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Dessine-moi un festival, une série de l'été : David Théodoridès à Périgueux

Ils sont chanteurs, chefs d'orchestre, producteurs, patrons de salle… ou simples mélomanes. Pour le plaisir de la musique, ils consacrent leur été à faire vivre un festival. Baroque ou romantique, Boulez ou Mozart. A la ville, dans les champs, ou en bord de mer, qu'est-ce qui fait que ça marche ou pas ? Rencontre aujourd'hui avec David Théodoridès, directeur artistique de "Sinfonia en Périgord".
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
David Théodoridès.
 (Laurent Pareau/Studio Regart-Périgueux)

L'homme est juriste de formation, mais c'est la musique qui occupe ses journées depuis ses jeunes années. Après un début de carrière comme chanteur à laquelle il doit renoncer pour des raisons de santé, c'est dans le cadre du Festival "Sinfonia en Périgord" que David Théodoridès parvient à transmettre au mieux sa passion. Co-fondateur de la manifestation avec son père Michel, au début des années 1990, il en prend la direction artistique dix ans plus tard et fait évoluer le festival : exclusivement baroque à ses débuts, "Sinfonia" se tourne également vers la création contemporaine et les musiques du monde en même temps qu'il s'adresse aussi spécifiquement aux talents émergents. Le festival fête cette année ses 25 ans.

Qu'est-ce qui pousse à s'investir dans un festival l'été comme "Sinfonia en Périgord" ? 
Organiser un festival c’est rêver et vouloir partager ses rêves. Toute l’année, avec les artistes, nous construisons ensemble la programmation : c’est une véritable gestation, où on la sent grandir en soi, prendre forme chaque jour un peu plus. Et puis vient le temps des concerts, le public est là, les musiciens arrivent, répètent, retrouvent des lieux familiers. La grande famille musicale se reconstitue durant six journées fantastiques. Il existe peu de métiers qui offrent autant d’intensité. Je n’imaginerais pas passer la période estivale autrement. 

L'abbaye de Chancelade est un des lieux du Festival "Sinfonia en Périgord".
 (D.R. )

C'est un festival que vous avez-vous-même créé, avec votre père…
Oui, un festival qui naît, entre autres, d'une forte émotion, reçue lors d'un concert, quand j'étais adolescent. C'était "Les sept dernières paroles du Christ en croix" d'Heinrich Schütz (grand compositeur allemand du XVIIe siècle), par l’ensemble Clément Janequin. Ce fut un choc. Je découvrais la façon dont les musiciens baroques abordent leur répertoire, leur capacité à s'émanciper des normes d'interprétation, à rechercher une sonorité nouvelle, et en même temps une authenticité. Pour moi ce mouvement a constitué un véritable manifeste, une révolution. Et le festival a eu l'ambition de prolonger la dynamique de ce mouvement avec la même fraîcheur. Et si depuis 1991 le festival a grandi et a évolué, s’est ouvert aux musiques du monde et à la création contemporaine, soutient les jeunes artistes… l'esprit est le même. Par exemple, l’intégration de la musique contemporaine peut paraître un paradoxe. C’est pourtant bien Nikolaus Harnoncourt (référence du mouvement baroque s'il en est) qui parlait du baroque comme d’une musique contemporaine…

Sur quel critère choisissez-vous les artistes invités au festival ?
Pour l’organisateur que je suis, le défi est de présenter au public des œuvres originales, une interprétation renouvelée, mais aussi de faire connaître les artistes les plus prometteurs, tout en accueillant les meilleures formations européennes. C’est la quadrature du cercle. Le point commun entre tous les artistes invités réside dans la force de leur projet et une couleur musicale « racée ». Le concert est une expérience unique, l’auditeur le sait et veut vivre des heures inouïes. Je m’entoure donc d’artistes partageant cette même prise de risque, ce même élan créatif, qui vont chercher le public dans ses derniers retranchements et les embarquent dans un voyage onirique.

Vous accordez une place particulière aux jeunes talents…
Oui, justement. L'audace dont je parle, j’aime l'entendre aussi chez les jeunes artistes, raison pour laquelle j’ai décidé de les accompagner dans un cycle qui leur est dédié. Stravaganza, Le Trio Dauphine, Le Duo à 7, l’ensemble Desmarets et bien d’autres ont ainsi fait leurs premiers pas à Sinfonia. Les déceptions sont rares tant je suis attentif à m’assurer de leur projet collectif, de la qualité de leur travail et de leur projection dans le temps. Ce travail en pépinière nous permet par la suite d’inviter certains des plus brillants dans la programmation principale du festival. C’est ainsi que depuis près de 25 ans, une famille se constitue et s’enrichit. "Sinfonia", c’est un peu le Banquet de Platon, on s’estime, on s’admire, on s’engueule aussi parfois, mais on est heureux d’être ensemble.

Question public, vous semblez être particulièrement soucieux de l'élargissement du public habituel du classique…
On a souvent tendance à cantonner le public de la musique classique à un public de niche, éduqué et vieillissant. Même si le constat est pour partie réel, je ne partage pas complètement cette vision angoissée et passéiste. Pourquoi faudrait-il être un mélomane averti pour assister à des concerts classiques alors qu’on ne demande pas de diplôme de guitare électrique pour assister à un concert de rock ? Il faut revenir à une approche plus instinctive de la musique, moins codifiée et moins anxiogène.
"Sinfonia en périgord" : les "Feux d’artifices Royaux" de Haendel avec effets pyrotechniques.
 (Droits Réservés.)
C’est pourquoi je propose par exemple des programmes "cross-over", des concerts événements comme les Feux d’Artifice Royaux de Haendel avec des effets pyrotechniques, ou encore le spectacle de la compagnie La Tempête de Simon Pierre Bestion qui mélange brillamment baroque, contemporain et électro, danse et mise en espace. Le regard décomplexé de ce jeune chef sur le rituel du spectacle nous pousse à placer l’auditoire dans un champ musical totalement nouveau ! Enfin, il faut aller au-devant des publics, ne pas attendre sur le seuil de la porte qu’ils aient envie de rentrer. J’encourage les rencontres entre le public et les artistes, qui donnent des clefs de compréhension des œuvres, favorisent une proximité, désacralisent un peu l’image du musicien classique.

Les finances des festivals sont souvent sur le fil du rasoir. Comment se débrouiller pour ne pas perdre d'argent ?
C’est une question d’actualité, tant les inquiétudes sont vives concernant le soutien des politiques publiques à la culture. Notre festival ne vit pas pour financer sa propre structure, mais pour permettre d’assister à des moments d’exception. Quand il s’agit d’arbitrer, j’ai toujours en tête que la programmation reste le principal moteur de notre action. La billetterie ne suffit à financer le festival, d’autant que je veille à proposer des tarifs abordables pour un large public. Alors, chaque dépense est évaluée à l’aulne de la pertinence et des nécessités. Et j’ai aussi la chance de m’appuyer sur un réseau d’entreprises locales et des mécènes qui nous accompagnent et nous soutiennent.

Un  souvenir de festival…
Il y en a tellement qu’arbitrer entre eux serait injuste. Mais tous me renvoient à un seul : j’ai sept ans, et comme tous les dimanches, j’entre dans le bureau dans lequel mon père s’enferme pour écouter de la musique. Pour la première fois, je suis happé par ce que j’entends et à la fin du disque, je déclare : « papa, c’est décidé, plus tard je serai chef d’orchestre »… Je dirige ce festival et non un orchestre, mais finalement, avec le recul, je me dis que j’ai réalisé mes rêves d’enfant.

"Sinfonia en Périgord"
Du 24 au 29 août 2015
Périgueux et Grand Périgueux

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