Cet article date de plus de huit ans.

Eloïse Bella Kohn et Lomic Lamouroux, deux nouvelles Révélations Classiques de l'ADAMI

Eloïse Bella Kohn, 24 ans, pianiste et Lomic Lamouroux, 27 ans, bassoniste, sont deux des Révélations Classiques de l'Adami en concert aux Bouffes du Nord le 8 février. Deux jeunes musiciens face à leur avenir. Avec leur talent, leurs interrogations, quelques certitudes et leur passion : pour la musique et surtout, chacun, pour un instrument qu'ils n'échangeraient pour rien au monde. Rencontre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Eloïse Bella Kohn et Lomic Lamouroux, deux parmi les Révélations Classiques de l'ADAMI de cette année.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Eloïse Bella Kohn, 24 ans, est pianiste. Lomic Lamouroux, 27 ans, est bassoniste. Ils sont deux parmi les musiciens nommés Révélations Classiques de l'Adami, pépinière s'il en est de jeunes talents, et qui se produiront le 8 février au Théâtre des Bouffes du Nord.

Nous avons passé un peu plus d'une heure ensemble. Elle, réfléchit et parle très vite. Lui est beaucoup plus posé, cherche la distance, pèse se mots et ses silences. Plutôt réservés les premières minutes, leur parole se libère très vite, enthousiastes qu'ils sont de s'expliquer sur leur métier, et sur leurs attentes, mais surtout de parler de musique et de leur instrument.

L'INSTRUMENT, CET AUTRE MOI
C'est sans doute la première chose dont l'un et l'autre nous parlent : leur instrument, qu'ils brandissent comme une cause à défendre. Le basson, cela nous paraît normal, l'instrument est parmi les moins usités. Mais le piano ? "C'est parce que j'y suis venue sur le tard", se justifie Eloïse Bella Kohn : "pendant l'adolescence, j'ai autant étudié la composition que le piano et c'est le fait d'avoir mesuré la diversité de son répertoire, en cours d'orchestration, qui m'a peu à peu convaincue. Le piano, c'est un orchestre en miniature en quelque sorte. Sans parler de toutes les configurations possibles : seule, en musique de chambre, avec un chanteur..." Eloïse s'emporte presque. "Soudain, cette étendue de possibilités que je découvrais, correspondait très bien à ma boulimie. Et avoir étudié la composition pouvait m'apporter aussi un regard différent en tant qu'interprète : quand on a soi-même fabriqué une musique, on se rend mieux compte du processus du compositeur".


Lomic Lamouroux, lui, n'a pas attendu si longtemps pour comprendre que le basson, qu'il a découvert à 12 ans, peu après la flûte traversière, serait son instrument... et son métier. "C'est d'abord un bel instrument, assez gros, mais avec une prise en mains agréable. J'aime le fait que ce soit un instrument à vent parce que tout le corps y est engagé. Et comme la soufflerie est toujours en marche, ça fait des vibrations partout", explique Lomic. Et puis il y a le son de l'instrument, caméléonesque. "Le basson peut tout faire, sauf jouer fort. Ses registres vont du très grave à quelque chose qui sonne très aigu (mais qui ne l'est pas vraiment).
En orchestre,  il endosse à peu près tous les rôles : la basse, la partie intermédiaire et la mélodie, c'est très riche ! Et dans les grands solos, il porte des sentiments très différents : le côté humoristique, comme dans "Pierre et le loup" ou dans "l'Apprenti sorcier", et des moments déchirants comme "La Berceuse" de "l'Oiseau de feu" ou la "Romance" de Donizetti. Dans la 9e Symphonie de Chostakovitch, on a les deux à la fois : d'abord une grande mélancolie, on sent le désarroi de l'être humain, et en une mesure, ça se transforme en une petite danse joyeuse et paysanne. Voilà ce que peut être le basson !"

MATURITE
Vidéos de leurs concerts, interviews filmées, l'ADAMI soigne la présentation de ses Révélations. Et il se dégage de la plupart de ces jeunes une certaine maturité autant dans le jeu que dans la parole, résultat sans doute d'expériences de scène déjà longues. "Oui, cette expérience est obligatoire pour avoir un jeu "mature" justement", dit Lomic, "il faut s'être frotté à des choses différentes, bonnes ou mauvaises, pour faire le tri de ce qu'on veut ou ce qu'on ne veut pas". "Maturité ? Je ne sais pas", dit avec franchise Eloïse. "Disons qu'à 24 ans, on n'a plus l'âge où on joue les petits génies. C'est à moi de décider les choses" (....) "Mais comme le diplôme du conservatoire n'apporte concrètement aucun travail, on se pose la question : et maintenant ?"

"CE QUI NOUS CONSTRUIT"
Il y a les rencontres : les professeurs en particulier, "ceux du conservatoire qui vous orientent plus précisément et vous font devenir professionnels", dit Lomic. Le pianiste Eric Le Sage, rencontré d'abord au Conservatoire, est pour Eloïse, un de ceux-là. Ses conseils lui ont permis de passer à la vitesse supérieure et l'ont convaincue de devenir pianiste professionnelle. Et puis il y a l'immatériel qui vous façonne, les heures de musique écoutée, "beaucoup de classique", pour Lomic, "mais aussi la variété, le rock et la musique underground". Et les voyages "hors concerts", ajoute-t-il, "ceux qui vous imprègnent durablement et vous enrichissent de manière différente". Il y a les rêves : celui de devenir danseuse étoile, pour Eloïse étant petite, s'est transformé en une pratique régulière de la danse classique aujourd'hui : "besoin physique de s'étirer, de bouger les jambes (essentiel quand on passe son temps sur un piano), et de se vider la tête". Eloïse a également beaucoup appris d'une expérience singulière : "pendant plusieurs années, à partir de mes 17 ans, j'ai été la tourneuse de pages attitrée d'Alexandre Tharaud, qui ne joue jamais par cœur. Ça m'a marquée d'assister de si près à ses récitals : quand on est à 50 cm, on voit sa façon de faire ses bis (il en fait sept ou huit parfois), on observe ses "trucs", et on se rassure de voir que même un artiste comme lui peut connaître le stress et la remise en cause…".

MUSICIENS EN EUROPE
L'Europe, ce n'est même pas une question, pour Eloïse, "c'est une évidence". Germanophone, formée en partie en Allemagne (à Fribourg), après le Conservatoire national de Paris, elle partage aujourd'hui sa vie entre Paris et Vienne, où elle suit un cycle de perfectionnement. Dans ces pays, rappelle-t-elle, "la musique occupe une place beaucoup plus centrale dans la culture qu'en France. J'y ai même écouté, chez des gens, un joli "Messie" de Haendel joué par un petit ensemble baroque fait maison ! Il y a des orchestres dans chaque ville, beaucoup de concerts et du travail pour les musiciens..." Son avenir, Eloïse ne le voit d'ailleurs pas nécessairement en France. Même conscience chez Lomic, d'avoir avec l'Europe, un horizon très large. Pour lui, "c'est une chance d'avoir une région du monde où les déplacements sont devenus aussi faciles : on peut partir en Allemagne ou en Suède" (où il a résidé pendant son année Erasmus), "en concert ou en master class sans explications à donner, sans formalités. L'Europe, c'est aussi un vivier de traditions différentes et c'est très important de s'y frotter".

DUO DE PIANOS
Eloïse Bella Kohn a mis sur pied un duo, "Yadaïn", avec Dina Bensaïd, une amie pianiste rencontrée au conservatoire. "Elle étant marocaine et d'origine musulmane, et moi d'origine juive, on a eu envie d'officialiser le duo pour transmettre une image de dialogue entre les deux cultures". Loin d'elle le désir d'en faire pour autant un étendard ou un "acte" politique : "d'abord, j'ai un peu hésité parce que j'ai été éduquée dans la discrétion", dit-elle en riant. "Mais surtout, Dina et moi, on n'est pas qualifiées pour faire de la politique. Forcément, ça a une dimension qui est politique. Mais on veut montrer, simplement, que la musique est un moyen privilégié pour ce genre de symboles, ça dépasse les mots : une complicité sur scène, ça peut être plus parlant que de longs discours". Jusqu'à présent, le duo a fait quelques concerts à quatre mains, et esquisse des projets au Maroc et surtout le Concerto de Poulenc pour deux pianos déjà prévu pour l'année prochaine.

OBJECTIF, DEMAIN
Un objectif, un désir se dessinent-ils clairement dans leur esprit ? Eloïse Bella Kohn y réfléchit longuement, puis, soudain, comme une révélation : "pour moi l'objectif est d'assurer la qualité optimale à tous les concerts". Et d'ajouter, "tous les concerts, ça veut dire quels qu'ils soient et quelque soit l'endroit. Je ne fais pas de hiérarchie". A son tour, Lomic Lamouroux n'hésite pas non plus : "on ne sait pas de quoi sera faite notre carrière, beaucoup de choses peuvent influer. J'aimerais pouvoir défendre et garder jusqu'au bout l'intégrité par rapport à notre art".

Concert des Révélations Classiques de l'Adami
Au Théâtre des Bouffes du Nord le 8 févier

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.