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La Folle journée, acte 4 : des expériences et l’immensité de l’Amérique

Suite du marathon. De plus en plus de monde, des visages un peu épuisés. La « folle journée», c’est une course d’endurance…
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Shani Diluka à Nantes
 (Frank Perry/AFP)

Et celle-ci coûtera cher. En billets d’avion et défraiements (c’est loin, l’Amérique !) Aussi en droits d’auteur car les œuvres jouées cette année sont rarement dans le domaine public. Qui paiera ? La ville ? La région ? Les partenaires ? Sans doute pas l’Etat quoique… suppléant sa ministre de la Culture aussi indifférente à l’événement que ses prédécesseurs, Jean-Marc Ayrault se soit fait auditeur aujourd’hui (d’Anne Queffelec)  Rassurant… mais assez normal pour celui qui,  en tant que maire, a soutenu la manifestation pendant tant d’années.

Je voulais entendre le pianiste David Lively dans un programme du temps où les Etats-Unis se forgeaient encore une identité
« To the wild rose » de MacDowell, que jouait la bonne société de la côte Est, deux pièces de Gottschalk (créole, élève de Berlioz, mort à Rio), des « Songs » de Gershwin, cet inépuisable mélodiste, une sonate de Griffes (quelque chose du premier Prokofiev) et celle de Barber, rageuse, tourmentée, follement virtuose, défendu par un Lively éblouissant pour un programme (très applaudi) où tout faisait sens.

Je voulais entendre la jeune génération américaine
Nico Muhly, 32 ans, ancien collaborateur de Philip Glass (qui a écrit la musique d’ « Einstein on the beach », le spectacle de Bob Wilson que « Culturebox » continue à vous proposer en live) « Drones et violons »: sur une trille du piano, des accords du violon sur deux notes alternant avec des phrases plus lyriques puis de nouveau une vibration sur la corde. Et on inverse : grappes d’accords violents du piano sur une note unique du violon. Les études pour piano sont moins intéressantes, dans le sillage de la musique répétitive de Glass et d’Adams. Muhly a travaillé avec Benjamin Millepied à l’American Ballet. David Bismuth et Nicolas Dautricourt (sur son Stradivarius) sont impeccables. Je voulais entendre le piano des « révolutionnaires » américains
Par Florent Boffard, si bon spécialiste de la musique contemporaine. Sonates d’Antheil dont les titres disent tout : « L’avion ». « Sonate sauvage » (un grand ragtime fou et barbare). Finalement très audible quand on aime Milhaud ou Bartok. Henry Cowell et sa « Harpe éolienne » où Boffard gratte les cordes du piano mais jamais à la même hauteur, afin de produire différentes notes qui résonnent comme la harpe. Enfin Cage et son « piano préparé ». Cage voulait écrire une musique de ballet pour percussion. Sur la scène il y avait seulement la place d’un piano. D’où ces objets entre les cordes qui font du piano un gamelan, djembé, carillon, cloche tibétaine ou… un piano qui n’a pas été accordé depuis bien avant la mort de la grand-tante. Boffard très acclamé.

Je voulais entendre le testament de Bartok, son 3e concerto pour piano
Une œuvre poétique et apaisée, comme souvent, voyez le concerto pour clarinette de Mozart, voyez Richard Strauss, voyez Fauré. Anne Queffelec joue. Les doigts, la compréhension de l’œuvre, la justesse rythmique, tout est en place, dans le ton. Mais –quoi ? La terre qui s’ouvre sous les pas, la lumière surnaturelle qui éclaire les passages nocturnes ? Non, hélas! (Si. D’Olivier Charlier dans le concerto pour violon de Barber, décidément l’une des vedettes de Nantes. Œuvre brillante et poétique que Charlier défend avec une douceur et un son chaud très séduisants)

La pianniste Anne Queffélec
 (France3 / Culturebox)
Je voulais (encore) entendre mon cher (Bohuslav) Martinu
Pour la 2e sonate pour violoncelle et piano mon chemin passait par Anne Gastinel et Claire Désert. Concert pris d’assaut. Gastinel joint la limpide beauté au talent (couleurs ambrées, profondeur du son) La déception est cette fois chez Claire Désert. Martinu fonctionne par cellules rythmiques souvent impaires (7, 5, 3, 9 notes) sur lesquelles le soliste déploie sa mélodie. Désert martèle son piano, pas assez à l’écoute, au point que Gastinel passe parfois au second plan ! Marie-Catherine Girod, elle, a compris. Elle soutient Juliette Hurel, la belle et classieuse flûtiste (ceinture de soie orange nouée sur ensemble noir). Elles sont complices mais Hurel a le chant (la poésie mélancolique du mouvement lent!) et Girod monte en puissance seulement quand Hurel se tait. Girod est encore mieux dans le quintette n° 2 avec les tchèques du quatuor Prazak (un des meilleurs d’Europe centrale, où ils pullulent). L’échange voluptueux entre le piano et les cordes, dans l’adagio, est une merveille. 
Juliette Hurel
 (Marthe Lemelle)
Je voulais entendre le programme musical « Road 66 », l’évocation de la route mythique qui relie Chicago et les Grands Lacs à la Californie de tous les rêves, souvent brisés
Shani Diluka l’a construit autour de Kerouac (« Sur la route ») dont elle lit des textes d’une immédiate poésie. Sur cette route (qui, écrit Kerouac, « se déroulait aussi à l’intérieur de moi-même ») passent les minimalistes, Adams et Glass, les mélodistes à l’ancienne, Grainger et Amy Beach, le très beau « Chandeliers » écrit par Hyung-ki Joo après le 11 septembre, comme si Chopin faisait du jazz sur le haut du clavier. Diluka joue un peu tout de la même manière mais c’est une belle évocation, qu’elle achève par « Clair de lune » de Debussy, élevé par nos amis américains au rang de standard.
Shani Diluka
 (Liliroze)
Je voulais entendre le concerto pour clarinette d’Artie Shaw, pour la blague à deux balles qui nous fait toujours rire (Artie Shaw, artichaut) et plus sérieusement pour ce frottement d’un jazzman avec le classique
Artie Shaw, clarinettiste blanc, écrit une partition ramassée et brillante, cordes symphoniques d’un côté, big band de l’autre (le Big Band Phat dirigé par Gordon Goodwin) et Romain Guyot au milieu, profondément musicien. Mais auparavant on avait dû subir une redoutable pantalonnade, la « Rhapsody in blue » réinterprétée ( ?) par Makoto Ozone, pianiste japonais féru de jazz. C’est du grand n’importe quoi. Des passages en moins, des notes en plus, un jeu chichiteux (des silences qui durent trois heures), un Ozone atteint du syndrome Lang Lang (grimaces et sourire satisfait). La Sinfonia Varsovia qui l’accompagne, sous la direction hystérique de Robert Trevino, a la subtilité d’un troupeau de bisons près des lacs de Mazurie. Le pire, c’est qu’un certain nombre d’auditeurs vont s’imaginer que la « Rhapsody in blue », c’est ce truc informe.Heureusement la soirée avait commencé par nos amis chanteurs de Negro spirituals qui ont donné des frissons de bonheur à 2000 personnes.

Au final  je voulais voir les étoiles dans le ciel de Nantes. Mais une averse tombait d’un nuage.

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