage d'animation génial, qui n'a pas pris une ride, ne sera achevé que six ans plus tard, en 2009. Long de 15 minutes, il s'agit d'un puissant manifeste.

Dans un Los Angeles entièrement constitué de logos de marques, des immeubles à la population, deux policiers (des bibendums Michelin), prennent en chasse un dangereux gangster armé (le clown Ronald McDonald). Durant la course poursuite, un enfant (la mascotte Haribo) est blessé, et un autre pris en otage alors qu'ils sortent d'une visite au zoo où ils ont notamment croisé le Géant Vert et Mr Propre. Un séisme va ensuite faire s'écrouler la ville comme un château de cartes avant une fin apocalyptique. Étonnamment, les 3 000 marques citées ne se plaignent pas, et l'éblouissant Logorama remporte à la fois le César du meilleur court-métrage et l'Oscar du meilleur court-métrage d'animation.

Le clip réalisé en 2016 pour My Generation de Mirwais en est un prolongement. "Il traduit les flux d'infos et les réseaux sociaux auxquels nous sommes confrontés toute la journée", précise Ludovic Houplain. Plus récemment, un clip de campagne contre la déforestation, imaginé pour Greenpeace sur une musique d'Étienne de Crécy, détourne à nouveau les codes de la publicité. H5 invente une marque de toute pièce et parodie une célèbre enseigne de poulet frit pour raconter le circuit qu'empruntent les poulets et leur alimentation (le soja). Mais de façon anté-chronologique, du nugget jusqu'à la source, c'est-à-dire la déforestation par le feu et sa destruction pérenne des éco-systèmes.

Comment les clips de H5 ont inspiré la publicité

Dans une salle de l'exposition consacrée aux vidéos, en version HD, on peut regarder à droite tous ces clips et à gauche toutes les publicités réalisées par H5 qui s'en sont inspirées à la demande des marques en mal d'idées. Le clip de Playgroup pour Number One avec son petit robot danseur, devient par exemple la pub Citroën avec le robot patineur, tandis que Twist de Goldfrapp, bourré de métaphores sexuelles, devient une pub pour Volkswagen Touran.

"Dans ce va et vient, on constate chaque fois combien nous étions libres pour le clip et comment la publicité se réappropriait nos idées en les édulcorant", analyse le cofondateur de H5. "Je remarque aussi que ce sont les Anglais qui nous ont demandé les choses les plus revendicatives, les plus politiques. À l'inverse, la French Touch n'a pas trop de regard politique sur la société. C'est festif, on est là pour danser, pas pour penser. C'est ce qui me manque un peu chez les Français."

Jamais lassé d'explorer les expressions graphiques, H5, qui a signé le tout dernier clip de Daft Punk sorti en 2023 (ci-dessus), continue de montrer la voie. Aujourd'hui, il fait évoluer son travail vers le numérique et prend en compte l'accélération générale.

"Maintenant, plus personne de regarde des clips de 3 ou 5 minutes. On ne peut plus penser de la même manière", constate Ludovic Houplain. "En numérique, on peut faire de petites animations."

"On commence à aller vers des pochettes animées de 5 secondes sur les plateformes de streaming. Comme on ne peut pas raconter une histoire en 5 secondes, on travaille davantage sur la rythmique graphique pour créer des animations qui épousent bien le son. Ça a presque plus d'impact."

Ludovic Houplain, cofondateur de H5

à Franceinfo Culture

Et passer carrément au long-métrage, voire réaliser une série ? Chez H5, on y songe, bien sûr, mais l'équipe craint d'y perdre le plaisir et la souplesse qui l'ont guidée depuis le début. "Sur nos trente ans de travail, nous avons toujours été très libres. Et nous avons fait majoritairement ce que nous aimions faire. Le fantasme d'un grand format, c'est se coltiner des tas d'intervenants financiers et risquer d'être puni tous les jours par des gens qui nous demanderons d'enlever ceci ou de changer cela. J'ai un dossier baptisé "vrac" sur mon ordi. Il contient beaucoup d'idées. Je crois qu'elles attendront."

Exposition "H5. Voir la French Touch, 30 ans de graphisme et de musique électronique", jusqu'au 5 mai 2024 à l'Espace Richaud, 78 boulevard de la Reine, 78000 Versailles. Tel : 01 30 97 28 66. Ouvert du mercredi au vendredi de 12h à 19h et les week-ends de 10h à 19h. Tarif : 7 euros, gratuit pour les moins de 26 ans. A noter que le catalogue de l'exposition est en vente sur place et sera en librairies le 17 mai.

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